Rentrée Littéraire. Le nouveau Bouillier: Le Syndrome de l’Orangerie, une plongée vertigineuse au cœur des Nymphéas

[Rentrée Littéraire] Le Syndrome de l’Orangerie, une plongée vertigineuse au cœur des Nymphéas

Vous en connaissez beaucoup, vous, des auteurs français contemporains qui, avec maîtrise et humour, sont capables d’invoquer pêle-mêle, au fil d’une enquête sur Monet et ses Nymphéas, exposés sous forme de panneaux géants au musée de l’Orangerie, Edgar Allan Poe, Tintin et le professeur Tournesol, Georges Clemenceau et Sacha Guitry, Freud et Antonioni, Kafka, Rothko, Beckett, Sam Francis, Vivaldi et tant d’autres ? Moi non ! 

Par les temps qui courent, je ne pense qu’à l’un d’entre eux et à son nouvel opus(1), moins épais que le précédent(2), mais tout aussi jubilatoire: Grégoire Bouillier ! 

Et n’imaginez pas que ce roi de la digression gracieuse et de la parenthèse enchantée (son utilisation des parenthèses tout au long du texte est un pur bonheur de lecteur) soit un adepte du « name dropping ». 
A mesure que progresse l’enquête et le syndrome de Baltimore ou B.More, double de Bouillier, qu’on avait déjà tant aimé dans « Le cœur ne cède pas »(2), on jubile de l’érudition de l’auteur et de sa confrontation avec le réel par l’art et vice-versa, exploitant aussi au passage, au détour d’un paragraphe, des souvenirs personnels douloureux ou un rien drolatiques. 

Si on a prêté à Flaubert la fameuse saillie apocryphe « Madame Bovary c’est moi« , on serait tenté de faire dire à Monet « Les Nymphéas c’est moi » (et Bouillier c’est Monet ?). Mais en quoi ce grand peintre de l’impressionnisme peut-il être assimilé à ces plantes aquatiques, de genre masculin ? 
Tout simplement, nous explique Bouillier, car ces œuvres « nénupharesques » par dizaines, à la fois si semblables, si répétitives et jamais vraiment identiques, représentent 40 années de vie et de labeur. Le révélateur (et le fixateur) d’une vie chahutée et la transcription en tableaux, jusqu’à la cécité puis la mort, d’une réalité qu’il a lui-même façonnée de toutes pièces dans son jardin extraordinaire de Giverny.

De Giverny à Auschwitz 

Un jardin, luxuriant et maîtrisé à la fois, que Bouillier (pardon, Baltimore) va visiter avec dans les yeux et le cœur les images… du camp d’Auschwitz-Birkenau qu’il vient de découvrir deux jours plus tôt, sans le préméditer, à la faveur d’un voyage à Cracovie pour la promotion de son précédent opus (« La réalité a le génie de nous mettre dans des situations impossibles » concède-t-il).

Qui, hormis Bouillier et sa maestria, auraient pu dresser sans que cela soit scabreux ou stupide, un parallèle entre le voyage à Giverny au départ de Paris 15ème où il habite et celui entre Cracovie et Oswiecim (autrement dit Auschwitz-Birkenau), de l’autre… ? La même distance de 70 kilomètres et des brouettes à l’ouest (rien de nouveau) et cette sensation, improbable mais prégnante, d’accomplir le même chemin… (« Tout semblait faire écho. Se confondre et se redoubler. Comme un voyage sans fin« , écrit-il.)
  
Mais quel rapport peut-il bien y avoir entre le jardin fleuri, coloré et japonisant, impressionnant autant qu’impressionniste, du vieux maître barbu de Giverny, et l’espace fantomatique au goût de cendres dans la campagne polonaise qui prétendait que le travail rend libre… La visite des deux se mélangeant qui plus est allègrement dans le cerveau de l’écrivain, dont les pages sur la Shoah s’avèrent bouleversantes.  Je vous laisse découvrir tout cela, car divulgâcher n’est pas jouer…

De la grande littérature

… Comme je vous laisse découvrir le reste de l’histoire… Car quand on s’adonne, comme moi, à l’écriture de chroniques littéraires, il faut avoir en tête que raconter de A à Z une intrigue à ses lecteurs c’est comme dévoiler le coupable d’un bouquin d’Agatha Christie avant même d’en avoir lu la première page. Il n’y a guère que chez Columbo qu’on connaît le coupable dès les premières minutes d’un épisode… Mais ça n’est pas de la littérature ! 

Alors que « Le Syndrome de l’Orangerie » c’en est. Et de la grande. De la bonne. De celle qui donne envie de lire sans fin, d’écrire (un peu) comme son auteur, s’inspirer de son style, alors qu’on sait pertinemment qu’on ne lui arrivera pas à la cheville…

Dans ce livre flottant comme un nénuphar à la surface d’un étang d’eau, Grégoire Bouillier nous transmet cette angoisse existentielle qui l’étreint à la découverte des « Nymphéas ». Il nous permet de l’accompagner dans son enquête sensorielle et multidimensionnelle sur le peintre impressionniste et sur ses œuvres monumentales exposées de façon si particulière au Musée de L’Orangerie à Paris. 

A grand renfort de zooms qui le font entrer en profondeur dans les peintures de Manet, comme Mary Poppins et le gamin qu’elle garde entrent à pieds joints dans les dessins à la craie sur les trottoirs de Londres – les rires et les chansons en moins, l’auteur nous invite à une plongée (parfois en apnée) et à une profonde réflexion sur le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, l’art et la guerre, la mort qui se love au cœur de la vie. 

Rebondissant sans cesse, au gré des questionnements de Baltimore, l’enquête nous livre lentement des secrets comme un thé capiteux infusant au fond d’une théière japonaise. Elle déconstruit certaines illusions morales autant que d’optique et nous aide à franchir l’espace qui sépare radicalement (ou pas) l’artiste de l’homme. 

Je conclurais en disant que j’applaudis à ce livre majuscule et son auteur itou.  

© Gérard Kleczewski

(1) Le syndrome de l’Orangerie, Grégoire Bouillier. Editions Flammarion. 430 pages. 

(2) https://www.tribunejuive.info/2022/10/07/gerard-kleczewski-le-coeur-ne-cede-pas-de-gregoire-bouillier-un-grand-roman/

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