La transmission du savoir, et donc de l’Histoire, est antérieure à l’avènement de l’écriture, et est indissociable de la notion de civilisation. L’Histoire ne commence pas avec l’écriture, mais avec l’Homo Sapiens qui sait d’emblée que l’homme pensant ne se réduit pas à ses déterminants naturels. L’Histoire, c’est le magma des réminiscences transgénérationnelles qui se cristallisent au fil du temps et construisent une mémoire dans la conscience collective.
Les sociétés humaines se sont développées dans des environnements différents, ce qui explique leur hétérogénéité. Chaque homme est à la fois un individu et un maillon de la société dont il fait partie, qu’il construit avec ses semblables. C’est dans ce sens que l’Histoire est aléatoire et qu’il n’y a ni Homme universel ni valeurs universelles, et qu’il ne peut par conséquent pas y avoir de civilisation universelle. Les civilisations sont diverses, depuis toujours et pour toujours, et n’ont en commun que la volonté, aléatoire elle aussi, de persister dans leur être sans qu’il y ait à cette vitalité de substrat logique.
Michel Onfray[1] compare les civilisations à des organismes vivants qui naissent, croissent, atteignent un apogée, et meurent. Il considère que la civilisation occidentale, qu’il appelle judéo-chrétienne, est en train de dériver son ancrage culturel au bénéfice d’un consumérisme à tous crins dont la seule loi semble être celle du marché. Il voit dans ce phénomène le symptôme d’un déclin.
Concernant l’avenir de la judéité, il faut commencer par intérioriser que ni la vie humaine ni l’Histoire n’ont de sens, autre que celui que chacun veut bien lui donner. Les Juifs peuvent certes s’assigner un destin en tant que peuple, mais sans jamais considérer cela comme autre chose qu’une valeur, qui comme toutes les valeurs sont subjectives et reposent sur une tautologie.
Le projet sioniste des origines avait pour objectif de dissocier l’identité juive de toute transcendance. C’était l’idée théorisée par des penseurs comme Bialik[2] et Ahad Ha’am[3]. Ceux-ci craignaient paradoxalement que l’émancipation des Juifs au cours du 19ème siècle ne les conduise à l’abandon de la religion, à l’assimilation, voire à la conversion. Pour prévenir cette dilution ils ont mis en évidence l’idée que l’identité juive relevait avant tout d’une histoire multimillénaire, d’une terre, d’un corpus littéraire, d’une éthique et d’une langue, et non pas d’une religion. Le retour à la souveraineté nationale du peuple juif avait donc dans leur esprit pour fonction de pérenniser la judéité, et non pas le judaïsme.
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Notes
[1] Philosophe, écrivain et essayiste français. Créateur de l’université populaire de Caen. Cofondateur de la revue « Front Populaire ».
[2] Poète de langue hébraïque, prosateur, essayiste et journaliste. Mort en 1927 à Vienne.
[3] Penseur nationaliste juif et leader des « Amants de Sion », mort en 1927 à Tel Aviv. L’un des pères de la littérature hébraïque moderne.
« Le projet sioniste des origines avait pour objectif de dissocier l’identité juive de toute transcendance. » En fait, je crois que le projet sioniste, d’inspiration socialiste, intégrait aussi un renouveau spirituel sur l’Israël biblique et visait tous les Juifs quelle que soit leur degré de religiosité.
Le Rav Kook et des rabbins comme Léon Ashkenazi Manitou contribueront à ce que Israël ne soit pas seulement le passé du peuple juif, mais également son présent et son avenir.
Voir aussi : L’an prochain à Jérusalem : https://www.tribunejuive.info/2024/04/21/lan-prochain-a-jerusalem-par-jean-marc-levy-vice-president-disrael-is-forever-alsace/