Quand l’une des dernières Justes françaises retrouve l’enfant juif qu’elle a sauvé


Odette Bergoffen, Juste parmi les Nations depuis 1994, a revu à Angers Jean-Claude Moscovici, qu’elle avait caché de 1942 à 1944.




Dans quelques jours, Odette Bergoffen aura 100 ans. Il y a 82 ans, elle est allée chercher Jean-Claude Moscovici et sa sœur Liliane à Paris, pour les ramener à Tours, puis les cacher avec leur mère dans un petit village du Maine-et-Loire. Jean-Claude et Liliane venaient de sortir de Drancy par miracle. Ils avaient 6 et 2 ans.
Ce 9 octobre 2024 à Angers, Odette a revu Jean-Claude, devenu entretemps un grand pédiatre parisien, et qui est retourné vivre dans le Maine-et-Loire, dans la maison où sa famille avait été raflée en 1942. Il est âgé aujourd’hui de 88 ans. Court-circuit dans le temps et l’espace : ils se revoient dans le grand séminaire d’Angers, là où les déportations ont été orchestrées dans l’Anjou, là où Jean-Claude a passé quelques jours avant d’être déporté vers Drancy.

Banalité du bien


Quand, sur la proposition du Comité français pour Yad Vashem, nous sommes allé voir Odette l’an dernier pour le premier des quinze chapitres du livre, Il fallait bien les aider*, nous venions d’apprendre qu’il y avait encore quelques Justes vivants. Si l’on nous avait posé la question, nous aurions spontanément répondu par la négative. Depuis que les Justes français sont entrés collectivement au Panthéon en 2007, il nous semblait que tous les Justes étaient morts.
Or, il en reste quelques-uns en vie, mais Odette est la seule en France qui soit en mesure de retracer son parcours, sa trajectoire de résistante pendant la guerre, les raisons de son geste à l’égard des Moscovici. « Un geste normal », répète-t-elle de ce ton d’évidence, qui nous fait penser à une banalité du bien, dont les futurs Justes seraient les meilleurs exemples. Qui nous fait regretter aussi de ne pas avoir connu Odette à 18 ans, quand on entend la fermeté de son ton maintenant qu’elle a 100 ans.

Chaîne d’entraide


L’an dernier, nous étions allé voir séparément Odette, qui vit dans la banlieue d’Angers, et Jean-Claude, dans sa maison de Vernoil-le-Fourrier. Avec lui, nous nous étions rendus ensuite à Morannes-sur-Sarthe, où Odette les avait confiés à une école privée dont le directeur avait fait le nécessaire pour qu’ils survivent. Ce directeur n’a pas été reconnu comme Juste. Chaque Juste reconnu cache d’autres Français, qui ont fait partie de la chaîne d’entraide nécessaire pour sauver des Juifs. Il est la partie émergée d’un iceberg bien plus large.

Des liens qui ont sauvé


C’est pour fuir Vernoil-le-Fourrier que Louise Moscovici, la mère de Jean-Claude, réfugiée après une rafle chez le facteur, avait appelé Odette, une de ses amies, dont les grands-parents étaient les patients du docteur Moscovici. Âgée alors de 18 ans, Odette avait demandé ce qu’il fallait faire à sa grand-mère ! « Vas-y mais de nuit, ce sera moins risqué. »
On touche là à l’un des motifs de l’aide apportée pendant la guerre aux Juifs, souvent bien intégrés dans la société française : ils furent secourus par des Français qui avaient noué avec eux des liens de connaissance, d’amitié, de voisinage, des liens parfois réactivés quand il s’agissait des nourrices qui avaient hébergé et accueilli en pension avant guerre de nombreux enfants juifs de Paris. À l’époque, nombreux étaient ceux qui allaient passer des vacances dans le grand Bassin parisien.

C’était normal


Pourquoi, à tel moment tragique de l’Histoire qui frappe à sa porte, une personne décide d’en sauver une autre ? Les mobiles sont multiples : conviction religieuse, conviction politique, sentiment d’empathie, volonté de défier le régime du maréchal Pétain et de ses statuts sur les Juifs…

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Pour Odette, ce fut un mélange d’amitié, de sentiment patriotique – « j’avais la France dans la peau » –, de réaction épidermique à une souffrance infligée à une personne proche. « Mais c’était normal », répète-t-elle. Si normal qu’il fallut attendre 1994 pour que Jean-Claude Moscovici songe à lui faire attribuer la médaille de Juste. « Odette faisait pratiquement partie de la famille, elle était si proche que l’on ne pensait pas à cette possibilité de lui faire attribuer une médaille de Juste », nous déclare Jean-Claude Moscovici.
Quand la mort et la haine sévissaient, des liens nouveaux se sont noués, de vie à vie, rétablissant le lien de confiance brisé par les forces de répression. L’inclusion a répondu à l’exclusion. Preuve que face à cette machine collective de répression, l’Histoire n’était pas écrite, que la fatalité ne l’emportait pas à chaque fois. Des grains de sable individuels, de résistance, de désobéissance, pouvaient venir enrayer cette machine, faire « dérailler » au sens figuré les trains de la mort promis aux Juifs. La réponse du faible au fort que l’on voit souvent à l’œuvre dans l’Histoire.

*Il fallait bien les aider. Quand des Justes sauvaient des Juifs en France. Éd. Flammarion.

© François-Guillaume Lorrain

Source: Le Point

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