L’Iran leader de la lutte contre “l’entité sioniste[1]“
Que la république des mollahs se préoccupe de mobilisations étudiantes occidentales comme la récente occupation de Sciences Pô Paris et de la Rue Saint Guillaume abritant ses locaux principaux[2] ne doit pas étonner. Si l’ayatollah Khamenei apporte son soutien aux manifestants propalestinistes des campus sur les réseaux sociaux[3], c’est que les condamnations d’Israël et les attitudes anti-juives au cœur de ces manifestations contribuent à la fois à la délégitimation d’Israël et à la déstabilisation des pays occidentaux, deux objectifs du régime iranien.
L’Iran est en guerre contre Israël depuis le début de la révolution islamique, directement et à travers ses proxys, avec des poussées de violence et des accalmies[4]. Le Hezbollah, armé et soutenu par les mollahs iraniens de longue date, les Chiites irakiens, le régime alaouite syrien, et plus récemment les Houthis au Yémen, harcellent Israël sur quatre fronts. Par ailleurs, l’islamisme chiite a scellé sa convergence avec le djihadisme sunnite dans les années 50. Que le mégapogrom[5] génocidaire du 7 octobre 2023 ait été réalisé par la Hamas sur ordre de son protecteur iranien, ou sans son accord explicite, l’opération s’inscrit totalement dans la lutte menée depuis des décennies par ledit “axe de la résistance[6]” contre Israël. Et l’attaque massive directe visant le sol israélien dans la nuit du 13 avril 2024[7] a souligné incontestablement une volonté d’intensification du conflit entre le régime des mollahs et l’État juif.
Mais au-delà de la résolution implacable des islamistes à anéantir Israël dans le sang et l’horreur, les prises de position contre Israël et la multiplication exponentielle des actes antisémites qui se sont déchaînés aussitôt après le 7 octobre tous azimuts à travers la planète et dans différents secteurs des sociétés occidentales ont manifesté l’émergence d’une collusion plus vaste soudée par cet antisémitisme propalestiniste : un certain “Sud global”.
Le Sud global, héritier du tiers-mondisme
Ni “bloc”, ni “axe”, ni “alliance”, ni “Internationale”, le “Sud global” se caractérise plutôt comme une dynamique, portée par un conglomérat d’acteurs aux contours mouvants. Si le tiers-mondisme caractérise le gauchisme des années 60-70, son esprit revanchard a perduré, réinvestissant des vagues successives de mobilisation. La sensibilité tiers-mondiste s’est ainsi adaptée à la nouvelle donne qui prend forme dans les années 2000, en corrélation avec la poussée de l’offensive islamiste, la fermentation des “religions séculières” décoloniales puis wokistes polymorphes (néo-antiracisme, néo-féminisme, transgenrisme, véganisme, écologie punitive), et la montée en puissance à la fois de la Chine et des trois proto-totalitarismes (démocratures à visée totalitaire) russe, iranien et turc.
Dans la vindicte du Sud global contre un Occident en grande partie fantasmé, l’antisémitisme est alors systématiquement mis à l’ordre du jour. La lutte contre la “domination” mondiale de ces “super-blancs[8]” que seraient devenus les Juifs depuis qu’ils sont détenteurs d’un territoire national permet en effet d’agréger des ressentiments divers et d’articuler des objectifs multiples. Cet antisémitisme exprimé en paroles et actes par des États, des OGN et des mouvements sociaux plus ou moins organisés est structuré par une idéologie transnationale : le “propalestinisme”.
Promoteur du “malheur palestinien”, le propalestinisme diffuse un narratif qui alimente une défense compassionnelle des Arabes de Palestine et de leurs descendants, et instrumentalise cette passion propalestinienne. Mais son but stratégique vise à la disparition de l’État d’Israël, car c’est l’ensemble du territoire de la Palestine britannique mandataire qui est considérée comme devant demeurer arabe et musulmane. Sa tactique pour parvenir à ses fins, consiste dans la délégitimation de l’État juif tout particulièrement à travers la victimisation obsessionnelle des populations palestiniennes et la diabolisation du Juif/Israélien.
Un propalestinisme français
Une nouvelle radicalité de gauche qui s’exprime à travers ce propalestinisme virulemment anti-Israël se retrouve ainsi dans tous les pays occidentaux des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Amérique latine. Mais chaque pays présente un terrain spécifique et une idiosyncrasie. La France quant à elle se montre sensible à cette idéologie pour au moins quatre raisons historico-culturelles qui lui sont spécifiques : l’abcès de fixation de la guerre d’Algérie ; l’immigration massive notamment du Maghreb et tout particulièrement de l’Algérie, sans volonté réelle d’assimilation à la culture française ou d’intégration adéquate ; la place singulière des intellectuels “engagés” et leur fâcheuse tendance à pratiquer l’intransigeance inquisitoriale ; l’influence du bolchevisme sous ses différents avatars, communistes, trotskistes, maoïstes, mais aussi de façon diffuse jusque dans la gauche socialiste.
La gauche révolutionnaire et la bien-pensance de la vision “équilibrée” n’ont alors de cesse aujourd’hui de rendre Israël responsable de ce qui lui arrive. Aussi le Hamas est-il considéré comme l’expression de “la résistance palestinienne” et ses actions terroristes sont-elles justifiées même lorsqu’elles atteignent le niveau d’horreur du 7 octobre 2023.
La mobilisation des universités s’est enflammée ainsi de Harvard à l’université Jean Jaurès de Toulouse, de Columbia aux universités Paris 1 et Paris 8, et on y retrouve toujours les mêmes slogans[9]. Mais c’est peut-être la mobilisation à l’IEP de Paris qui est la plus frappante par sa constance et du fait du prestige attaché à l’institution. Dès le lendemain du 7 octobre en effet, les affiches en hommage à Omri Ram, l’étudiant israélien passé par l’école l’an passé, qui a été tué lors de l’attaque du Hamas sur le festival de musique, ont ainsi été systématiquement recouvertes par des affiches d’appel à la manifestation pour “soutenir la Palestine”. Puis la mobilisation d’avril 2024 a porté à son incandescence la haine à l’égard d’Israël et la haine de soi d’une jeunesse occidentale privilégiée.
Lâcheté et abdication en Occident
Dans un contexte mondial où la guerre terroriste, hybride et conventionnelle fait retour, les esprits s’accoutument incontestablement à la violence, pour s’y adonner ou pour adopter des attitudes d’évitement par le déni et/ou la soumission à celui que l’on estime être le plus fort. Les islamistes tentent alors de l’imposer en Occident et l’islamo-complaisance met en œuvre une “dhimmitude volontaire[10]” par sympathie ou calcul, lâcheté ou commodité, par désespoir aussi.
La gauche, sous sa forme islamo-gauchiste, a livré largement passage à l’offensive islamiste en la rejoignant sur deux points substantiels : la banalisation de l’antisémitisme rebaptisé antisionisme et la stigmatisation systématique de l’Occident. Mais s’est développé également l’islamo-clientélisme de droite comme de gauche qui, pour engranger des voix de Français d’origine immigrée, prône le “pas de vague” et le “rien à voir avec l’islam” et qualifie aussitôt les assassins islamistes de “loups solitaires” et de “déséquilibrés”[11]. Il existe également une forme d’islamo-complaisance tout aussi coupable, l’islamo-négligence qui minimise la dangerosité de l’islamiste : l’islamisme serait un phénomène secondaire, voire négligeable au regard de la menace de l’extrême-droite. Et la convergence avec l’islamisme peut aller bien sûr jusqu’à la collaboration directe notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre ce grand ennemi de l’autoritarisme qu’est le principe de laïcité, au nom du fameux “vivre ensemble [12]“. Enfin plus récemment, le wokisme est venu renforcer l’islamo-complaisance, ignorant ses contradictions avec l’islamisme foncièrement misogyne, raciste et homophobe.
Huntington faisait donc une analyse bien plus subtile que la critique hâtive ne le laissait croire. Dans cette offensive de ce que l’on qualifie aujourd’hui du Sud global, il pointait “le déclin moral, le suicide culturel et la désunion politique[13]” de l’Occident. La détresse psychologique vécue par l’Occident face à la remise en cause de sa suprématie historique, induit en effet des attitudes de résignation fataliste et de soumission. Et l’apathie occidentale largement partagée face aux massacres du Hamas du 7 octobre 2023, aux réactions hostiles à Israël, et plus généralement aux manifestations de l’antisémitisme d’origine islamiste, est alors comme la parabole de la montée en puissance de cet acteur d’un nouveau type qu’est le Sud global.
Notes
[1] Refusant d’employer le nom d’Israël qui serait implicitement reconnaitre l’existence de l’État juif, les islamistes parlent de “l’entité sioniste”. Ainsi par exemple, deux jours après les massacres du Hamas dans le sud d’Israël, Mohammad Raad, le chef du bloc parlementaire libanais du Hezbollah, déclarait : “Il est temps que cette entité temporaire disparaisse et que l’humanité dans notre région se débarrasse de son hégémonie” (Ici Beyrouth, 9 octobre 2023, “Raad: il est temps qu’Israël disparaisse”, https://icibeyrouth.com/liban/270776)
[2] Caroline Beyer, « À Sciences Po, la direction sous le feu des critiques après avoir cédé au chantage des militants », Le Figaro, 28 avril 2024
[3] “L’ayatollah Khamenei apporte son soutien aux manifestants pro-palestiniens sur les campus”, I24News, 29 avril 2024, https://www.i24news.tv/fr/actu/international/artc-l-ayatollah-khamenei-apporte-son-soutien-aux-manifestants-pro-palestiniens-sur-les-campus
[4] Europe1, 5 septembre 2010, « Iran : Ahmadinedjad menace Israël », https://www.europe1.fr/international/Iran-Ahmadinedjad-menace-Israel-438960
[5] Selon la terminologie d’Abram de Swaan : Diviser pour tuer (p.233) Éditions du Seuil,
[6] “Qu’est-ce que « l’axe de la résistance » promu par l’Iran face à Israël et aux Etats-Unis ?”, Le Monde 5 décembre 2023, https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/05/qu-est-ce-que-l-axe-de-la-resistance-promu-par-l-iran-face-a-israel-et-aux-etats-unis_6204063_3210.html
[7] “L’Iran a dépensé des milliards de dollars pour créer un ‘anneau de feu’ autour d’Israël” (Tsahal) , I24News, 14 avril 2024
[8] Renée Fregosi, « L’antisionisme : justicialisme du “privilège juif”. L’Observatoire du décolonialisme, 27 octobre 2023, https://decolonialisme.fr/lantisionisme-justicialisme-du-privilege-juif/
[9] Charlie Hebdo, 12 octobre 2023, https://charliehebdo.fr/2023/10/societe/etudiants-francais-importent-le-conflit-universite/
[10] L’expression fait bien sûr référence à la “servitude volontaire” à propos de laquelle Etienne de la Boétie dit : “Pour que les hommes (…) se laissent asservir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient abusés. (…) Abusés, (…) c’est alors moins souvent par la séduction d’autrui que par leur aveuglement.” (Discours de la servitude volontaire, p.189. Éditions Payot, 1978). Les deux pouvant aller de pair.
[11] Voir notamment Céline Pina, Silence coupable, Ed. Kéro, Paris 2016
[12] L’expression est notamment reprise ainsi dans l’ouvrage de présentation de l’association Coexister : Coexister : L’urgence de vivre ensemble, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine 2019, et bien sûr sur la page web : https://www.coexister.fr/
[13]Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations. (pp.457-458) Éditions Odile Jacob Poches, 2000
© Renée Fregosi
Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires.
Dernier ouvrage paru : Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs. Éditions de l’Aube. 2023
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