Charles Meyer. La vraie question n’est pas celle de la radicalité, mais celle du courage

La semaine dernière, un sondage a attiré mon attention, le seul : une majorité de Français sondés, tout en rejetant le RN, exprimaient qu’ils n’étaient pas dupes de la tambouille du second tour provoquée par les désistements et le jeu des reports.

Autrement exprimé, non seulement le vote de dimanche ne traduirait pas une adhésion, ni un « sursaut » contre le RN, mais il traduirait une marque de dépit, une forme inquiétante de résignation.

C’est de cela dont je voudrais vous parler.

De ce point de vue, l’amateurisme de beaucoup de candidats RN et le manque d’épaisseur de Bardella sont des arguements tout à fait recevables, mais non déterminants. Après tout, ce procès peut être fait à beaucoup d’autres partis, au centre et à gauche.

À part quelques cocus de conviction, qui vont certainement se réveiller demain ou après demain, en pensant avoir voté Mélenchon et qui réaliseront qu’ils ont fait réélire Borne et Macron, à part un électorat « Horizons » qui ne sera (peut-être) pas si facile à rouler dans la farine la prochaine fois, les gens qui ont fait « barrage », dans leur immense majorité, ont sans doute eu peur de quelque chose. Mais de quoi exactement ?

Croient-ils réellement au péril fasciste, à la reductio ad hitlerum, ad putinum de Marine le Pen et du RN ? Je ne crois pas un mot de cette fable servie par les éditorialistes et je formule pour ma part une autre hypothèse.

La peur qui s’est exprimée dimanche n’est probalement pas celle du RN, elle est bien pire que cela : c’est la peur d’affronter de face les problèmes que soulève le RN (qu’il ne résoud pas forcément).

La majorité des électeurs veulent la paix, à tout prix, quitte à renforcer les conditions du chaos, du moment que le problème ne se pose pas dans l’immédiat. De ce point de vue, le suffrage court-termiste de dimanche a scellé une sorte d’alliance objective des électeurs avec Macron.

Les Français en majorité ont fait barrage, mais il n’y a rien de moral dans ce geste : ils veulent juste partir en vacances, voir les JO et ne pas avoir d’émeutes

Les Français en majorité ont fait barrage, mais il n’y a rien de moral dans ce geste : ils veulent juste partir en vacances, voir les JO et ne pas avoir d’émeutes.

De manière structurante, je place cette touille bien au-dessus de l’amateurisme du RN.

Je pense donc qu’inconsciement, mais l’avenir le dira, les vérités que soulève le RN ont agi sur ce vote des Français autant que la peur corrélative qu’elles provoquent chez eux.

Hollande et sa bonhomie rassurante l’ont très bien compris. Ce qui est arrivé dans l’entre deux tours était en réalité largement prévisible. Je l’écris depuis trois semaines.

Collectivement, nous sommes entrés dans une crise pofonde contre laquelle se réduisent d’année en année les marges de manœuvre, rendant toute réponse politique immédiate impossible. Depuis 2017 et le basculement vers le grand n’importe quoi général que nous vivons, la meilleure réponse à cet état de fait n’est sûrement pas de rechercher auprès des partis politiques existants ou des vedettes politiques qui se présentent à nous des réponses à des questions que ces gens ne se posent même pas.

Ce que l’on peut qualifier de pensée de longue distance, ou de long terme, devrait dans les temps présents nous inciter pourtant à voir de face les périls existentiels qui menacent non seulement notre avenir, mais noircissent déjà notre présent. Pour relever la tête, il faut voir grand et surtout loin. Le rapport au temps est essentiel et l’offre politique devenue dépendante des dictats d’une financiarisation aveugle ne le permet pas : il faut sortir du carcan de l’immédiateté qui est le plus grand imposteur de la vie des Cités au service de l’immobilisme.

La pensée de long terme définit nos marges de manœuvre, en nous offrant un sens. Aucune société ne survit sans elle, parce que précisément, c’est le sens qu’elle donne qui permet aux individus de devenir les acteurs à la fois uniques et solidaires de leur sort. C’est le contraire de la résignation.

Tout cela tend vers une valeur cardinale de la démocratie, la liberté, que j’ai toujours définie comme une puissance ultime de notre volonté.

Dépourvus de sens, sans idéal, ni avenir clair à défendre ou à revendiquer, à quoi bon ? À quoi bon se payer des émeutes ? À quoi bon risquer un an d’instabilité permanente et d’inconnu ?

Voilà sans doute plus concrètement ce que se sont dits beaucoup de Français, plus ou moins consciemment, dimanche dernier.

Et cette peur, ou cette résignation, me terrifient beaucoup plus que l’amateurisme d’un parti ou la perspective d’avoir en son sein quelques détraqués xénophobes, ou tout simplement pas au niveau.

D’ailleurs, les Français ont voulu éviter l’inconnu, les émeutes, l’instabilité économique et le chaos : mais l’obtiendront-ils, cette paix qu’ils veulent à tout prix ? Réussiront-ils seulement à sauver leurs vacances et les Jeux Olympiques ?

J’espère sincèrement me tromper, mais nous n’avons pas fini de payer l’addition et le prix de cette paix à durée très indéterminée risque de devenir absolument insensé à mesure que l’on repoussera à demain ce qui devait être fait avant-hier. Pour le dire plus fondamentalement encore, affronter de face le présent et l’avenir nous aurait sans aucun doute amenés à d’autres alternatives que celle d’avoir à choisir entre continuer à avoir peur du RN ou choisir le RN.

En attendant, il faut se préparer à une législature des couleuvres, à une vie publique totalement frustratoire. Ce sera 30 provocations par jour : le meilleur de l’ancien ET du nouveau monde ( « en même temps « ).

Dans ces conditions, puisque la violence semble plébiscitée par des politiques de gauche qui appellent désormais à marcher sur les Palais nationaux à la première contrariété, nous allons devoir sérieusement envisager des situations que nous ne rencontrions jusqu’à présent que dans les livres d’histoire.

Passons un bel été en attendant, un été normal, un été comme les autres. Nous l’avons malgré tout acheté, certes à crédit, alors profitons-en ! Ci-dessous le jeu de l’été pour le moment, un simulateur de majorité qui, je l’avoue, m’a beaucoup fait rire !

© Charles Meyer

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1 Comment

  1. Pour ma part j’ ai fait  » barrage  » à cause du problème de la binationalité qui a été relancé par le RN alors que Marine Le Pen avait dit enterrer cette histoire. Je pense en particulier aux franco-marocains qui ne peuvent abandonner la nationalité marocaine et doivent donc abandonner la française dans l’ hypothèse d’ une suppression de la binationalité.

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