« Figures du mal ». « La nature exterminatrice de l’antijudaïsme – antisionisme ». Par Michel Gad Wolkowicz

                                           

« Figures du mal » [1]

   1. Le concept du «mal» a été au centre de la psyché collective pendant des siècles, dans les religions (le mal étant intriqué au bien dans le Judaïsme, clivé du bien dans le christianisme, incarné en l’autre dans l’Islam), la morale, les contes, les idéologies, avant paradoxalement d’être effacé après la seconde guerre mondiale et la Shoah, l’événement du mal absolu, puis rendu marqueur de racisme et de fascisme, sous le sceau de l’émergence des sciences sociales et humaines, la sacralisation de la banalité du mal harendtienne, de la French Theory, le déconstructivisme et le relativisme culturel, entre subjectivisme absolu et rationalité instrumentales aussi absolu, importés et remixés sur les campus universitaires et par l’extrême-gauche américaine.

   Paradoxalement, c’est chez leurs héritières, les nouvelles religions séculières, inclusives, dans le stream de la cancel cultur, le wokisme, formant dans la convergence des luttes contre l’Occident, des idéologies victimaires et totalitaires – néo-féministes MacCartystes, anti-racistes racialistes, tenants du dogme du genre, qeers, décoloniaux à géométrie variable, la nouvelle nébuleuse fascifisste, selon la nomination d’Orwell dans les années 1930 des pacifistes collaborateurs objectifs des bolcheviques et des nazis, alliée des islamistes, que les figures du mal feront un retour tyrannique sous la revendication du Droit à tout, à la réparation trans-historique absolutoire des blessures narcissiques et des préjudices anachroniques, de la condamnation toute aussi transgénérationnelle de coupables essentialisés.  

   2. Cest autour du rapport à la transmission, en lien à la question de lidentité et de lappartenance, que se décline le rapport au mal, dont la haine du Nom dIsrael – dessence mortifère et exterminatrice, savère paradigmatique. Un peuple en effet se construit selon un désir et un processus de transmission de la transmission, une éthique de l’entre-deux, singulier/collectif, hasard/surdéterminé/libre-arbitre, bio génétique/symbolique, tradition/création, engageant quelque chose qui échappe, ce qui en est la condition même, ouvrant à l’inconnu, au transfert, à la métaphore, à l’indéfini de la pensée, à l’infini plutôt qu’à un absolu. Un peuple transcendant les liens du sang, et capable de se réinventer, d’affronter le destin y compris celui qu’il s’était donné, de se confronter à un Dieu et à un Livre qu’il s’estinventés et ne cessera de commenter, un destin tordu d’angoisse ou de rire engageant une interprétation plurielle, poly-phonique, -sémique, -scénique, une identité comme construction toujours en devenir, appuyé sur une éthique de vérité et d’élévation de la geistigkeyt (la vie de l’esprit), assumant l’assomption d’une ambivalence, la conflictualisation psychique, ainsi la liberté responsable, et refusant alors la solution de l’absolution chrétienne et de la soumission islamique, celles-ci étant au fondement des projections des parties refoulées sur le bouc-émissaire (dont l’accusation de meurtre de meurtre rituel produite par le meurtre et l’ identification cannibalique à l’enfant-Dieu); à contrario du fonctionnement de groupes dans la reproduction à l’identique, l’auto-conservation clonique et clanique, figés dans une identité mortifiée par une haine mortifère, dans la compulsion de répétition d’une quête d’un objet la légitimant dans l’illusion de dissoudre une honte sous-jacente. De la transmission de la haine comme haine de la transmission!  

  Le Juif est intolérable à lantisémite en tant que passeur des limites au narcissisme absolu, des refusements de la domination de la sensorialité, de la perception immédiate et de la jouissance sans entraves, sur l’intellectualité et le lisible, du nouage du sexuel à l’inconscient, du désir au langage et à la Loi. L’antisémite prête au Juif d’être assis sur le trésor du Symbolique, lui accordant une toute-puissance d’être telle que son existant l’empêcherait lui d’exister, ne pouvant la penser qu’en termes métonymiques de l’avoir. Dans l’envie, l’identification mimétique, la projection, le fantasme de substitution avec vol d’histoire, d’ancêtres, de signifiants, et (auto-)destruction – Paranoïa de masse apathiquement perverse – Le paradoxe de l’antisémite consiste en ce qu’en donnant une valeur infinie au Juif, au-delà des manifestations de triomphe phallique, tirant en l’air des coups de kalachnikov, il fait grimper son sentiment interne d’humiliation[3], comme il attribue ses échecs, ses manques à l’autre-étranger, au risque sinon d’un fratricide. Il a ainsi besoin en même temps d’effacer l’autre et de le maintenir comme objet de projection, ce qui le rend fou… de rage.

3. Après la Shoah, lOccident aura mis 22 ans pour liquider sa honte par le refoulement et la purification au gré d’une culpabilité perverse, au travers des cérémonies de repentance, s’excusant des crimes passés pour mieux couvrir les crimes présents et à venir, et au travers la répétition des slogans conjuratoires – le devoir de mémoire perverti en abstraction d’Auschwitz désormais symbole interchangeable, les «Plus jamais Ça» – précédant les «Israël a le droit d’exister dans des frontières sûres et reconnues», de «se défendre» (avec l’injonction paradoxale de la réplique proportionnée), affirmation compulsive qui aura valeur de négation, «l’Holocauste» désignant le sacrifice humain du Juif, essentiel coupable du pêché originel. Au regard de la Croix de l’Holocauste, le sionisme refusant la position sacrificielle, et en tant que solution politique de la souveraineté du peuple Juif retrouvant sa terre et le droit à la guerre, dans l’élection réciproque de l’Alliance, est intolérable au point de rencontre de l’Europe et de la Ouma musulmane, ainsi que l’a été la victoire inattendue et admirable d’Israël de la guerre des Six Jours de 1967, le Juif s’extrayant «des frontières d’Auschwitz», et des théologies du mépris et de la substitution chrétienne, et de la dhimmitude musulmane. C’est la rencontre ici des prêcheurs de honte et des prêcheurs de haine qui va se répandre avec la nouvelle religion universelle palestinophile, croyant dès le 8 octobre 2023 que la Solution finale, enfin, se réalisait. Plus besoin de cacher que l’anti-sionisme est consubstantiel à la haine des juifs, comme le négationnisme et le révisionnisme le sont de l’extermination. Il n’aura là fallu que 24 heures!

  4. LÉvènement 7 octobre 2023 est constitutif, dune part du massacre de masse à visée génocidaire perpétré sur les israéliens par les nazislamistes palestiniens du Hamas et du Djihad, avec la complicité d’une partie de la population de Gaza, et celle de fonctionnaires des Institutions internationales chargés d’entretenir le statut unique de réfugiés chroniques, et d’autre part de la réaction «universaliste» se déchaînant contre lÉtat dIsraël, forcément responsable et coupable.                                                           

Les Israéliens ont subi une entreprise d’extermination conçue et exécutée dans les moindres détails des atrocités commises sur les nourrissons, voire des fœtus arrachés, coupés en morceaux et brûlés vifs, les femmes violées, éventrées, les organes génitaux détruits, les hommes, les enfants, les adolescents, les personnes âgées, dont certains rescapés de la Shoah, mutilées, assassinées, démembrées, les corps-cadavres profanés, rendus inidentifiables, informes. Il y aura près de1500 morts, 10 000 blessés graves, dont parmi les survivants beaucoup resteront handicapés, mutilés – 250 otages, dont des bébés et des vieillards, terrorisés, torturés, servant de boucliers humains (comme la propre population civile sous le joug du Hamas, sert aussi comme bombes humaines) et de monnaie d’échange, vivants ou assassinés, contre des milliers de terroristes sanguinaires. Les Israéliens, les juifs, ont vécu un traumatisme terrifiant, abyssal, cumulatif, actuel et transgénérationnel, dans labsolue et hallucinante répétition de lÉvènement Shoah, la destruction des Juifs, de plus sur leur propre terre, sidérés, pétrifiés d’angoisse de disparition, et la silenciation et lhostilité du monde, en particulier la trahison des élites, intellectuelles, culturelles, politiques, médiatiques, universitaires. De même que le IIIe Reich avait tout programmé et annoncé. Et réalisé avec la même rigueur, la même centralité de «La solution finale» dans leur organisation, selon juste deux modalités différentes de la même jouissance de la toute-puissance narcissique: celle de l’emprise sur l’autre, sur soi et sur le psychique, par la maîtrise froide des affects chez le Nazi, celle de son exhibition sadique et sa dimension incestueuse, partagée avec les mères notamment, exultant en visio en direct de ce sang juif sur leurs corps. La même haine essentielle du Juif, la même passion de la mort, les mêmes délires de filiation et d’auto-engendrement, avec le déni de l’Histoire et d’une antériorité et le fantasme d’éternalisme ou de millénarisme. 

  Le monde se réveillant un samedi en apprenant cet «incroyable» pogrom, le plus important massacre de juifs depuis la Shoah, saisi, effrayé, ne pouvant pas éviter de voir au moins quelques images diffusées dans les médias des vidéos filmées et diffusées par les terrorisées eux-mêmes, a pu sous le choc, éprouver de l’empathie, une journée, les gens s’identifier aux centaines de jeunes poursuivis et abattus sur un terrain vague près de la frontière, en pleine fête, dansant, chantant, et aux familles décimées, dans leurs kibbutz, leurs maisons, et surtout prenant conscience que ce sont les mêmes islamistes en Europe, formatés de la même façon, selon la stratégie des salafistes et des Frères Musulmans, passant à l’acte des discours, même isolés, habités d’une psychologie des foules. Mais, et peut-être à cause de Ça, le rejet de l’horreur, face au déshumain et à cette rupture anthropologique effrayante, impensable, ou serait-ce la haine commune des juifs plus importante que la raison et que l’auto-conservation (ainsi les homosexuels et trans, les idiots utiles en tous genres, les étudiants s’héroïsant d’une keffieh autour du cou s’époumonant «Free Palestine de la rivière à la mer», ignorant de l’Histoire, de la géographie, et surtout qu’ils seront les premiers à être lapidés, pendus, comme ils le sont déjà dans les territoires palestiniens), dès le 8 octobre et avant même toute réplique de défense de l’armée israélienne qui en fait ne s’amorcera que 3 semaines plus tard, les rôles sont inversés, bourreaux-victimes, les Israéliens déjà accusés de désirs de vengeance impardonnables, (alors que les Judaïsme interdit la Loi du Talion) puis d’apartheid et de génocide, de tuer volontairement des enfants, et des femmes dont des organes seraient prélevés (dixit la syrienne nouvelle députée européenne Rima HaSSan, sans être inquiétée) selon les accusations rituelles, les occidentaux jubilant en reprenant aux mots à mots les mensonges pourtant connus et prouvés du Hamas.

   Le négationnisme et le révisionnisme sont consubstantiels à lextermination

Exterminare: il s’agit de mettre hors monde trans-subjectif le peuple Juif, paria, hors humanité, hors espèce. Pas un semblable-différent. Si on doit reconnaître après la précipitation, tel le Président Macron sur X, à reprendre l’accusation palestinienne de bombardements assassins par Tsahal sur l’Hôpital de Shifra, que c’est en vérité l’effet de tirs de roquettes «ratés» du Djihad, il n’en reste pas moins que si Israël n’est pas coupable de tel fait, il restera essentiellement responsable. Et nonobstant les dizaines de milliers de victimes, morts, blessés, les cent mille citoyens israéliens du sud et du nord devant être déplacés dans leur propre pays, malgré les efforts éthiques et pratiques uniques dans l’Histoire militaire réalisés par Tsahal pour épargner les civils au maximum, on assiste à une confusion des langues, à l’anéantissement  du langage, inversant à loisir «génocide» et «guerre», terrorisme et résistance. On exige d’Israël de se charger de l’aide l’humanitaire à Gaza pour ceux qui précisément les agressent et les traitent de façon inhumaine, aide détournée par les terroristes au su de tous; en France, on exclut manu-militari des manifestations féministes les femmes israéliennes, violées, torturées, et l’ONU, qui n’a jamais condamné l’attaque et le massacre du 7 octobre par les palestiniens, et l’Iran pour sa responsabilité directe dans la guerre généralisée contre Israël, ni le Liban et le Hezbollah n’ayant pas respecté les résolutions de retrait de 2015, et qui bombardent le territoire israélien depuis 9 mois, forclos les victimes israéliennes de la Journée d’hommage international aux victimes du terrorisme! 

   5. Quel est le nom de ce mal qui saisit, agit, nos lâches prétentieux, participant au déchaînement de haine, totalement décomplexé, avec une joie enfin libérée, matinée d’un maquillage d’indignation morale purificatrice et héroïsante (Ah, Hessel!), bien sûr uniquement fixés sur l’éternel Nom de trop – Israël. Mais l’absolution est encore plus efficace et élégante lorsque sont adoptées des postures «d’équilibre», de réflexion profonde semblant tenir compte des multiples facteurs sous-jacents aboutissant aux spécifiques formules du désaveu pervers, «oui, mais quand même», «en même temps», du souci de «la région» et du monde, et même d’Israël, de «neutralité» complaisante et hypocrite.

Quelle est la généalogie de pensée, de croyances, de peurs, qui a amené l’Occident – à cette fascination adhésive passionnelle au palestinisme, qui s’avère la voie royale d’incorporation dans l’Islamisme? Serait-ce l’effet de la faillite des instances censées être garantes des marqueurs civilisationnels (tels le Droit, l’Histoire), validant les dénis et délires et les chantages de la majorité compacte d’Etats anti-démocratiques, répressifs et assassins, piétinant tous les jours les droits minimums de l’homme et de la femme? Ainsi 80% des résolutions votées à l’ONU visent Israël, épargnant entre beaucoup d’autres l’Iran, l’Irak, les dictatures du Golf, la Russie, le Pakistan, la Syrie, le Yemen, le Venezuela – à cette emprise idéologique suicidaire, liberticide, féminicide, chez les enseignants, les journalistes, les représentants auto-proclamés du monde de la culture? Quelle attirance mimétique et violente précipite hypnotiquement aujourd’hui une masse de jeunes étudiants de milieux socio-culturels divers, vers les idéaux totalisants et les régimes totalitaires, dans l’idolâtrie de tyrans, couvrant une arrière-mère archaïque omnipotente? Pour la sauvagerie la plus crue, associée à l’idolâtrie et à la naturalité, à l’ignorance et à la destruction, à la résistance à la temporalité, dans le refus de l’investissement dans l’étude, dans l’interprétation d’un texte sacré comme un rêve, et d’un rêve comme un texte sacré? Une totalité, un absolu, en absence d’idéaux, en écroulement des repères, des cadres, structurants et symbolisants, en effacement de la figure du Père, au nom d’un égalitarisme indifférenciant, en deçà de l’idolâtrie de l’Autre? Serait-ce le besoin de croyances, dans une société sans fond commun, une culture du narcissisme entretenant l’illusion du Tout-possible, du Tout-savoir au travers les réseaux sociaux, dans des relations uniquement horizontales, en formations-miroir, en hordes sans vérité ni mémoire ni langage; et l’indifférenciation entre principe de réalité et dimension du fantasme, l’absence de dialectique entre singulier et collectif, dette et gratitude. 

   Freud qui pourtant ne pouvait imaginer la destruction qui allait se concrétiser, (il ironisait sur le fait qu’au moins aujourd’hui (1933) on ne brûlait que les livres, et non plus les hommes» qui étaient jadis conduits aux bûchers: il ne saura pas que ses soeurs et la moitié de son peuple seront réduits en cendres) écrivait que «la culture avait conclu un pacte avec la barbarie», que l’antisémitisme était une réaction narcissique au Judaïsme, véritable monothéisme et religion du père, par le christianisme, religion idolâtre du fils et de la mère désexualisés, à la jouissance incestueuse déniée, l’extrême-gauche étant l’héritière «débaptisée» du paulinisme, tentant d’imposer avec d’autant plus de violence ce qui participe d’un retour du refoulé inconscient que celui-ci est dénié: universalisme indifférenciant à contrario de l’ethos de l’universel du singulier conjugué à un processus de subjectivation et au libre-arbitre, masochisme narcissique de mort, valeur suprême de l’amour-fusion contre la Loi et l’altérité responsable, de pensée et d’action, et par l’Islam obligeant à la soumission anti-œdipienne. Quel avenir de lillusion, quel malaise dans, de la civilisation, amènent à un tel renoncement, une telle déliaison, à une telle haine de soi, et à une telle jouissance (auto-)destructrice? De quelle passion involutive s’agit-il, en miroir inversé de l’image insupportable que l’Occident a d’Israël?

© Michel Gad Wolkowicz [2]


Notes

[1] Wolkowicz M.G. (dir.), Figures du mal, In Press, Paris 2024

[2]Professeur de psychopathologie, Universités Paris-Sud; Tel Aviv, Glasgow, Institut Elie Wiesel; psychanalyste; Président de l’Association Internationale Inter-Universitaire Schibboleth-Actualité de Freud. Derniers ouvrages parus: Wolkowicz M.G. et Bar Zvi M. (dir.), Si c’était Jérusalem, Paris, In Press (coll. Schibboleth – Actualité de Freud), 2019; Wolkowicz M.G. (dir.) : La transmission en question(s), Paris, In Press, 2020; Wolkowicz M.G. (dir.) : L’identité en question(s) – Qu’est-ce qui fait peuple? / Le Sujet Juif (Dir.), In Press, 2022; Wolkowicz M.G. (dir.), Alain Kleinmann – Une œuvre, de la mémoire à la transmission,  éditions Hermann, Paris, 2023.

[3] Les échanges disproportionnés d’otage(s) israélien(s) contre des prisonniers terroristes :1. Guilat Shalit contre 1027


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