Hamid Enayat. Bref exposé sur les négociations de Genève

Selon l’agence de presse officielle iranienne IRNA, des sessions diplomatiques s’ouvrent à Genève.

Conformément au programme annoncé, la délégation de la République islamique d’Iran, dirigée par Majid Takht-Ravanchi, vice-ministre des Affaires étrangères chargé des questions politiques, rencontrera aujourd’hui (jeudi 28 novembre) Enrique Mora, secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure de l’Union européenne. Demain (vendredi), les discussions se poursuivront avec des diplomates des trois pays européens : le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne.

Ces sessions s’inscrivent dans la continuité des discussions entamées en octobre de cette année, organisées en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, avec pour objectif d’échanger sur un éventail de sujets bilatéraux entre l’Iran et l’Europe. Il avait alors été convenu que les deux parties se rencontreraient à nouveau pour poursuivre les discussions.

Lors de ces sessions, un large éventail de sujets sera abordé, notamment les relations bilatérales, les évolutions internationales, et des questions d’intérêt commun. Bien entendu, le Plan d’action global conjoint (JCPOA), la levée des sanctions, ainsi que la résolution récemment adoptée contre le programme nucléaire iranien par le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) seront au cœur des discussions, et l’Iran réitérera clairement ses positions face à ses interlocuteurs. (L’Agence officielle iranienne 28 nov.)

Une session axée sur divers enjeux

Outre la question nucléaire et les sanctions, d’autres sujets seront examinés, tels que la récente résolution du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, les tensions régionales, les nouvelles sanctions européennes contre l’Iran, la crise ukrainienne, ainsi que d’autres dossiers internationaux.

Il est important de noter que les rencontres de Genève ne sont pas exclusivement centrées sur la question nucléaire. Compte tenu du nombre de facteurs influençant ce dossier et des différends bilatéraux croissants entre l’Iran et l’Europe, ainsi que de l’escalade des tensions, le terme « discussions Iran-Europe » semble décrire plus précisément cette étape des négociations. (Site Eco Iran 28 Nov.)

Le format des négociations

Le format quadrilatéral prévu pour vendredi, qui inclut quatre thématiques majeures, fait suite aux discussions organisées en octobre dernier en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Ces discussions avaient pour objectif d’évaluer la situation et de débattre d’un ensemble de différends entre l’Iran et l’Europe (l’Union européenne et les trois grandes puissances européennes). (Site Eco Iran 28 Nov.)

Selon l’agence de presse semi-officielle ISNA, en marge de l’Assemblée générale à New York, Majid Takht-Ravanchi et Kazem Gharibabadi, également vice-ministres des Affaires étrangères iraniens, ont tenu des réunions avec leurs homologues européens. Lors de ces réunions, il avait été décidé que les parties reprendraient leurs consultations à une date ultérieure qui serait convenue.

Cependant, il ne faut pas considérer les discussions avec l’Europe comme une alternative aux négociations pour la relance du JCPOA ou au format 1+4 qui a été actif entre décembre 2021 et août 2022. Il ne faut pas non plus en déduire que la Russie ou la Chine auraient été écartées de ces négociations. Les sessions de Genève s’inscrivent dans la continuité des consultations régulières entre l’Iran et l’Europe, qui ont eu lieu ces derniers mois, y compris sous le précédent gouvernement iranien. Cette réunion est jugée importante car, malgré les tensions et les critiques mutuelles, elle permet de maintenir les voies du dialogue et de la diplomatie ouvertes. (Site Eco Iran 28 Nov.)


Araqchi : « Je ne suis pas optimiste à propos des négociations à Genève »

À l’approche des négociations entre l’Iran et la troïka européenne, Araqchi a exprimé des doutes quant aux résultats possibles de ces discussions, affirmant qu’il semble que les pays européens aient choisi une politique de confrontation. (Site Tabnak 28 Nov.)

Araqchi a déclaré : « Si les pays européens réimposent des sanctions contre l’Iran au Conseil de sécurité des Nations unies, alors tout le monde en Iran sera convaincu que, oui, cette doctrine d’interaction entre l’Iran et l’Occident concernant le programme nucléaire était une erreur. » (Mehrnews 28 Nov.)


« Un Snapback entraînerait une crise »

Araqchi a ajouté : « Si cela devait arriver (le retour des sanctions, ou ‘snapback’), je pense que tout le monde comprendrait que nous nous sommes engagés sur une mauvaise voie et qu’il est temps de changer de direction. Dans ce cas, la question nucléaire en Iran pourrait évoluer vers la recherche d’armes nucléaires. Je suis convaincu que si un snapback devait se produire, une crise éclaterait. » (Mehrnews 28 Nov.)


« L’Iran n’a pas fourni de missiles balistiques à la Russie »

Araqchi a également souligné : « L’Iran n’a pas fourni de missiles balistiques à la Russie. La coopération militaire entre Téhéran et Moscou est ancienne et entièrement légitime. Bien sûr, l’Iran a toujours soutenu et continue de soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. »

Il a poursuivi : « Pourquoi Israël est-il maintenant prêt pour un cessez-le-feu au Liban ? Parce qu’ils n’ont pas pu atteindre leurs objectifs et qu’ils ne peuvent pas les atteindre. Oui, le Hezbollah a subi des dommages, mais la majorité de ces dommages ont touché les dirigeants et commandants de haut niveau. Cependant, la structure organisationnelle et les forces opérationnelles du Hezbollah restent intactes. » (Mehrnews 28 Nov.)


« Le Hezbollah et d’autres ne sont pas nos forces par procuration »

Enfin, Araqchi a déclaré : « Le Hezbollah et d’autres groupes ne sont pas nos forces par procuration. Nous les soutenons simplement en tant qu’amis, mais nous ne leur avons jamais dicté quoi que ce soit, pas plus qu’à aucun autre groupe de résistance dans la région. Ils prennent leurs propres décisions et les mettent en œuvre de manière indépendante. » (Mehrnews 28 Nov.)

Interview avec Abolghassem Delfi, ancien ambassadeur d’Iran en France – Négociations à Genève

Source : Agence de presse ILNA – Régime iranien
Date : 8 Azar 1403 (29 novembre 2024) – Heure : 08h46

L’ancien ambassadeur d’Iran en France a déclaré dans une interview avec ILNA :

« Tant que la question nucléaire ne sera pas résolue, il n’y aura pas d’évolution dans nos relations avec l’Europe. »

Il a poursuivi en expliquant :
“Nos relations avec l’Europe ont été, pour diverses raisons, complexes et tendues. En particulier parce que, depuis des années, et même avant l’accord sur le JCPOA, lorsque nous avons commencé les négociations avec le groupe P5+1, nous menions déjà des pourparlers nucléaires avec ces trois pays européens. Le principal problème dans nos relations avec l’Europe a toujours été la question nucléaire. Les Européens ont à un moment donné déclaré qu’aucun progrès dans nos relations ne serait possible tant que cette question ne serait pas résolue. Il était donc évident que la question nucléaire devait être inscrite à notre ordre du jour. Après le retrait des États-Unis du JCPOA, les Européens nous ont demandé de rester dans l’accord, promettant de résoudre les problèmes, mais pour diverses raisons, ils n’ont pas été en mesure de tenir leurs engagements. Les entreprises européennes, en raison des sanctions, ne pouvaient pas collaborer avec nous.

Ces dernières années, après les développements autour du JCPOA, la guerre en Ukraine a également ajouté une couche de complexité à nos relations avec l’Europe. Les Européens affirment que nous soutenons la Russie, et ils prétendent que cela a un impact sur la sécurité de l’Europe. Bien que nous ayons démenti ces accusations, elles ont néanmoins exacerbé les tensions existantes.”

« Malgré les accords avec Grossi, une nouvelle résolution a été adoptée »

Les négociations de Genève : une opportunité pour parvenir à un accord mutuel

Delfi a également souligné que la question des citoyens binationaux ayant des dossiers judiciaires en Iran, provenant de divers pays européens et des États-Unis, est un autre facteur qui a affecté nos relations avec les Européens, en particulier avec la France et l’Allemagne.

Il a ajouté :
“En outre, l’Europe nous considère comme l’une des puissances régionales dotées de vastes ressources énergétiques, et il semble que, face à la crise en Ukraine, nous aurions pu devenir l’un des fournisseurs d’énergie pour l’Europe. Cependant, en raison de notre incapacité à développer cette capacité et de relations inappropriées, cela ne s’est pas réalisé. En fin de compte, ces problèmes constituent un ensemble de différends majeurs que nous avons avec l’Europe. D’autres questions plus spécifiques existent également, mais les principaux points de contentieux sont ceux qui ont été mentionnés. Le plus récent concerne nos relations avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, et la récente visite de M. Grossi à Téhéran a également eu un impact sur ce dossier.”

“Malgré les accords que nous avions conclus avec M. Grossi, les Européens ont présenté une résolution au Conseil des gouverneurs de l’AIEA. Bien que cela n’ait pas été anticipé, la résolution a été adoptée. Cette résolution, bien qu’elle ait intensifié les tensions, pourrait également servir de point de départ pour de nouvelles négociations entre l’Iran et les trois pays européens à Genève, qui se tiendront vendredi. Ces négociations représentent une opportunité pour que les deux parties parviennent à un accord mutuel, et il reste à voir dans quelle mesure les Européens feront preuve de bonne foi. Il semble possible de compter sur leur volonté à avancer dans cette direction.”

Conclusion et Observations, par Hamid Enayat

Si le régime iranien souhaite réellement renoncer à son programme nucléaire, il doit avant tout répondre aux questions et lever les ambiguïtés soulevées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cependant, non seulement le régime n’a pas fait ce premier pas, mais jusqu’à récemment, il a également empêché l’accès des inspecteurs et désactivé les caméras de surveillance.

L’Affaiblissement des Proxies Régionaux de l’Iran

Depuis que les proxises du régime iranien, tels que le Hezbollah, ont été considérablement affaiblis, voire complètement démantelées, Téhéran ne dispose plus des outils qu’il utilisait autrefois pour exercer une pression sur la communauté internationale. Par le passé, ces proxises, combinés à la menace nucléaire, permettaient à l’Iran d’inciter l’Europe et les États-Unis à adopter une politique d’apaisement, fermant les yeux sur le terrorisme régional, les exécutions massives et les violations des droits humains à l’intérieur du pays.

Aujourd’hui, le régime, ayant perdu ces leviers, s’appuie presque exclusivement sur son programme nucléaire pour maintenir son pouvoir d’extorsion. Ahmad Naderi, membre du Présidium du Parlement iranien, a implicitement confirmé cet affaiblissement du régime et a déclaré : « Tant que nous ne nous dirigeons pas vers une bombe atomique, l’équilibre dans la région ne peut être atteint. »

Réactions Internationales et Nationales

Le jeudi 21 novembre au soir, le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a adopté une résolution contre l’Iran, malgré les votes opposés de la Russie et de la Chine. Selon The Wall Street Journal, « La réprimande, présentée par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne avec le soutien des États-Unis, constitue la première étape significative d’un processus de plusieurs mois qui pourrait aboutir à la réimposition de sanctions internationales contre l’Iran. »

La résolution exige que Téhéran coopère immédiatement avec l’AIEA et réponde aux questions restées sans réponse sur ses activités nucléaires.

Au cours des trois dernières décennies, le régime iranien n’a pas seulement poursuivi secrètement son programme nucléaire militaire, mais il l’a également développé en recourant à la tromperie. Aujourd’hui, il a accumulé 32 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 %, une quantité suffisante pour fabriquer plusieurs bombes nucléaires, en violation flagrante du JCPOA (Plan d’action global commun). Malgré les pressions croissantes, Téhéran continue de faire obstruction aux demandes de transparence de l’AIEA, refusant de fournir des réponses claires aux questions soulevées par l’agence.

L’opposition iranienne, notamment le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), qui avait révélé pour la première fois le programme nucléaire clandestin de Téhéran en 2002, critique vivement ce projet. Selon le CNRI, les ambitions nucléaires du régime vont à l’encontre des intérêts du peuple iranien, car ce programme a coûté au pays plus de 2 000 milliards de dollars, plongeant plus des deux tiers de la population dans une pauvreté extrême. Maryam Radjavi, présidente du CNRI, qui se présente comme une alternative au régime actuel, estime qu’empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires est essentiel pour la paix dans la région. Elle plaide pour l’activation du mécanisme de snapback prévu par la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU et pour la réactivation de six résolutions antérieures du Conseil sur le programme nucléaire iranien, bien qu’elle reconnaisse que ces actions arrivent tardivement.

Les Tactiques du Régime Iranien

Si le régime iranien souhaite réellement renoncer à son programme nucléaire, il doit avant tout répondre aux questions et lever les ambiguïtés soulevées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cependant, non seulement le régime n’a pas fait ce premier pas, mais jusqu’à récemment, il a également empêché l’accès des inspecteurs et désactivé les caméras de surveillance.

Face aux pressions internationales croissantes, l’Iran semble adopter une double stratégie : gagner du temps tout en avançant secrètement son programme nucléaire. Ali Larijani, conseiller du Guide suprême Ali Khamenei et ancien président du Parlement, a déclaré : « Si la nouvelle administration américaine affirme s’opposer aux armes nucléaires, elle doit accepter les conditions de l’Iran… pour parvenir à un nouvel accord, et non émettre des décrets unilatéraux comme leur décision à l’AIEA ! »

Le régime cherche clairement à attirer l’administration Trump à la table des négociations afin de retarder l’activation du mécanisme de snapback, qui pourrait rétablir les sanctions de l’ONU. Avec l’expiration de certaines restrictions clés du JCPOA prévue pour octobre 2025, cette tactique de temporisation est cruciale pour Téhéran.

Dans ce contexte, le 25 novembre, Khamenei a annoncé une réduction de l’enrichissement d’uranium de 60 % à 20 %, une apparente concession destinée à apaiser la pression internationale. Cependant, en coulisses, le régime s’efforce discrètement d’augmenter son enrichissement à 90 %, seuil nécessaire pour la fabrication d’armes nucléaires. Selon Kamalvandi, chef de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, le régime utilise des technologies avancées pour accélérer ce processus, espérant surprendre la communauté internationale, comme l’a fait la Corée du Nord en dévoilant soudainement ses capacités nucléaires.

L’Europe et les États-Unis, surmonter les Divisions

Pendant des années, le régime iranien a exploité les divisions entre l’Europe et les États-Unis pour maintenir son programme nucléaire. Cependant, selon Heshmatollah Falahatpisheh, ancien président de la Commission de sécurité nationale et de politique étrangère du Parlement iranien, « La résolution de l’AIEA est le premier signe d’un hiver difficile pour l’Iran. L’Europe s’est rapprochée de la politique de pression maximale de Trump. Elle exige une réduction des activités nucléaires et une augmentation des inspections sans offrir de concessions. »

Ce rapprochement entre l’Europe et les États-Unis reflète la frustration croissante face au rôle déstabilisateur de l’Iran dans les conflits mondiaux, notamment en Ukraine et au Moyen-Orient. Le soutien de l’Iran aux guerres par procuration, combiné aux soulèvements internes de 2022 qui ont exposé la fragilité du régime, a poussé l’Europe à abandonner sa politique d’apaisement. Désormais, l’Europe semble s’aligner davantage sur la position stricte des États-Unis envers l’Iran.

De son côté, Trump a également besoin de la coopération européenne pour maximiser la pression sur l’Iran. Puisque les États-Unis ne font plus partie du JCPOA, l’Europe doit activer l’article 11 de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU pour rétablir les sanctions. Cette démarche contourne la nécessité d’une approbation de l’AIEA et rend inopérants les vetos possibles de la Russie ou de la Chine.

Conclusion

Avec l’alignement croissant entre les États-Unis et l’Europe et les vulnérabilités internes et externes du régime iranien, l’activation du mécanisme de snapback semble de plus en plus probable. Cette action reste la voie la plus réaliste pour freiner les ambitions nucléaires de l’Iran, garantir la stabilité au Moyen-Orient et prévenir une course aux armements dans la région.

Cependant, Téhéran continuera probablement à déployer des manœuvres diplomatiques pour gagner du temps, comptant sur les complexités de la politique internationale pour retarder une action décisive. Mais compte tenu des coûts élevés des conflits mondiaux actuels et de la pression croissante d’un front occidental unifié, la capacité du régime à résister semble de plus en plus limitée.

© Hamid Enayat

Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI). Pour La Dépêche, il analyse la situation de guerre au Proche-Orient et notamment le rôle que joue l’Iran depuis plusieurs années.

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