Prix littéraire « Alexandra Leyris » 2023-2024 : Caroline Bongrand et Marek Halter couronnés

Présidé par Jean-Pierre Allali, le jury du Prix Littéraire en mémoire  d’ Alexandra Leyris  2023-2024 de la loge Georges Gershwin du B’nai B’rith, s’est réuni le 10 juin dernier pour la phase finale de la compétition. Après délibération, c’est Caroline Bongrand qui l’emporte pour son roman « Les présences » (Éditions Denoël). Onze ouvrages étaient en lice. Par ailleurs, Marek Halter a obtenu le Prix Spécial du jury pour l’ensemble de son œuvre. Les lauréats de cette troisième édition recevront leurs diplômes et dédicaceront leurs ouvrages le 15 septembre prochain lors d’une cérémonie présidée par Patricia Waserman à partir de 15h à la mairie du 9ème arrondissement. 

« Les Présences », de Caroline Bongrand (*)

Rappelons que le prix 2021-2022 avait été remporté par Philippe Amar pour son roman « Les trois vies de Suzana Baker (Éditions Mazarine). En 2022-2023, le lauréat avait été Thierry Cohen, auteur de « Rien ne nous séparera » (Éditions Plon) et un prix spécial était allé à Frédéric Zeitoun pour son roman autobiographique « Fauteuil d’artiste » (Éditions de l’Archipel).

Il était une fois Salonique, Selanik, Thessaloniki, la « Jérusalem des Balkans », une ville merveilleuse où la majorité de la population était juive. En 1917, la cité avait connu un grand malheur, un incendie épouvantable et meurtrier. Il avait fallu tout reconstruire. Dans les années 40, c’est une tout autre catastrophe qui s’est abattue sur Salonique : l’hydre nazie. Aucun juif ne devait survivre. Tel était le mot d’ordre de l’infâme Hitler et de ses sbires. Elle l’avait bien compris, malgré son jeune âge, la petite Eliseva Moscato alias Seva, Avec courage et détermination, elle choisira de se sacrifier pour que son ami, Nissim Saragoussi et deux autres enfants, réfugiés dans le grenier d’une librairie, soient épargnés. Pour elle, ce sera une balle dans la tête tirée à bout portant par un soldat boche.

Pour nous conter la tragédie de Salonique sous la botte allemande, Catherine Bongrand a opté pour la métempsychose, la réincarnation, le Gilgoul Haneshama, comme dit la Kabbale.

Nous sommes à Paris, en mars 2022. Divorcée de Thierry, Valentine Dubois ,une jeune graphiste, élève toute seule son fils, Milo. Ce n’est pas une mince affaire car Milo, né sous péridurale, est atteint d’un mutisme profond depuis sa naissance Et pourtant, un jour, miracle ! Le petit Milo se met à parler. Des borborygmes dans une langue inconnue. Il faudra longtemps à Valentine pour réaliser qu’il s’agit de judéo-espagnol et que c’est Seva qui s’exprime par la bouche de Milo. Dès lors, Valentine va se lancer dans une véritable enquête à l’Inalco puis à  Salonique, à la recherche de ses racines. La très catholique Valentine va peu à peu découvrir que ses ancêtres étaient juifs : Anna ( Hannah ?) Perla Modiano, Estrella Modiano, née Angel, Jacob-Elie Zarfadi dit Loulou Modiano, Myriam-Rosa et Samuel-Moïse devenus Marie et Joseph, Peppo Pardo, Simona…

L’amour est au rendez-vous de ce beau roman : Nathan, Louis, Karim, Clothilde… L’amitié aussi. Surtout celle de Valentine avec Jen, son amie coiffeuse d’origine arménienne, Jen Sarkissian . Sans oublier la cuisine et le skateboard. On n’arrête pas de s’empiffrer tout au long des pages, des loukoums, des halvas, des koulouris, du tarama, de la feta  et, surtout, de délicieux trigones. Et de boire du bon vin ! (En Grèce, les calories sont divisées par deux). Quant à la planche à roulettes, elle a failli coûter la vie à Valentine.

À découvrir sans tarder.

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Denoël. Avril 2023. 334 pages. 19,90 €.

***

« Dans tes yeux. Un amour dans le ghetto », de Marek Halter (*). Par Jean-Pierre Allali

Né à Varsovie en 1936, Marek Halter, fils de l’imprimeur Salomon Halter et de  la poétesse Perl Halter, revient sur son passé, rue Smocza et dans les rues avoisinantes de sa ville natale, à l’heure où les Allemands, qui ont pris possession de la capitale polonaise, après avoir, dès le 2 octobre 1940, sous la férule du gouverneur nazi, Ludwig Fisher, enfermé les Juifs dans un espace fermé, le Ghetto, procèdent méthodiquement à leur élimination physique en les conduisant à l’Umshlagplatz puis vers les camps de la mort ou en les abattant sur place à la moindre incartade. L’auteur a choisi, pour raconter ces heures sombres qu’il a lui-même connues, de se mettre dans la peau d’une petite fille juive, Sulamithe, probable alter ego de sa voisine Ruth, dont il était amoureux quand il avait quatre ans. Sulamithe n’a d’yeux que pour son voisin du troisième étage, Salomon, qui, avec la régularité d’un métronome, fait chaque jour son apparition à huit heures moins dix. Salomon, dont le père possède la fameuse pâtisserie Studnia, est un élève assidu de la yechiva. Le père de Sulamite, cordonnier de son état, voit, lui, les choses d’un autre œil : il envisage de marier Sulamithe qui a douze ans, avec Yankel, le fils de son associé Mendel, par ailleurs président du syndicat des cordonniers.

La famille de Sulamithe est amenée, malgré l’exiguïté de son logement, à accueillir la sœur de sa mère, Deborah et les siens dont la petite Topcia qui deviendra la confidente de Sulamithe.

Avant le déluge de la barbarie nazie, Varsovie abritait une importante communauté juive pratiquant le yiddish et vivant au rythme de la musique klezmer. Les yeshivot étaient nombreuses et actives et l’étude des textes sacrés faisait partie du quotidien des hommes, les femmes, elles, étant reléguées aux cuisines et à l’éducation des enfants. Trois cent cinquante mille personnes dont le nombre va, au fil des mois, se réduire comme peau de chagrin. Dans leur entreprise macabre et génocidaire, les Allemands seront secondés par des Ukrainiens, des Lettons, des Lituaniens et, dans une moindre mesure, par des Polonais.

Comble de l’hypocrisie : les nazis ont installé à Varsovie un Conseil juif dont le président, Adam   Czerniakow, finira d’ailleurs par se suicider et mis sur pied une police juive. Des cinéastes allemands iront même jusqu’à filmer des Juifs véritablement mis en scène pour faire croire, par le biais d’un documentaire, qu’ils vivants et sont bien traités par les occupants.

Dans le ghetto, c’est la famine. Le marché noir se développe démesurément. On se partage avec parcimonie, des pommes de terre pourries, de rares légumes et de l’eau chaude tandis que les maladies, typhus et scorbut font des ravages. Les cadavres s’entassent dans les rues avant de finir dans la fosse commune. Dans ce climat délétère, une forme de résistance juive prend forme avec, à sa tête, le jeune Mordechaj Anielewicz.

La romance entre Salomon et la Sulamithe est ponctuée d’extraits du Cantique des Cantiques et des Lamentations. Émouvant et très original.

© Jean-Pierre Allali

(*) Éditions XO. Avril 2024. 128 pages. 12 €.

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