Les réactions, de l’autre côté de la Méditerranée, au prix Goncourt 2024 de Kamel Daoud racontent une société qui cherche à cacher son passé.
Un mois environ avant l’attribution à Kamel Daoud du prix Goncourt pour son roman Houris, relatif à la guerre civile algérienne, la maison Gallimard, qui édite l’écrivain, se voyait notifier l’interdiction de participer au Salon international du livre d’Alger. Il faut dire que Kamel Daoud a une réputation sulfureuse de l’autre côté de la Méditerranée. Originaire d’une nation qui n’est toujours pas parvenue à bâtir une société prospère en six décennies d’indépendance, l’écrivain a – horresco referens – la fâcheuse tendance à interroger les démons de sa culture natale, ses contradictions, ses superstitions, ses faiblesses, dans l’espoir que celle-ci relève la tête.
Il n’en faut pas plus pour qu’il soit désigné comme un « Arabe de service ». Un scribouillard à la solde de l’ancien impérialiste qui n’aurait pas été totalement décolonisé, à la différence de cette Algérie si prospère depuis le départ des mécréants et dont le premier réflexe de la jeunesse en perdition est de traverser la Méditerranée à ses risques et périls. Symptôme d’un pays à la dérive qui préfère s’en prendre à ses éveilleurs de conscience que remettre en question ses coutumes les plus serviles. « Quand un intellectuel occidental pense contre les siens, on dit qu’il est universel. Quand un intellectuel du Sud pense contre les siens, c’est un traître », remarque l’écrivain.
C’est le lot de tous les authentiques réformateurs originaires du Sud que d’être désignés comme d’odieux renégats par ceux qui aiment tellement leur patrie qu’ils s’accommodent de son état lamentable.
Un passé réécrit
Reste à savoir quelle identité Kamel Daoud trahit précisément lorsqu’il ferraille contre les kleptocrates qui défigurent son pays natal, parmi lesquels figurent les fanatiques de Mahomet. L’histoire connaît l’ethnie arabe depuis au moins vingt-neuf siècles. Celle-ci a, successivement, professé le paganisme, le judaïsme, le mazdéisme et surtout le christianisme. Et pourtant, remarquait l’orientaliste français Maxime Rodinson, « la conscience populaire […] a retenu que l’Arabe véritable, fidèle à son origine, était surtout l’Arabe musulman ». De là à clouer au pilori les libres-penseurs qui ne se laissent pas impressionner par cette rente mémorielle agrémentée de sourates absurdes, il y a un pas que les enturbannés n’hésitent pas à franchir.
Et pour cause, la propagande musulmane a refoulé le patrimoine préislamique de la mémoire collective, reléguant l’Arabie ancienne à une époque d’ignorance et de barbarie que d’aucuns seraient plutôt tentés d’attribuer à l’ère de Mahomet. La tradition historiographique musulmane « peut être considérée comme une des plus grandes supercheries historiques dont les annales littéraires aient gardé le souvenir », rappelait le grand orientaliste Henri Lammens. Une supercherie qui, non contente d’entretenir l’amnésie des sociétés arabes, a aussi contaminé l’esprit des mécréants. Napoléon lui-même ne créditait-il pas Mahomet d’avoir régénéré ces Arabes jadis englués dans l’ignorance et l’idolâtrie ?
Un legs berbère minoré
Oubliés, les temps glorieux où l’Arabie était arrimée au monde hellénistique, donnait à Rome d’illustres empereurs et impératrices, tandis que certains de ses enfants enseignaient l’art de la rhétorique dans les amphithéâtres d’Athènes, à l’image du sophiste Callinicos et de son rival Genethlius. Enfouies, les splendeurs de la cour des rois arabes chrétiens ghassanides, où les femmes mettaient les chants grecs à l’honneur, pour le plus grand plaisir des souverains assis sur leur divan de myrte et de jasmin, orné de toutes sortes de fleurs parfumées, entourées de vases en or et en argent remplis d’ambre gris et de musc.
Et que dire du Maghreb que les hérauts de l’arabisme sont si pressés d’annexer au détriment de ses propriétaires historiques ? « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont peuplés de Berbères que l’on qualifie audacieusement d’Arabes », remarquait l’historien Charles-André Julien dans son Histoire de l’Afrique du Nord.
Face à cette réalité embarrassante à ce jour, les apôtres du nationalisme arabo-musulman se plaisent à minorer le legs berbère. Il ne faudrait surtout pas que les Maghrébins se précipitent en masse vers les œuvres de Saint-Augustin, Tertullien, Apulée, et ces innombrables auteurs qui ont fait la renommée de la littérature latine, des siècles avant l’intrusion mortifère des légions de Mahomet. Ils risqueraient alors de s’émouvoir de la déchéance de leur région en découvrant que les peuples ont cultivé de multiples identités contradictoires à travers le temps.
Toutes les nations recèlent une infinité de traîtres à leurs origines ancestrales. Reste à savoir si toutes les apostasies se valent.
© Ferghane Azihari
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