TRIBUNE. La France insoumise exploite l’identité musulmane des électeurs à des fins politiques, les réduisant à une identité communautaire victimisée et captive. Cette stratégie divise plutôt que d’unifier sous une identité française commune, regrette l’enseignante et essayiste Fatiha Boudjahlat.
« J’aimerais bien qu’on arrête de m’essentialiser en fonction de mon prénom, de mon nom ou de ma prétendue origine. Je suis un Français, journaliste, citoyen. C’est tout et rien d’autre. » Ce cri de cœur a été formulé par Mohamed sur le plateau de France 5. Il fait partie des journalistes d’origine maghrébine ciblés par des courriers racistes. Pourtant, ce qu’il dit de son identité personnelle et professionnelle s’adresse autant à l’autre camp essentialiste, LFIste.
Mohamed Bouhafsi est journaliste, d’abord sportif, engagé contre les violences intrafamiliales, lui ex-enfant martyr, et pour l’Aide Sociale à l’Enfance. Les racistes d’extrême droite voient en lui un arabe musulman à l’allégeance douteuse. Les racialistes d’extrême gauche voient en lui un arabe musulman à l’allégeance certaine, celle qui va à la Oumma et au bled. Mohamed Bouhafsi lie cette libération de la parole au possible succès du RN aux prochaines législatives. Il néglige aussi une autre cause tout autant opératoire.
C’est aussi la LFI qui a fait des musulmans une cible en en faisant ses proies électoralement captives
Parce qu’en effet, c’est aussi la LFI qui a fait des musulmans une cible en en faisant ses proies électoralement captives et en les ramenant sans cesse à leur identité de musulmans d’origine immigrée, forcément victimes. Elle installe la quérulence au cœur de sa matrice idéologique, quérulence que « Le Robert » définit comme une tendance pathologique à rechercher les querelles, à revendiquer la réparation d’un préjudice subi, réel ou imaginaire. Quand la LFI prétend défendre les musulmans d’ici en protégeant les Palestiniens de là-bas, elle fait des musulmans d’ici des étrangers de là-bas.
Elle renonce à politiser et à mobiliser les habitants des quartiers sur des sujets sociaux parce qu’elle les estime trop… étrangers ou réfractaires à ces sujets, surinvestissant les sujets à déflagration identitaire : « l’État vous nuit parce que vous êtes musulmans. La police est violente et vous assassine parce que vous êtes musulmans, vous ne comptez qu’en tant que vous êtes des musulmans ostentatoires, tonitruants ». Ils ne sont que musulmans. Ils sont d’abord musulmans. Ne réagissent qu’aux mots d’ordre communautaires. Leur religion est leur identité première et leur unique horizon.
C’est la LFI qui a pour la première fois suscité un vote ethnico-religieux lors des dernières élections présidentielles. Demandez aux électeurs des quartiers populaires de citer 3 mesures du programme de Mélenchon. Ils en sont incapables. Je n’ai entendu autour de moi et dans ma famille qui a voté Meluch comme un seul homme, que cet argument : « Il aime les musulmans, il nous défend. ». La panique identitaire n’est plus réservée qu’aux électeurs du RN. Ce terrible « nous » des gens qui se ressemblent supplante le « nous » des gens qui se rassemblent sur des idées, des combats politiques. Les camps s’organisent et exigent chacun des gages de loyauté.
Mais, alors que le RN propose l’amour de la France comme horizon rassembleur, LFI impose le Mcdo identitaire à ceux qui devraient pourtant cheminer vers cette citoyenneté : La FI c’est Venez comme vous êtes, Restez comme vous êtes, Cultivez vos différences. Tant qu’on n’y décèle rien de Français surtout. Le cynisme est tel que les élus de la FI ne parlent que violences policières, Palestine, revanche et dédommagements dans les quartiers populaires, mais se gardent bien d’y parler droits des trans ou LGBTQI+. Leurs efforts ont contribué à refaire de l’arabe et du musulman une figure de l’étranger.
Et si les journalistes ne défendent que des positions liées à leurs origines, comme Karim Rissouli, ils sont malmenés. Ces lettres racistes, cette parole sale sont inadmissibles, dans toutes les situations, même quand une élue, comme Rima Hassan, ne sert que les intérêts étrangers. Tel n’est pas le cas de Mohamed Bouhafsi qui est, comme il l’a dit, Français mais d’abord journaliste, un bon journaliste et un homme engagé. Il parle d’autre chose que de lui, il s’exprime d’ailleurs que de son épiderme. Il s’est construit contre l’adversité.
La conflictualité revendiquée par Mélenchon ne pouvait que se muer en violences et profonds ressentiments. Les électeurs sont chauffés à blanc. Que se passera-t-il au lendemain du second tour ? Accepteront-ils le verdict des urnes ? Quand on dramatise un vote, qu’on fait croire que c’est sa vie qui s’y joue, sa liberté, qu’attendre d’autre que la violence de la part du camp qui aura perdu ?
© Fatiha Agag-Boudjahlat
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