À quelques jours du scrutin présidentiel, qui s’annonce comme l’un des plus serrés de l’histoire américaine, les deux candidats accélèrent leurs efforts pour gagner les “swing states”, les États pivots.
Les récents déplacements de campagne des deux principaux candidats à la présidentielle américaine donnent le ton. En l’espace d’une journée, mercredi 30 octobre, la candidate démocrate, Kamala Harris, s’est rendue en Pennsylvanie, en Caroline du Nord et dans le Wisconsin, avant de partir pour l’Arizona et le Nevada le lendemain. Même scénario pour son rival républicain, Donald Trump, qui a effectué le jour même un déplacement dans ces deux derniers États de l’Ouest américain.
Avec la Géorgie et le Michigan, ils forment tous les sept les fameux «swing states», ces États pivots qui peuvent basculer d’un camp à l’autre à chaque scrutin, d’où l’énorme effort des deux adversaires pour labourer le terrain à une poignée de jours d’une élection qui s’annonce cruciale et extrêmement serrée. « C’est du jamais vu », souligne Samara Klar, professeure de sciences politiques à l’Université de l’Arizona.
“Il y a déjà eu de folles élections par le passé, notamment lorsque la course extrêmement serrée entre George W. Bush et Al Gore en 2000 a été tranchée par la Cour suprême. Mais les résultats de ce scrutin pourraient bien être les plus proches en ce qui concerne le vote populaire national”, poursuit-elle alors que la Maison-Blanche se gagne en empochant la majorité des 538 grands électeurs, élus État par État. “Presque tous les sondages effectués dans les ‘swing states’ qui donnent un avantage à Harris ou à Trump se situent largement dans la marge d’erreur, renchérit James A. Piazza, professeur de sciences politiques à l’université d’État de Pennsylvanie. Nous ne pouvons tout simplement pas prédire quel candidat va l’emporter”.
Rien n’est joué jusqu’à la dernière minute. Et pour cause, loin des États où presque aucun suspense entoure l’issue du scrutin, comme en Californie (54 grands électeurs), acquise à Kamala Harris, ou au Texas (40 grands électeurs), à Donald Trump, chaque « swing state » compte. En principe, la candidate de 60 ans dispose déjà de 226 voix, son adversaire de 78 ans de 219. Pour parvenir aux 270 nécessaires à l’accession à la Maison-Blanche, tout se joue donc dans les États charnière. À quatre jours de l’élection
du 5 novembre, le milliardaire républicain a ainsi mis le cap vendredi sur le Michigan et le Wisconsin.
Ce dernier État dit du “Blue Wall”, qui vote traditionnellement démocrate, a été investi le jour même par la vice-présidente américaine, alors qu’il a joué un rôle clé pour la victoire de Donald Trump puis de Joe Biden lors des deux précédents scrutins. À quelles franges de la population s’adressent majoritairement les principaux candidats pour faire la différence dans les “swing states” ? Quelles stratégies électorales mobilisent-ils ? Certaines tendances se dessinent-elles d’ores et déjà ?
Fidéliser ou mettre le cap sur les minorités
“Les démocrates, étant généralement une coalition d’électeurs issus de minorités, comptent sur une forte participation de ces votants tout en limitant leurs pertes auprès des électeurs blancs, observe Mark J. Rozell, doyen de la Schar School of Policy and Government de l’Université George Mason (Virginie). À l’inverse, les républicains s’efforcent de séduire les électeurs des minorités afin de limiter leurs pertes auprès de ces populations”.
La candidate démocrate de mère indienne et de père jamaïcain espère fidéliser les minorités en Géorgie, bastion afro-américain emblématique de la lutte pour les droits civiques caractérisé par une forte croissance de la population asiatique et latino, en Caroline du Nord, où 21% des habitants en âge de voter sont noirs contre 12% à l’échelle nationale selon ABC News, dans le Nevada et plus particulièrement à Las Vegas où les femmes immigrées composent la majorité des dizaines de milliers d’adhérents des syndicats des employés de l’hôtellerie ou encore dans le Michigan aux près de 400 000 votants d’origine arabe.
“Harris parie sur le fait que les électeurs afro-américains seront nombreux à se rendre aux urnes”, note Samara Klar. “Elle tente également d’obtenir le soutien des électeurs latinos, qui constituent un groupe politiquement plus diversifié, mais qui ont tendance à favoriser les candidats démocrates à des marges plus élevées”, poursuit-elle, alors que la candidate a notamment insisté lors de ses meetings de jeudi en Arizona et dans le Nevada sur les droits des immigrés.
Et si les électeurs de 47 États ont eu la possibilité de glisser un vote anticipé pour le scrutin, difficile pour l’heure d’en tirer des conclusions. “Les républicains semblent profiter des possibilités de vote anticipé à des taux plus élevés que lors des élections précédentes. Le parti républicain et la campagne de Trump ont vraiment encouragé leurs électeurs à voter tôt ou à utiliser les bulletins de vote par correspondance,
commente James A. Piazza.
Mais on ignore si les personnes qui votent lors des élections anticipées sont de nouveaux électeurs ou des électeurs qui auraient voté le jour de l’élection. Si c’est le cas, les résultats du vote anticipé ne sont pas particulièrement révélateurs”. À la mi-journée vendredi, dernier jour du vote anticipé, le taux de participation atteignait un niveau particulièrement élevé dans plusieurs États pivots, en particulier en Caroline du Nord (58%), en Géorgie (53%) ou encore dans le Nevada (49%), selon le New York Times (NYT).
“Les principaux facteurs de différence sont les électeurs de la classe ouvrière, en particulier ceux de la classe ouvrière blanche, qui soutiennent généralement Donald Trump. Ces États comptent un nombre croissant de communautés immigrées d’origine asiatique et de Latinos. Les sondages montrent que la majorité de ces groupes soutiennent Kamala Harris, mais que ce soutien est plus fort chez les femmes que chez les hommes”, fait valoir Sara Sadhwani, professeure adjointe de politique au Pomona College (Californie) et chercheuse non résidente à la Harvard Kennedy School.
Stratégies de campagne
Si Donald Trump semble cependant avoir progressé parmi les hommes jeunes et les latinos dans certaines régions, il semble avant tout miser sur le soutien des électeurs blancs masculins plus âgés. “La campagne de Trump semble uniquement se concentrer sur la mobilisation de sa base de droite, tout en faisant appel aux hommes et en essayant d’atteindre les hommes blancs à faible propension électorale, avance James A. Piazza. Outre la mobilisation de sa base démocrate traditionnelle, Harris s’efforce de son côté d’attirer les électeurs modérés des banlieues et les électeurs plus conservateurs qui, par exemple, ont pu voter pour les Républicains lors des élections précédentes, avant Trump”.
Tandis que le vote des femmes aux États-Unis penche largement en faveur des démocrates lorsque les hommes favorisent au contraire les candidats républicains, Kamala Harris cherche par ailleurs activement à accroître ce “gender gap” en sa faveur en séduisant un électorat féminin rebuté par les condamnations pénales et les sorties sexistes de Donald Trump. D’autant que dans les États disputés de l’Arizona et du Nevada, les électeurs seront également appelés le jour J à se prononcer sur un référendum portant sur l’avortement, qui s’est hissé parmi les thèmes phares de la campagne électorale.
À cela s’ajoutent les diversités de stratégies de terrain des deux candidats, Kamala Harris ayant investi un réseau plus important d’employés et de bénévoles du parti en vue d’amener les électeurs dans l’isoloir. “Trump a fait un investissement beaucoup plus modeste dans ce domaine et ne semble pas avoir mis en place une infrastructure de jeu de terrain, observe James A. Piazza. Les deux décisions stratégiques de Trump – ne pas cibler une base plus large d’électeurs et ne pas avoir de véritable jeu de terrain – sont très risquées, mais le temps nous dira si ces décisions ont de l’importance”.
Et pour conserver sa base, le candidat républicain mise largement sur les enjeux qui la préoccupent le plus à l’instar de l’immigration ou des questions de conservatisme sociétal et moral chères à l’électorat évangélique.
“Certains électeurs considèrent Trump comme potentiellement meilleur sur les questions de l’économie et des frontières, rapporte Samara Klar. Il essaie donc d’attirer les votants qui ont l’impression que les quatre dernières années n’ont pas été très prospères pour eux sur le plan économique”. Tandis que le discours migratoire résonne particulièrement en Arizona, caractérisé par une forte immigration provenant du Mexique frontalier, celui sur l’économie touche en premier lieu le Nevada qui affiche le taux de chômage le plus élevé du pays, alors que le poids de l’inflation se ressent partout aux États-Unis.
Des inconnues
Si chaque camp tente de calculer les États pivots à même d’être remportés, de multiples inconnues subsistent. “Il est possible que Trump ait un avantage dans les deux États du sud – la Géorgie et la Caroline du Nord – où les républicains obtiennent généralement de bons résultats, et que Harris ait un avantage dans le haut du Midwest – le Wisconsin et le Michigan – où les démocrates obtiennent généralement de bons résultats, prédit Mark J. Rozell.
Mais les sondages indiquent que tous ces États restent compétitifs et pourraient basculer dans l’une ou l’autre direction. Si Harris remporte le Wisconsin et le Michigan, c’est la Pennsylvanie qui sera la clé de l’élection”. Un État capital – le cinquième le plus peuplé du pays – qui compte 19 grands électeurs, soit le plus grand nombre parmi les «swing states», qui avait contribué en 2020 à la victoire de Joe Biden après avoir été gagné par Donald Trump quatre ans plus tôt. Selon les résultats des sondages du NYT vendredi, Donald Trump devance son adversaire en Pennsylvanie d’à peine 1%. C’est notamment ici que l’image du milliardaire, le poing levé sur scène après avoir échappé à une tentative d’assassinat, a marqué les esprits.
Kamala Harris talonne pour sa part le candidat républicain dans seulement deux États pivots, le Wisconsin et le Michigan, selon ces mêmes sondages. “Il s’agit d’États clés qui se décideront à quelques milliers de voix près. La marge sera donc très étroite”, souligne Samara Klar. Selon les sondages précités du NYT, la différence serait plus importante en faveur du candidat républicain en Arizona (+3%), en Géorgie (+2%) et en Caroline du Nord (+1%) où Kamala Harris est parvenue à faire en sorte que la course soit très serrée malgré le fait que cet État a voté pour la dernière fois pour un président démocrate en 2008 (Barack Obama) et avant cela en 1976 (Jimmy Carter).
Aucun observateur n’exclut cependant des erreurs dans les sondages, à l’image de la sous-estimation du soutien en faveur de Donald Trump avant son accession à la Maison-Blanche en 2016.
“Les erreurs de sondage semblent se produire de manière à peu près égale dans tous les États disputés, poursuit Samara Klar. La manière dont les données sont pondérées pourrait par exemple surestimer systématiquement le soutien à un parti, et ce dans chaque État”.
Néanmoins, selon plusieurs analystes, il est courant de voir les « swing states » tomber aux mains du même camp. “Plusieurs groupes d’États pivots – par exemple la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin ou encore la Géorgie et la Caroline du Nord – partagent certaines caractéristiques démographiques, ce qui signifie généralement que si un candidat remporte l’un d’entre eux, il a plus de chances de remporter les autres, explique James A. Piazza. Si Harris gagne le Wisconsin – en obtenant d’assez bons résultats auprès des électeurs blancs plus âgés et sans diplôme universitaire – il est probable qu’elle ait également la Pennsylvanie et le Michigan, qui disposent aussi d’un plus grand nombre de ces types d’électeurs.
Cela dit, ces États ne sont pas identiques les uns aux autres. La probabilité qu’ils votent de la même manière est simplement plus élevée”. À quelques jours de l’élection, tous les scénarios sont sur la table. “Cette course pourrait vraiment se dérouler dans les deux sens, et tout dépendra de la participation des électeurs, pointe Sara Sadhwani. En 2020, nous avons enregistré le taux de participation le plus élevé de l’histoire récente, mais il n’est pas certain que cela se reproduise en 2024”.
D’autant que des facteurs difficilement prévisibles peuvent s’avérer déterminants. Dans le Michigan par exemple, le taux de participation sera attentivement scruté à l’heure où des centaines de milliers de démocrates ont manifesté leur colère à l’encontre du soutien prononcé du président américain Joe Biden à la guerre menée par Israël à Gaza, tandis que sa vice-présidente semble maintenir le même positionnement sur la question en tentant toutefois de rassurer la communauté arabo-musulmane.
© Noura Doukhi
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