Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI). Il analyse la situation de guerre au Proche-Orient et notamment le rôle que joue l’Iran depuis plusieurs années. Aujourd’hui, focus sur les stratégies du régime iranien pour interagir avec Donald Trump
Pour comprendre clairement la politique étrangère du régime iranien vis-à-vis du nouveau président américain Donald Trump, il est essentiel d’analyser en profondeur la situation intérieure de l’Iran et la relation tendue entre le régime et son peuple.
Montée en nombre des exécutions en Iran
Les exécutions en Iran ont atteint des niveaux sans précédent. En octobre dernier, une exécution était réalisée toutes les quatre heures, et un cas a été rapporté où une personne aurait été exécutée deux fois. De plus, les prisonnières ne sont souvent pas libérées, même après avoir purgé leur peine. Depuis l’arrivée de nouveau président, Massoud Pezeshkian, le nombre d’exécutions a atteint plus de 460.
Ces exécutions massives illustrent avant tout comment Ali Khamenei, le guide suprême, cherche désespérément à maintenir le contrôle dans un contexte de troubles internes croissants.
La condition de la société iranienne
Concernant l’état de la société iranienne, le journal Shargh a publié, le 10 septembre, un article intitulé “Nous sommes bloqués”, écrit par Hashemi-Taba, ancien candidat présidentiel : “Tous les signes montrent que nous sommes dans une impasse. Cela n’est pas dû à ce gouvernement ou à un autre… Cette impasse n’est pas seulement liée aux sanctions américaines et européennes, mais même si aujourd’hui nous courtisions les États-Unis, acceptions le FATF, et que l’Agence internationale de l’énergie atomique ne s’occupait plus de nous, cette impasse persisterait.”
La société iranienne est prise au piège d’un réseau complexe de déséquilibres, allant de la pénurie d’eau et d’électricité à la crise de l’essence et à d’autres biens essentiels. Le pays est plongé dans une récession économique historique, avec plus des deux tiers de sa population vivant dans la pauvreté absolue, et cela malgré les immenses richesses naturelles de l’Iran, comme le pétrole, le gaz et les minerais.
Le soulèvement de 2019, connu sous le nom de “Soulèvement de feu”, illustre l’ampleur du mécontentement populaire. En seulement trois jours, le régime a survécu en massacrant plus de 1 500 manifestants. Dans un acte de désespoir, un vétéran de guerre à Kazeroon (Shiraz) a tué le représentant de Khamenei dans cette ville avant de se suicider. Plus récemment, un ancien journaliste de la Voix de l’Amérique, après avoir subi trois années d’emprisonnement et de torture, s’est suicidé en protestation contre les conditions horribles dans les prisons iraniennes. Ces faits montrent à quel point la haine et le mécontentement envers le régime sont profonds.
Le régime iranien redoute profondément un nouveau soulèvement populaire, qui pourrait cette fois-ci lui être fatal.
La succession de Khamenei
À cette crise intérieure s’ajoute un défi majeur : la succession d’Ali Khamenei. Cette question doit être résolue avant sa mort. Mojtaba Khamenei, son fils, est souvent mentionné comme un successeur potentiel. L’Assemblée des experts* a jusqu’à présent envisagé trois candidats pour ce rôle. Cependant, selon les sondages les plus récents menés en Iran, plus de 90 % de la population rejettent le régime. Si la question de la succession reste non résolue, le régime risque de s’effondrer rapidement après la mort de Khamenei, âgé de 85 ans et malade.
Khamenei tente même de garantir cette transition en essayant de présenter son fils comme un leader capable de mettre en œuvre des réformes internes et d’engager un dialogue sur la scène internationale.
Les pressions externes et la stratégie d’interaction avec Trump
Selon le philosophe français Bernard Henri Levy, le régime affaibli des mollahs n’a d’autre choix que de reprendre contact avec Trump. Le régime est sous pression, notamment à cause des milliers d’unités de résistance affiliées à l’opposition, les Moudjahidines du Peuple (OMPI), composant principal du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). Ce dernier, une alternative démocratique prônant la séparation entre religion et État, connaît depuis 2019 une croissance sans précédent, tant sur le plan organisationnel que dans son influence.
Dans ce contexte, la rencontre entre l’ambassadeur iranien et Elon Musk, le 11 novembre, vise à empêcher ou alléger la pression maximale et par conséquent une chute libre des exportations de pétrole, qui avaient atteint, sous présidence Joe Biden, des niveaux supérieurs à ceux d’avant les sanctions.
Les exportations de pétrole iranien
Le déclenchement de la guerre Israël-Hamas le 7 octobre a immédiatement soulevé une question : comment Hamas a-t-il financé une opération de cette ampleur ? Avec des centaines de kilomètres de tunnels souterrains (présentés par les médias iraniens comme plus longs que le métro de Téhéran) et des usines d’armement, l’opération dépasse largement les capacités financières de Hamas seul. Téhéran est fortement soupçonné d’avoir été le principal soutien financier.
En réponse, l’administration Biden a fait face à des pressions croissantes pour mettre fin aux exportations pétrolières iraniennes. Selon le journal Etemad, proche du gouvernement, dans un article du 6 novembre :
“Les exportations de pétrole de l’Iran ont récemment retrouvé les niveaux d’avant les sanctions, alors que sous la présidence de Trump, elles étaient tombées à moins de 500 000 barils par jour, exerçant une pression énorme sur le secteur pétrolier (et donc le régime).”
Négocier depuis une “position de force”
Les forces par procuration du régime, telles que le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, constituaient autrefois des leviers essentiels pour extorquer des concessions de la communauté internationale. Toutefois, ces atouts sont aujourd’hui considérablement affaiblis par des frappes répétées au Liban et en Syrie, des bases logistiques clés pour ces groupes. Le régime cherche désespérément un cessez-le-feu au Liban afin de préserver ce qu’il reste des forces du Hezbollah.
Dans ce contexte, le régime iranien sait qu’il devra faire des concessions majeures dans toute négociation avec une administration Trump, notamment réduire son soutien à ces forces par procuration et limiter son programme d’enrichissement nucléaire. Cependant, ces concessions, qui touchent au cœur même de son identité et de sa stratégie de survie, pourraient accélérer son effondrement.
Pour éviter cela, le régime vise à négocier depuis une “position de force”. Abbas Araghchi, principal diplomate iranien, a confirmé cette approche après sa rencontre avec Rafael Grossi, directeur de l’AIEA. Il a déclaré sur la plateforme X : “Nous sommes prêts à négocier sur la base de nos intérêts nationaux et de nos droits légitimes, mais nous ne sommes pas disposés à négocier sous pression ou intimidation.”
Un journal proche du régime a récemment écrit : “La probabilité de parvenir à un accord avec Trump est faible, sauf si l’Iran augmente son niveau d’enrichissement à plus de 90 %.”
Effondrement
Même si le régime iranien parvenait à tester une bombe nucléaire et à se doter d’une arme dissuasive, l’histoire montre que de telles mesures ne suffisent pas à prévenir un effondrement. L’Union soviétique, malgré une abondance d’ogives nucléaires, n’a pas pu résister au mécontentement généralisé de sa population, qui a conduit à sa chute.
De manière similaire, la survie du régime iranien repose sur la répression, le pari nucléaire et le soutien à ses forces par procuration, mais ces éléments ne peuvent en aucun cas résoudre les problèmes fondamentaux de sa société. Impuissant à mener des moins véritables réformes, son effondrement semble inéluctable.
Notes
*L’Assemblée des experts : Composée de religieux qualifiés, cette instance est responsable de sélectionner, destituer et superviser le guide suprême de la République islamique d’Iran, conformément à l’article 107 de la Constitution iranienne.
© Hamid Enayat
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