La Chronique de Richard Prasquier. La mort d’Alexei Navalny

 Au nord de l’Oural, dans la  Iamalo Nenetsie d’où partent bien  des gazoducs qui constituent l’une des sources de la puissance russe, Alexei Navalny est mort  dans une colonie pénitentiaire surnommée « Loup polaire ». Extraction des minerais et oppression des hommes semblent résumer la Russie d’aujourd’hui.

Au portail, une inscription, « Le bonheur n’est pas loi », qui rappelle celle d’un autre camp, bien plus connu. En hiver, on ne la voit pas, tout est nuit dans ce district arctique où la température est de moins 30 °C. Condamné à 9 puis 19 ans d’incarcération, venu  de la prison de Vladimir fin décembre (« Je suis votre père Noël », avait-il plaisanté),  Navalny a été condamné pour extrémisme, nazisme, diffamation, incitation de mineurs à des activités illégales, vandalisme motivé par la haine et même pour n’avoir pas respecté son contrôle judiciaire. Pour cause; il était alors en réanimation en Allemagne, après l’échec d’une tentative d’empoisonnement par un neuro-toxique. 

Il  narguait encore le juge lors  d’une audience  peut-être filmée la veille de son décès. 

Trouver la cause d’une mort subite nécessite une autopsie, voire des analyses toxicologiques, mais la rétention du corps pendant plusieurs semaines suggère qu’il y a  des signes de traumatisme qu’on veut cacher. Une chaine d’informations indépendante prétend qu’une équipe du FSB,  l’ancien KGB, était venue dans le camp la veille et que dès le matin les prisonniers savaient que Navalny était mort.

La  réactivité des services russes fut  impressionnante, comme si tout avait été préparé. Navalny meurt officiellement à 14h 17, les services pénitentiaires l’annoncent à 14h 19 et dès 14h 23 la télévision russe déclare qu’il est mort d’une thrombose coronaire. Pur hasard, le directeur de l’administration pénitentiaire est promu au grade de colonel général le surlendemain. Autre hasard qui n’en est peut-être pas, le décès a lieu pendant la Conférence de Sécurité de Munich, là où, il y a 17 ans, Poutine a pour la première fois attaqué  l’Occident.

La communication du Kremlin est à double détente: nier et terrifier.  .  

Cela remonte à loin. L’un des premiers opposants éliminés, oublié aujourd’hui, fut le  député Sergueï Iouchenkov,  qui enquêtait sur les attentats de 1999 qui avaient  entrainé  en Tchétchénie une guerre où Poutine s’est forgé  la réputation d’homme fort. Il  pensait, comme des historiens aujourd’hui,  que ces attentats étaient un coup monté par les services secrets. Il fut assassiné en 2003. Les services secrets, la famille de coeur de Vladimir Poutine, dirigent toujours le pays. Certains disent qu’ils le possèdent.

On a beaucoup accusé Navalny d’être un personnage peu recommandable,  xénophobe et  probablement antisémite.

Il  a été un nationaliste qui a tenu des propos outrageants sur les habitants  du Caucase ou de l’Asie centrale sous prétexte qu’ils prenaient le travail des Russes en acceptant des salaires de misère. Ce discours populiste, il l’a  publiquement regretté pour proposer un programme plutôt social démocrate, mais la propagande n’en a pas tenu compte et Amnesty International l’a sorti de sa liste de prisonniers de conscience.

S’il avait gardé ses anciennes positions, Navalny aurait été un fervent partisan de la guerre contre l’Ukraine. Il en fut un adversaire déterminé. 

Son modèle était Nathan Sharansky, qu’il a suivi,  40 ans plus tard, avant la Sibérie, dans la grande prison de Vladimir  et dont le livre   « Fear no evil » (« Ne crains aucun mal ») lui a servi de boussole morale.  Sharansky a dévoilé leurs échanges dont je résume deux extraits: « Grâce à votre livre, j’ai compris  qu’il y a des gens qui ont payé un prix bien plus élevé pour la défense de leurs convictions ». A quoi Sharansky répond: « Je vous souhaite, même si c’est dur au niveau physique, de conserver votre liberté intérieure ». 

Une admiration réciproque…

Quant au bras droit de Navalny, il s’appelle Leonid Volkov et est actuellement réfugié à Vilnius. C’est un brillant  informaticien qui a abandonné sa  carrière  pour le suivre.  C’est aussi un Juif orthopraxe. 

Navalny est un homme qui, après avoir  échappé de justesse à un empoisonnement, téléphone avec un aplomb incroyable à un de ses  empoisonneurs et lui fait avouer son crime en public. Il retourne dans son pays en sachant qu’il y sera arrêté, et que la vengeance de Poutine sera d’autant plus impitoyable qu’il vient de le traiter de corrompu dans un film sur son palais de Sotchi .

Peu d’hommes ont choisi, en gardant leur humour comme arme, un emprisonnement dans des conditions terribles  où la mort serait probablement  au bout du chemin 

En restant hors de Russie, il savait que sa parole se dévaloriserait, mais il a  surestimé son pouvoir de mobilisation des foules.

Il n’y a eu que quelques centaines de personnes pour lui rendre hommage en Russie.  Elles y couraient de grands risques mais il y en a eu encore moins en Occident où elles n’en couraient aucun.

Poutine a gagné en endoctrinant sa population dans un mélange  de peur physique, de nostalgie d’un passé mythifié, de rejet de l’étranger, de crainte du changement et d’appétence aux satisfactions matérielles. C’est la recette des dictateurs efficaces. 

Quant à notre sensibilité d’Occidentaux, il faut reconnaitre qu’elle  est fugace pour des victimes  dont le sort parait scellé, comme ce fut le cas pour les femmes iraniennes et comme ce l’est  aujourd’hui pour les opposants russes.

Pour parler comme Trump, qui s’est avantageusement et honteusement comparé  à  Navalny, celui-ci serait un « loser ». 

C’est surtout un homme debout, un héros de la liberté.

© Richard Prasquier

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

3 Comments

  1. Et à chaque fois que Vladimir Poutine est pointé du doigt pour ses crimes, le ministre des affaires étrangères russes s empresse de pointer du doigt Israël…la lâcheté des hommes politiques…

    Consultez cet article sur i24NEWS:

    « L’ampleur de la tragédie à Gaza a été délibérément minimisée », selon le ministre russe des Affaires étrangères

  2. Bah, en fait, si seulement quelques centaines de personnes se sont déplacées pour soutenir Navalny, c’est parce qu’il n’intéresse personne en Russie…Hormis peut-être les un ou deux pour cent de Russes qui l’apprécient.
    « Extraction des minerais et oppression des hommes semblent résumer la Russie d’aujourd’hui »… »Nostalgie d’un passé mythifié, de rejet de l’étranger » (alors que les Russes sont l’un des peuples les plus accueillants !)…Ce genre de logorrhée délirante est du même acabit que « Israël État colonisateur », « Gaza prison à ciel ouvert » et autres énormités qu’on trouve dans Le Monde et The Guardian.
    Je ne compare la Russie à Israël, mais la propagande antisioniste/pro palestinienne/antisémite et la propagande russophobe fonctionnent exactement de la même manière : les plus lamentables énormités, réécriture de l’Histoire et diabolisation 24 heures sur 24. Le quart d’heure de la haine quotidien…Les esprits fragiles y adhèrent et y croient.

    Si je pouvais choisir entre vivre en Melenmacrochonie ou en Russie, je n’hésiterais pas une seconde : je partirais le coeur léger.
    La France de demain ressemblera à la Russie…Pas à la Russie d’aujourd’hui, non…Mais à la Russie des années 90. Ou au Liban des années 80.

  3. @Katou A chaque fois qu’Emmanuel Macron est pointé du doigt pour son collaborationnisme avec l’islamisme et les néo nazis de la FI, ses attaques réitérées contre la liberté d’expression, ses déroutes diplomatiques ou encore son
    incompétence économique totale, lui et les médias aux ordres s’empressent de pointer du doigt la Russie.

    L’ampleur du crime génocidaire commis par le Hamas est délibérément minimisée par les médias (hormis Cnews) et l’Etat français( Qui est déjà, de fait, une dictature).

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*