FIGAROVOX/TRIBUNE – Après qu’une étudiante s’est vue refuser l’entrée de l’amphithéâtre principal aux cris de «c’est une sioniste», plusieurs élèves de Sciences Po adressent une lettre ouverte à l’institution pour lui demander de prendre des mesures fortes face aux «dérives» constatées dans cette école.
« À la direction provisoire de Sciences Po, à notre chère institution,
Non, Sciences Po n’a pas le visage que quelques-uns ont voulu lui donner ce mardi après-midi.
Des vidéos et des témoignages exposent la gravité des actes et des propos qui ont été tenus dans le cœur même de notre université. On y entend cette phrase douloureuse «Ne la laissez pas rentrer, c’est une sioniste». Ne la laissez pas rentrer. C’est une sioniste. Ne la laissez pas rentrer. C’est une sioniste.
Rien dans ces mots ne mérite sa place dans notre école. Aucun lieu de notre démocratie ne devrait les accepter. Ces paroles sont la preuve d’une faillite absolue. Le sens même de notre institution et de notre engagement en tant qu’étudiants s’est ébréché et dans cet interstice qui s’est ouvert depuis le 7 octobre nous ne voulons plus laisser passer aucun monstre. Ces mots vont à l’encontre de qui nous sommes.
Le départ précipité de notre (ex)directeur ne doit pas faire oublier le devoir de l’institution vis-à-vis de notre communauté étudiante. Nos noms ne doivent plus jamais être associés à de tels propos et ceux qui les ont proférés n’ont pas leur place parmi nous. Dire «ne la laissez pas rentrer, c’est une sioniste», c’est reproduire ce contre quoi Miguel Unamuno s’était levé. L’université doit rester un temple de l’intelligenceet ceux qui veulent y convaincre doivent savoir y persuader «par la raison et le droit» et par aucun autre moyen. Refuser la présence d’une étudiante parce qu’elle ressemble trop à une juive et que cette apparence est immédiatement décriée pour «sionisme» n’est pas « convaincre » mais humilier, discriminer, briser. L’ombre de l’antisémitisme doit nous obliger plus que tout à une prudence absolue et à la plus grande des méfiances face à de tels agissements.
Parce que nous sommes étudiants à Sciences Po, nous avons le devoir absolu de cultiver une certaine éthique de la discussion. Dans cet espace ouvert sur nous-mêmes et ouvert sur le monde, il n’y a pas de place pour les dogmatiques et les autoritaires. Aucun ne peut être ostracisé parce que juif. Aucun ne peut être mis dehors parce qu’arabe, femme ou homosexuel. Le débat est notre raison d’être et le savoir le moyen «d’élever des défenses contre les sauvages du présent et les barbares de l’avenir» (Ernest Vinet à Émile Boutmy). Attention, le recul critique n’est pas la froideur rationnelle. Nous pouvons être portés par la blessure affective dans nos discussions et ressentir un émoi conscient des actes terroristes du Hamas et des répliques illégales de Netanyahou, mais, jamais, il ne peut être permis de céder à la haine ou au racisme. Jamais l’exclusion. Jamais la tyrannie intellectuelle.
Faites-vous les porteurs de cette parole que nous savons majoritaire. Vivre et étudier à Sciences Po suppose tout ce que ces injures nient. La discussion, la tolérance, l’esprit critique et le discours à toute heure sont portés par chacun d’entre nous. Les portes toujours ouvertes pour recevoir des étudiants prêts à discuter. Le devoir de mémoire et la critique de l’actualité y côtoient les engagements théoriques et politiques. Il doit être possible d’y défendre la reconnaissance d’un État palestinien et d’y faire vivre le souvenir des assassinés, parce que juifs, parce que pris dans une guerre fratricide, parce qu’otage du Hamas, parce qu’habitant de Gaza. Le recul critique n’est pas la négation des engagements mais la prudence humaniste. Gageons qu’à l’avenir, les ambigus et les violents n’assombriront plus l’atmosphère de notre belle institution d’une ombre antisémite à peine voilée.
Cette lettre ouverte à l’institution reprend en substance les éléments que nous avons envoyés à la direction dans la foulée des évènements de mardi. Ces remarques sont le fruit de discussions spontanées entre étudiants de Sciences Po, animés par le souci du débat et de la discussion et profondément attristés par les dérives haineuses d’une poignée d’entre nous. Nous prions la direction provisoire de prendre les mesures nécessaires pour que notre école demeure fidèle à sa raison d’être.
Lino Castex, Théa Augoula, Emma Dez et Victor Galmel sont étudiants en master à Sciences Po.
toutes les écoles et universités en Europe et aux ETATS UNIS devraient avoir un audit et être sanctionné contre l’antisémitisme