Des oiseaux de passage au Café des Psaumes. Par Charles Baccouche

S’envolent nos pensées comme des oiseaux de passage qui traversent l’azur de leurs vol rapide. Ils planent au-dessus de la rue des Rosiers pour se poser un instant au Café des Psaumes, comme s’ils devaient souffler avant de reprendre leurs rudes travaux. 

Ces  gens aux yeux clairs sont des oiseaux qui depuis des éternités, se répandent  sans cesse ni repos, chassés par les démons qui hantent les espaces assoiffés du sang des innocents. 

Ils n’ont ni lieux ni feux, ils sont poursuivis, souvent déchirés, sans disparaitre au grand dam de leurs bourreaux.

Ils ont connu la misère et les malheurs du temps. Ils ont connus les baraques pourries, les châlits puants, sur lesquels  squelettiques, ils devaient s’allonger dans des espaces étroits, couverts de vermine.

Ils ont connu la faim  qui talonne, torture et dessèche les corps.

Ils cherchaient leur nourriture à quatre pattes en quête d’un brin d’herbe, tant les liquides qu’on leur servait étaient insipides. 

Ils devaient courir sous les fouets cinglants pour des travaux inutiles et dégradants.

Ils ne connaissaient au bout de leur chemin de souffrances que la mort nazie.

Ils ne savaient pas qui serait le prochain à courir nu, sur la «  rampe » vers les chambres à gaz.

Les rescapés survivants de l’enfer des camps, réapprirent à vire  à respirer l’air de la liberté, marqués par les années de la noire folie. Ils ont fondés de petites entreprises, se sont mariés et d’autres non. Ils ont conquis leur indépendance, et certains se sont retrouvés au hasard ses rencontres dans des lieux d’eux seuls connus. J’en ai croisé au Café des Psaumes, un endroit étrange qui doit être enchanté car il vous envoute dès que vous en franchissez le seuil. Il vous semble subitement, que vous l’avez toujours connu, que vous rentrez chez vous.

Une longue banquette et une légère boisson vous attendent.

La grâce de ce café pas comme les autres, n’est pas étrangère à l’aura subtile et amicale qui enveloppe les lieux.

C’est là, que j’ai rejoint un cercle de gens au sourire malicieux, que renforçaient de fines rides  sur des visages au charme inimitable.

Le plus assidu avait l’accent yiddish prononcé, en disant «  On a le temps » 

Lui l’enfant d’une ville polonaise sans mémoire, a écrit un livre sur son incroyable destinée 

L’américain imprévu, et son inséparable ami à l’esprit fin avaient eux aussi, rencontré les monstres.

Lui encore, plus Ashkénaze que d’autres, s’amusait de ses inépuisables witz (blagues ashkénazes), 

Et lui, homme de bien, jovial et chaleureux aux larges bretelles, qui appréciait nos échanges.

Et le danseur dont je ne sais plus le nom, qui esquissait des pas de deux comme un vrai mondain et riait de lui-même.

Et tous les autres que je n’ai pas connus, mais dont le Maître des lieux pourrait vous conter sans fin, l’Histoire et leurs histoires. 

Ils revenaient tous de l’enfer et n’avaient plus peur de rien.

Ils formaient un cercle concentré qui s’ouvrait amplement à ceux qui ne posaient pas de question. Ils déversaient leurs sourires comme une cascade fraiche qui apaise le voyageur après une longue traversée.

Puis le temps a fait son œuvre. Peu à peu, ils sont partis rejoindre les étoiles.

Le Café des Psaumes a réuni des personnes que rien n’aurait rapprochées sans cette mystérieuse attirance qu’il exerce dès qu’on en franchit le seuil.

Je me souviens de notre géant débonnaire au grand cœur et à la grande voix qui s’en est allé à pas de loup, voir loin au fond des cieux, si un café semblable pourrait le recevoir.

Et Lui qui disperse à tous les vents des secrets connus de tous et qui se désole de ne pas pouvoir transmettre sa science.

Lui au verbe haut qui lance ses compliments dans tous les sens et explique ce que tout le monde sait, avec une conviction méritoire.  

Les guitares chantent, du folk, des romances par des notes qui s’égrènent dans l’air palpitant de la rue des Rosiers.

Il serait inconvenant de pas inviter à cette évocation la Responsable et les Bénévoles, qui servent tout le petit monde du Café des Psaumes. Les plus nombreuses sont les femmes aimables et dévouées qui se dépêchent de monter les boissons et de servir la banquette. Parfois, des jeunes filles et jeunes hommes venus d’ailleurs, se risquent à entrer dans la danse feutrée de cet endroit improbable.

Bien sûr les cours, les conférences et les concerts se succèdent, tous d’une extrême qualité.

Tout cela ne serait pas, sans la bienveillante vigilance du Responsable qui déroule la vie des visiteurs qui tels les oiseaux de passage se posent un instant au Café des Psaumes. 

25 septembre 2024

                                                           Charles Baccouche

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1 Comment

  1. Émouvant ! Je n’y suis jamais entré pensant qu’il s’agissait d’un café fréquenté par des religieux de stricte obédience . J’ai lu cet article ciselé par les souvenirs et le talent . J’irai dorénavant !

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