Lettre ouverte à Bernard Kouchner. “Non, rien, absolument rien, ne justifie l’antisémitisme”. Par Daniel Salvatore Schiffer

Non, rien, absolument rien, ne justifie l’antisémitisme, pas plus qu’aucun autre racisme!

Cher Bernard,

Non, pas toi ! Tu connais mon affection, mon estime et mon amitié pour toi ! Et je sais, moi, l’humaniste, soucieux du bien-être d’autrui, qui a animé sincèrement, généreusement, toute ta vie, ta personne aussi bien que ton travail. Ton œuvre, depuis la création d’organisations humanitaires aussi importantes, admirables et prestigieuses, que “Médecins sans Frontières” ou “Médecins du Monde” en témoigne à suffisance, sans même vouloir évoquer ici, en la circonstance, l’efficace Ministre de la Santé et de l’Action Humanitaire que tu fus jadis sous le règne de François Mitterrand, ou le non moins brillant Ministre des Affaires Etrangères que tu fus également sous la présidence de Nicolas Sarkozy ! 

Mais non, Bernard, ne me dis pas que, toi aussi, comme tu l’as (honteusement) déclaré ce dimanche 20 octobre sur les ondes de Radio J, tu puisses à présent justifier, plus encore que simplement l’expliquer ou même le comprendre, l’antisémitisme sévissant aujourd’hui, à travers le monde, à l’encontre des Juifs en raison de l’actuelle politique menée par Israël dans la bande de Gaza, restée trop longtemps sous la tyrannique férule de ces tortionnaires d’un autre âge, fanatiques sans foi ni loi, que sont les sanguinaires terroristes du Hamas !

Tu as là, avec ces inacceptables propos, blessé profondément, indigné au plus intime et secret de son essence, la conscience juive, nantie de son universalisme, en matière de valeurs morales, quasiment ontologique. Et je ne parle pas ici de religiosité ni de théologie, mais de seule métaphysique (relis, à ce sujet, les impérieux enseignements d’éthique, sous forme d’impératif catégorique kantien, du grand Emmanuel Levinas, Juif d’entre les Juifs et Juste parmi les Justes) !

Non, Bernard, ne me dis pas, non plus, qu’Israël n’a pas le droit, légitime entre tous, de se défendre, pour sa simple survie existentielle, en voulant éradiquer du Liban ces autres fous d’Allah que sont les tout aussi belliqueux islamistes du Hezbollah, cette infâme soldatesque à la solde de l’abominable régime des mollahs d’Iran, et dont le seul but est d’anéantir, de rayer de la surface de cette turbulente région de la terre, l’Etat d’Israël et, avec lui, près de 10 millions d’âmes innocentes, nos frères et sœurs, pour cette seule et unique (dé)raison qu’ils sont Juifs ! 

Certes, mon cher Bernard, est-il dans ton droit de considérer que la réponse de l’armée israélienne, Tsahal, s’avère disproportionnée par les énormes dégâts matériels et humains qu’elle cause, en voulant éliminer les chefs du Hamas et du Hezbollah, auprès des populations civiles palestiniennes ou libanaises. 

Davantage : l’intellectuel, enfant des Lumières, que je suis, profondément attaché aux imprescriptibles principes de la tolérance des idées, accepte donc aussi que tu puisses condamner l’actuelle politique, excessive et contreproductive de ton point de vue, menée aujourd’hui par son Premier Ministre, Benyamin Netanyahou et ses affidés d’extrême droite au sein de l’actuel pouvoir en Israël. Oui : l’authentique démocrate que je m’efforce d’être chaque jour, humblement, respecte aussi cette vision des choses, quant bien même je ne la partagerais pas !  

Mais vois-tu, cher Bernard, tout ceci étant dit et acquis, rien, absolument rien et jamais, ne justifie l’antisémitisme, pas plus qu’aucun racisme d’aucune sorte : être contre la politique d’un pays (Israël, en l’occurrence) ne signifie pas que l’on puisse en vouloir, pour autant, à ses citoyens (les Juifs, dans le cas présent, en leur ensemble) !

Tu vois, mon ami, il m’apparaît là que tu confondes, dans ton argumentation, les niveaux d’analyse, et c’est là une faute grave, plus encore qu’une simple erreur ou maladresse linguistique, sinon approximation conceptuelle : être antisémite en raison de la politique militaire d’Israël est aussi absurde, vide de sens éthique et philosophique, que détester tous les Russes par ce qu’ils sont gouvernés par un dictateur du nom de Vladimir Poutine ! De même, fallait-il, lors de la Seconde Guerre mondiale, haïr tous les Allemands, les mettre tous dans le même sac idéologique, parce qu’ils étaient alors dirigés par un fou furieux appelé Adolf Hitler, le pire bourreau de l’Histoire ? Relis attentivement là aussi, à cet insigne propos, les admirables, émouvantes et compassionnelles “Lettres” d’Albert Camus, publiées en France peu de temps après la Libération, à son “ami allemand”… Quelle magnifique leçon d’humanité, d’intelligence et de compréhension !

Entendons-nous ! Je ne prends là que des exemples particulièrement frappants, flagrants et significatifs, pour la compréhension de ma modeste démonstration ; loin de moi, en effet, l’inepte volonté de comparer l’incomparable : Netanyahou, quels que soient ses torts et ce que l’on puisse penser de lui, n’est pas Poutine, encore moins, bien évidemment, Hitler ! Ils n’a jamais envahi aucun pays, que ce soit Gaza ou le Liban, ni n’a jamais eu l’intention d’exterminer tout un peuple, les Palestiniens. C’est même plutôt le contraire : ce sont les chefs palestiniens du Hamas, les chefs libanais du Hezbollah, les chefs yéménites des Houthis et surtout les odieux ayatollahs d’Iran qui veulent la destruction d’Israël et l’anéantissement des Juifs ! Israël, je le répète, ne fait, légitimement, que se défendre, par-delà même ce que l’on peut certes reprocher parfois à ses méthodes, contre ceux qui ne veulent purement et simplement, comme l’a sauvagement démontré le pogrom génocidaire du 7 octobre, que sa mort. Et au-delà, pire encore si cela est possible, celle, complètement folle, irrationnelle et assassine, des Juifs en leur totalité !

Ainsi, mon cher Bernard, mon ami, mon frère d’âme, mon complice dans tant de combats au nom des Droits de l’Homme et de la Femme, reprends-toi, et sois grand : présente, humblement, tes excuses, pour ta récente et malheureuse dérive langagière, sinon morale, aux Juifs de par le monde, ne serait-ce qu’au nom, sacro-saint, des 6 millions de nos pères et mères, aïeux sans sépulture, qui périrent atrocement, dans d’indicibles souffrances, au cœur à jamais meurtri de l’innommable enfer de la Shoah, ce crime unique dans les annales de l’(in)humanité.

Alors, mon cher Bernard, si tu as ce courage moral, cette honnêteté intellectuelle, cette noblesse d’esprit ou cette grandeur d’âme, nous te pardonnerons, malgré le mal, un douloureux sentiment mélangé de déception et de trahison tout à la fois, que tu nous as fait, probablement (car je sais ta bonne foi) sans le vouloir ni le savoir !

On peut certes critiquer Israël, mais pas le salir !

“Baruch Hashem” (traduction, en hébreu, de “Inch’Allah” ; en bon français “Si Dieu le veut”) ! 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*


*Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, dont « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France) et « Dialogues du Siècle – 7 conversations » (avec Eugène Ionesco, Vaclàv Havel, Günter Grass, Jean Baudrillard, Gillo Dorfles, Francis Fukuyama, Emmanuel Levinas) ; directeur des ouvrages collectifs « Penser Salman Rushdie » (Editions de l’Aube/Fondation Jean Jaurès), « Repenser le rôle de l’intellectuel (Editions de l’Aube), « L’humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir. Contre les nouveaux obscurantismes » (Editions du Cerf). 


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