L’ancien dirigeant de l’AFD Dov Zerah vient de lancer un cercle de réflexions sur l’Afrique, « La palabre sous le baobab », afin de ne plus se désoler de l’état des relations de la France avec le continent.
Pourquoi ce cercle de réflexions sur l’Afrique, La palabre sous le baobab ? De quelle manière souhaitez-vous qu’il contribue dans le débat autour de la France et des problématiques africaines ?
Notre initiative est partie d’un constat simple : les récents événements entre l’Afrique et la France ont soulevé un profond sentiment d’échec.
De nombreux amis m’accompagnent dans cette démarche : dirigeants d’entreprise, hauts fonctionnaires, chercheurs… autant de spécialistes du continent. Nous avons consacré une partie de notre vie professionnelle à favoriser le développement économique de l’Afrique, à défendre les pays africains dans les enceintes gouvernementales françaises et internationales, et nous avons l’impression que cela n’a servi à rien !
Parallèlement, la mobilisation des réseaux sociaux contre la France, la propagation d’un certain désamour à l’égard de la France meurtrissent, interpellent. Ce ressenti est accentué par l’absence de débat sur le sujet. Peut-être à tort, le sujet africain ne semble pas intéressé grand monde, sauf sur le seul aspect, on ne peut plus réducteur, de l’immigration.
Je suis né en Afrique, à Tunis, j’ai appris à connaître les pays africains, du Maghreb comme d’Afrique subsaharienne. J’aime l’Afrique. Il me paraissait exclu de n’être que spectateur des événements. Avec des amis qui partagent ce sentiment, ce besoin, nous allons essayer d’alimenter réflexions et débats.
Nous avons consacré une partie de notre vie professionnelle à favoriser le développement économique africain, à défendre les pays africains dans les enceintes gouvernementales françaises et internationales, et avons le sentiment que cela n’a pas beaucoup servi.
Nous ne pouvons pas nous désintéresser des Africains. Bien évidemment du fait de notre responsabilité historique, de nos liens culturels… mais surtout parce que les Africains sont nos voisins de palier !
Pour faire avancer la réflexion, il faut une exigence de vérité : nommer les maux et les dysfonctionnements. Comment envisagez-vous de vous y prendre ?
Nous souhaitons simplement poser des questions, susciter le débat collectif. Je vous cite un exemple concret. Au cours des dernières années, plusieurs pays de la bande sahélo-soudanaise Burkina Faso, Guinée, Mali, Niger et Tchad ont connu un ou plusieurs coups d’État.
Pourquoi avoir accepté certains et refusé d’autres ?
Avons-nous adopté la bonne approche ?
Comment concilier la realpolitik avec le souci de défendre les droits humains et la démocratie ?
Le discours de la Baule est-il toujours d’actualité ?
Faut-il continuer à essayer de faire évoluer les modes de gouvernance ?
Pourquoi avoir quitté le Niger alors que les États-Unis et de nombreux pays européens se sont accommodés du coup d’État ?
Peut-on appliquer des sanctions à un pays africain alors que de nombreux pays au premier rang desquels la Chine et la Russie ne les appliquent pas ?
Peut-on qualifier tous les fauteurs de troubles de terroristes islamistes ? Nous avons et sommes confrontés à des mouvements terroristes islamistes, mais également à des groupes nationalistes, indépendantistes, à des mafieux. Peut-on agir comme s’il n’y avait que des islamistes radicaux ? Le discours et les modes d’action doivent être adaptés en conséquence.
Doit-on maintenir l’Aide publique au développement à un pays inamical ?
La France en Afrique : une présence économique, des bases militaires et une influence culturelle. Tout cela semble remis en cause. Comment faut-il rénover et innover dans un contexte géopolitique complexe et difficile ?
Un des premiers constats de notre cercle est qu’il ne peut y avoir une seule réponse. Il faut tenir compte de la diversité des situations africaines. Trois groupes de pays peuvent être identifiés.
Deux zones africaines traversent des crises depuis une vingtaine d’années : la bande sahélo-soudanaise et la région des lacs. Ce sont des zones de violence, de guerres, de coups d’État probablement parce que le développement économique n’a pas été au rendez-vous. La communauté internationale, malgré les fonds mobilisés, n’a pas réussi à enclencher un vrai processus de croissance réelle, d’une croissance nominale supérieure à la croissance démographique pour avoir une croissance par habitant.
Et pourtant, ailleurs, certains pays ont réussi à décoller et à se positionner sur un vrai chemin de croissance, comme le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie…
Enfin, certains pays sont encore dans l’entre-deux.
Sans entrer dans la présentation des réponses ciblées à chaque cas de figure, deux secteurs doivent être privilégiés par les acteurs du développement : agriculture et éducation.
La croissance démographique exceptionnelle que l’Afrique va connaître au cours des 25 prochaines années exige de concentrer les efforts sur le développement de l’agriculture et permettre à ce continent de se nourrir.
Le second pilier est l’éducation. Seule l’augmentation du niveau des connaissances facilitera l’ouverture à la modernité et au progrès. Elle permettra la constitution d’une classe de cadres susceptibles de promouvoir la croissance. Enfin, nous savons que l’éducation, et surtout celle des femmes, est un puissant frein pour le contrôle des naissances.
Le défi est compliqué d’autant que certains acteurs comme la Chine, la Russie, ou la Turquie ne poursuivent ne poursuivent que des objectifs totalement connectés à leurs intérêts. Alors qu’ils interviennent depuis une vingtaine d’années en Afrique, le continent est pour eux soit source de matières premières à récupérer pour assurer la durabilité de leur propre développement, soit un marché à conquérir ; ils sont dans une démarche bilatérale et refusent toute coopération à une approche multilatérale.
À cet égard, l’exemple le plus caractéristique est celui de la Chine qui n’hésite pas à endetter les pays africains en n’appliquant les règles reconnues par la communauté internationale et s’en sert pour assujettir ses débiteurs. N’occultons pas le prosélytisme religieux de pays comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie.
L’Afrique, malgré tous ses problèmes de développement et de croissance, est un continent du futur. La France sera-t-elle au rendez-vous des aspirations de la jeunesse africaine ?
J’appelle de mes vœux que l’Afrique soit un continent du futur. N’oublions pas qu’au lendemain des indépendances, dans les années soixante, le sentiment largement répandu était « l’Afrique est bien partie, l’Asie est mal partie » ! De même après la décennie des ajustements structurels qui a suscité l’afro pessimisme, il y avait un consensus au début du millénaire pour considérer l’Afrique comme un eldorado. Vingt ans plus tard, les situations sont plus variées.
Néanmoins, nous ne pouvons pas ni désespérer de l’Afrique ni s’en désintéresser !
Trouvons les voies et moyens d’un développement durable pour l’Afrique.
La France doit ouvrir le chantier du franc CFA ?
Oui. Compte tenu le nombre d’erreurs que j’entends et lis sur le franc CFA, il est urgent d’ouvrir un grand débat sur le sujet.
Rappelons que cette devise accorde un énorme avantage économique aux pays membres des trois zones : avoir une monnaie indéfiniment convertible grâce à la garantie illimitée du Trésor français. Avec cet incomparable avantage, les pays membres peuvent toujours financer leurs importations. Aucun pays de la zone franc ne s’est trouvé dans la situation de ne pas pouvoir réceptionner une cargaison de pétrole ou de riz !
En contrepartie de cette garantie française illimitée, les réserves de ces pays étaient déposées dans un compte d’opérations auprès de la Banque de France. Contrairement à ce qui se dit ou écrit, ces ressources ne sont pas à la disposition de la France !
Elles sont et demeurent propriété des pays membres de la zone.
Contrepartie de la capacité à financer sans limite leurs importations, ses réserves étaient le gage avant de solliciter le Trésor français. L’intervention de ce dernier n’est pas un cas d’école. Dans les années 1989-1994, avant la dévaluation de 1994, le Trésor a prêté, avant de les annuler, des milliards de francs CFA.
Mettre ces réserves à l’abri de toute tentation était d’autant plus importante qu’elles ont donné lieu dans le passé à certains détournements.
Cette règle de dépôt ayant disparu, le Trésor est en risque d’autant plus qu’il ne perçoit plus de commission pour cette garantie.
Être critiqué alors qu’on rend service est un comble. Il est urgent de poser le débat d’autant que se pose aujourd’hui la question de savoir si la France peut prendre un tel risque pour la zone monétaire de l’ouest africain comprenant trois pays ouvertement hostiles à Paris.
Le sujet des diasporas africaines est resté le parent pauvre, pour ne pas dire l’angle mort alors qu’il aurait dû être un vecteur puissant dans la relation France et Afrique ?
Oui, indiscutablement. C’est un terrain demeuré vierge qu’il faudra labourer et qui est porteur de nombreuses opportunités.
Parallèlement, un renouveau de la relation franco-africaine doit passer par une mobilisation des communautés françaises présentes en Afrique.
Quand on monte même à l’étage au-dessus en considérant la coopération Europe-Afrique ce n’est guère mieux. Comment expliquer cet immense décalage, et s’en défaire ?
Votre question soulève un sujet très délicat. Depuis les accords de Yaoundé, il y a maintenant 50 ans, nous avons toujours été les défenseurs de la politique européenne en faveur du développement et de l’augmentation des ressources du fonds européen de développement.
L’absence de Success stories européennes et les difficultés de fonctionnement des aides européennes conduit naturellement à s’interroger s’il ne convient pas de renationaliser une partie de cette manne financière.
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