Kamel Daoud: « J’espère vivement que mon ami Boualem Sansal reviendra parmi nous très bientôt »

Kamel Daoud et Boualem Sansal, le 20 novembre 2018, à Paris
François Bouchon/Le Figaro 

TRIBUNE – Dans un texte très personnel et d’une rare sensibilité, le Prix Goncourt 2024 pour son livre Houris (Gallimard) apporte son soutien à l’écrivain franco-algérien qui serait aux mains des services de sécurité du régime et risquerait la prison.

Si ce n’est pas le tragique, l’image le disputerait au burlesque. Mon ami fait des grimaces, agite les mains, prend un cahier puis griffonne. J’attends, tout aussi muet. Je lui fais ensuite des signes des mains pour qu’il éloigne la feuille qu’il brandit : la lumière est trop forte, je n’arrive pas à lire. L’on communique ainsi désormais vers l’Algérie sur WhatsApp : en écrivant sur des feuillets. Parce que la ligne est souvent surveillée, écoutée. La rumeur se répand à Alger que le « Régime » vient d’acquérir un nouveau parc matériel d’écoute auprès d’un pays européen. 

Alors, nous revoilà tous, les écrivains, les hommes d’affaires, les intellectuels, les mortels ou les survivants, à communiquer par des signes et des écrits que l’on se montre en vidéo sur WhatsApp. Ce pays est désormais connu sous le nom d’ »Algérie Nouvelle ». Vous y retrouverez des femmes et des hommes courageux, des femmes et des hommes lâches. Des écrivains qui se taisent sur la terreur qui sévit dans ce pays et des journalistes qui se transforment en serpillières, d’autres qui fuient ou se taisent et d’autres qui attendent d’être convoqués par la justice. C’est de ce pays qu’il est question. C’est donc ici que mon ami Sansal a été arrêté, apparemment. 

Sansal est mon ami et je ne comprends pas son imprudence, mais ce n’est pas le moment des reproches. « L’exil, ce n’est pas seulement quitter un endroit, c’est ne pas pouvoir y retourner », dis-je avec fierté, satisfait de ma formule, en taisant le coût exorbitant pour moi. Peut-être que Boualem refusait de ne plus pouvoir revenir. Il se peut qu’il se cache, qu’il se terre ou qu’il évite les appels téléphoniques. Depuis quatre jours, je savais, mais notre réseau d’amis souhaitait rester discret, éviter de remuer la marmite algérienne, espérer. Finalement, cela s’est confirmé : il a été arrêté.

Droit d’innocence face à l’histoire

Paris est magnifique. Quand il neige, quand il n’y a personne dehors, que les héros de pierre sur les places publiques, quand il pleut, la nuit, l’aube. Mais, à Paris, il y a aussi ces plumitifs qui ne connaissent pas le prix de la liberté, qu’ils confondent avec un menu de restaurant, et qui nous insultent, nous, les écrivains venus de l’enfer. Ils nous diffament non par colère, mais pire encore, par insouciance, ils nous tuent. Trop de liberté efface le prix de la liberté dans les esprits jouisseurs. Alors, de l’Algérie, on ne sait rien. De plus, il y a des journalistes algériens hyper décoloniaux en France qui contribuent à l’effet d’écran « gauche ». Le pays de la terreur n’est plus que le film de Pontocorvo « La bataille d’Alger » qui attend toujours la justice de l’histoire. 

En réalité, c’est autre chose. Être écrivain en Algérie aujourd’hui est très onéreux. En effet, le régime actuel n’apprécie pas cette profession et les islamistes sont en pleine expansion. Ils profitent de mosquées, d’une liberté d’expression totale, d’élites bien entretenues, et certains vont même jusqu’à réclamer une immunité judiciaire pour les imams. En face, les idiots utiles du régime, les pauvres crieurs, les écrivains, les libraires, les éditeurs. Au cours de l’année dernière, la peur s’est étendue à ce qu’on appelle la « culture », que les islamistes cherchent à transformer. Leur bras armé, c’est actuellement le Régime. 

Alors, des éditeurs tremblent de peur, des journaux lèchent les bottes pour une page de « pub », des télévisions dansent au ventre, des « trolls » inventent un ennemi, un traître à la nation. Aujourd’hui, c’est l’écrivain qui est attaqué, ainsi que sa famille, son épouse, ses enfants, ses proches. On l’arrête dès qu’on le trouve. « Intelligence avec l’ennemi ». En dictature, cela signifie une peine de prison à perpétuité. Et à Paris, on trouve les « coupeurs de cheveux en quatre », les journaux qui vous reprochent de ne pas être le « Bon Arabe » venu en France pour s’exprimer sur la décolonisation et faire culpabiliser ce pays. 

J’espère vivement que mon ami Boualem reviendra parmi nous très bientôt. J’ai hâte de voir de mon vivant ce pays enfin indépendant et digne, accueillant enfin ses différences et ses histoires passionnantes et variées. Est-ce du romantisme ? Peut-être. Droit d’innocence face à l’histoire. Je ne sais pas où tu te trouves actuellement. J’espère que cette information d’arrestation est fausse. J’espère me tromper. Ce sont les mêmes personnes qui, en France, nous attaquent, toi et moi, qui nous insultent, qui nous traînent dans la boue de leur mépris, parce que nous ne correspondons pas à leurs attentes.

© Kamel Daoud

Source: Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/kamel-

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