“Les vies de Jacob” par Boltanski

369. C’est le nombre de Photomatons que Jacob B’Chiri a pris de lui-même entre 1973 et 1974. À quoi pouvaient bien servir ces autoportraits qui le montrent tantôt avec un visage souriant ou troublé, tantôt avec un rire forcé ou avec un rictus de peur ? Des attitudes qui paraissent si familières et si lointaines à la fois ? Quel mystère recèlent-t-elles ? Quelle vie se chache derrière cette répétition sans fin, cette série digne du Pop-Art ou des Nymphéas de Monet (merci Grégoire) ?

Je lis ces jours-ci « Les vies de Jacob » de Christophe Boltanski, écrivain et journaliste, auteur de « La Cache », Prix Femina 2015.

Et ce livre a provoqué chez moi toutes sortes de réactions, mais incontestablement un grand plaisir de lecture. Un bonheur que je voudrais partager avec vous.

En ouvrant un album en mauvais état, ramassé aux puces, Christophe Boltanski est aussitôt happé, intrigué, questionné par des dizaines de clichés de photomaton, classés par dates. Des figures de quelqu’un, rapidement identifié, toujours le même mais à chaque fois un autre. Avec ses visages, ses attitudes et ses habits multiples (barbu ou glabre, en uniforme ou en chemisette décontractée, …) à quoi joue Jacob et qui est-il ? Un acteur, un steward, un espion ? Quelqu’un d’autre encore ?

Glanés au fil de ses recherches, les détails découverts dans l’album pourraient devenir pour Boltanski des indices – ou des trompe-l’œil, comme ces adresses écrites au dos des clichés qui loin de donner à l’auteur et narrateur des réponses approfondissent encore l’énigme. Une énigme qui va le mener de Rome à Bâle, de Marseille à Barbès, jusqu’à Djerba, Ra’ananna et Beersheva…

J’ai pensé à « Attrape-moi si tu peux », aux « Mille et une vies de Billy Mulligan » de Daniel Keyes (l’auteur de « Des fleurs pour Algernon ») et au « Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet, Photomatons obligent…

D’ailleurs, étrange boite à images et à autoportraits que ce photomaton… Cellule photographique (surveillée par l’œil d’un maton) au fond uni et au tabouret qui tourne (on s’amusait, enfant, à le faire tourner pour devenir plus grand ou au contraire pour se rapetisser). Tout le monde y est passé un jour, s’enfermant volontairement dans cette boite étroite, face à un écran/miroir qui semble discuter avec nous et nous oblige à relever la tête pour que nos yeux soient à la bonne hauteur…

Quatre francs à l’époque de Jacob (beaucoup plus aujourd’hui) et une planche de quatre photos d’identité qui sortait (qui sortent encore) comme par magie à l’extérieur de la boite dans un bruit de ventilateur venant sécher l’encre de la photo à peine imprimée…

Ancêtre du selfie, le photomaton est ici l’une des armes narratives les plus puissantes qui soit pour Boltanski qui s’adresse tout au long du livre à cet inconnu à la fin tragique le questionnant sans cesse pour le comprendre. Essayer de le faire en tous cas.

Voici un extrait de ce très beau et bouleversant roman que je vous conseille de lire (il est sorti en 2021 chez Stock, mais il est disponible désormais en Folio Poche) : « Pris de face, de profil ou de trois quarts, sur un fond vide, tu témoignes d’une solitude humaine ordinaire.

Tu ne te contentes pas d’interroger l’omniprésence de l’image dans notre société de consommation, tu questionnes aussi la notion même d’identité. L’autoportrait conduit fatalement à une introspection, à la poursuite d’une vérité à la fois universelle et singulière. »

© Gérard Clech

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