Un entretien avec Hamid Enayat. Elections en Iran : « Il faut cesser de croire que cette théocratie religieuse liberticide est un État de droit »


Le 5 juillet dernier, Massoud Pezeshkian, candidat se présentant comme  » réformateur « , a été élu président de l’Iran avec plus de 53 % des voix. Le scrutin a été marqué par une forte abstention et la division des conservateurs. Mais que peut-on attendre réellement d’un homme qui, dès le début de sa campagne, a affirmé sa loyauté au guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei ? Politologue spécialiste de l’Iran et collaborant avec l’opposition démocratique iranienne, Hamid Enayat répond. Interview.

Que peut changer l’élection du réformateur Massoud Pezeshkian dans un pays où les conservateurs gardent la majorité et où les gardiens de la révolution restent un Etat dans l’Etat ?

Il faudrait cesser de croire que cette théocratie religieuse liberticide, est un État de droit, avec des élections normales, et des résultats annoncés scrupuleusement corrects ! Tout sur le terrain indique que les électeurs ont massivement boudé le deuxième tour aussi, contrairement à ce que dit le pouvoir, davantage même que le premier tour de cette présidentielle où ils n’auraient été que 40 % à voter. Le régime n’annonce une hausse de la participation que pour se crédibiliser car depuis 2017, elle est en chute libre. Selon les évaluations fournies sur place par les réseaux des Moudjahidine du peuple, seuls 12 % de la population aurait réellement participé au premier tour et 9 % au deuxième. Cette élection est donc une farce. Et même si l’on s’en tenait aux chiffres officiels, cela veut dire que Pezechkian a été le président le plus mal élu depuis 45 ans en termes de voix. Ceci précisé, en Iran, un président n’est qu’un chef de gouvernement et s’il avait la volonté de réformer, il resterait soumis aux oukases du guide suprême dont le pouvoir reste absolu. Sa marge de manœuvre est donc infime. Ce mercredi, il a d’ailleurs réaffirmé que « les lignes politiques générales du régime, dictées par le guide suprême, seront le plus important programme de travail » de son gouvernement.

Son élection ne serait donc qu’une concession de façade ? Une forme de diversion pour calmer la colère des Iraniennes et des Iraniens qui ont manifesté contre le régime après la mort de Mahsa Amini, dans le mouvement Femme Vie Liberté très durement réprimé ?

Le guide suprême a autorisé Pezeshkian à se présenter en espérant augmenter la participation. Il l’a choisi lui et pas un autre car ce chirurgien, ancien ministre de la Santé, reste un conservateur ne vantant que de timides réformes. Concernant le port obligatoire du voile, comment les femmes pourraient-elles lui faire confiance alors qu’il se vante d’avoir rendu obligatoire le hijab dans les hôpitaux et les universités dès le début de la révolution ? Cela fait longtemps que les Iraniens considèrent que « conservateurs  » ou « réformateurs » ne sont que des instruments pour perpétrer la théocratie, aucun ne reculant devant la répression. Il n’y a aucun espoir dans le système, cela a été prouvé durant le soulèvement de 2022. Le peuple a dit qu’il ne voulait aucune dictature ni celle du chah, ni celle des mollahs et les raisons de la volonté du renversement persistent : la répression, l’inflation, la corruption, l’apartheid contre les femmes… Ce nouveau leurre est-il le résultat de l’affaiblissement du guide suprême après la disparition de son fidèle président, Ebrahim Raïssi ? L’avenir le dira. Le seul espoir du peuple est de voir des rivalités désormais engagées au sommet du système, ce qui peut ouvrir des opportunités de révolte.

Massoud Pezeshkian prône une politique de la main tendue : le dialogue avec l’Occident, les États-Unis, l’Europe, peut-il être relancé ?

Il peut être sincère, mais les relations avec l’Occident, les ingérences dans la région, la guerre engagée au Proche-Orient sont des domaines réservés du guide suprême, avec la haute main sur les gardiens de la révolution. Même si le dialogue est relancé, ce sera par la seule volonté de Khamenei, avec pour objectif de gagner du temps pour un régime ébranlé par la menace d’une nouvelle insurrection.

Quel pouvoir réel aura ce président sur les dossiers qui menacent d’embraser le Moyen-Orient, la guerre entre le Hamas et Israël, le risque de conflit avec le Hezbollah ?

Les premiers échanges de Pezeshkian avec Hassan Nasrallah le chef du Hezbollah et avec Bachar al Assad, en Syrie, en disent long sur ses intentions d’œuvrer dans la continuité. Pour autant, Khamenei sort affaibli de cette élection. Sa politique régionale sera perturbée par les guerres de clans internes. Toutefois, il va continuer ses ingérences bellicistes car il n’a plus aucune possibilité d’ouverture.

Un retour aux négociations sur le dossier nucléaire est-il possible ?

Un retour est toujours possible là aussi pour gagner du temps, comme par le passé. Mais le guide suprême ne peut que continuer les projets nucléaires et balistiques, sans quoi il perdrait la face.

Comment le nouveau président pourrait-il relancer le pays qui vit une profonde crise économique ?

L’économie iranienne est ruinée et il n’a aucune issue en vue. Le régime tout entier est un système ultralibéral sauvage avec une direction politique et idéologique fasciste, au service des holdings dominés par les gardiens de la révolution et les fondations religieuses dépendant de Khameneï. Un tel système est condamné à s’effondrer et disparaître un jour.

Propos recueillis par Pierre Challier

Hamid Enayat est Politologue, spécialiste de l’Iran et militant pour les droits de l’homme

https://www.ladepeche.fr/2024/07/14/elections-en-iran-il-faut-cesser-de-croire-que-cette-theocratie-religieuse-liberticide-est-un-etat-de-droit-12078453.php

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1 Comment

  1. Les similitudes entre l’Iran et la France ou l’Europe de l’ouest sont de plus en plus frappantes _ y compris dans la manière d’agir des dirigeants. Mais il existe tout de même une différence majeure : la jeunesse iranienne finira par se débarrasser de son pouvoir islamonazi,alors que la jeunesse « européenne » (près de la moitié des électeurs français de 18-25 ont voté NFP : des barbares) suit le chemin inverse.

    Le nouveau drapeau français : https://x.com/K7611Kinski/status/1810072403986276634

    Je n’ai d’ailleurs pas voté au 2nd tour des législatives _ pour la même raison ayant poussé la majorité des Iraniens à s’abstenir. Il n’existe qu’un seul moyen de se libérer d’un pouvoir islamonazi…On le fuit ou on le renverse.

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