Élus, écrivains, chercheurs ou citoyens « lanceurs d’alerte » sont victimes d’un harcèlement judiciaire de la part de militants «antiracistes».
ENQUÊTE – Inspirés par les frères musulmans, des militants «antiracistes» comme Rokhaya Diallo multiplient les procédures devant les tribunaux pour réduire au silence les contempteurs de l’islamisme. Avec l’aide active de la Ligue des droits de l’homme ou du Mrap.
La plainte du footballeur Karim Benzema contre Gérald Darmanin, qui l’avait mis en cause pour ses « liens » avec les Frères musulmans, a été classée sans suite mardi dernier. Une décision saluée par les élus, écrivains, chercheurs ou citoyens « lanceurs d’alerte » victimes d’un harcèlement judiciaire visant à les faire taire et qui n’ont pas les moyens dont dispose le ministre de l’Intérieur pour se défendre.
«Si la Cour n’avait pas considéré qu’imputer à quelqu’un des liens avec les Frères musulmans “ne porte pas atteinte à son honneur ou sa considération”, nous aurions été empêchés par une interminable guérilla judiciaire de travailler à mettre au jour l’idéologie frériste » : c’est en ces termes que Florence Bergeaud-Blackler s’est réjouie sur X du classement sans suite la plainte de Karim Benzema contre Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur avait attribué les commentaires orientés du footballeur sur le conflit à Gaza à sa proximité avec les Frères musulmans. Sous protection policière depuis la sortie de son livre Le frérisme et ses réseaux, en janvier 2023, Florence Bergeaud-Blackler fait elle-même l’objet de tentatives d’intimidation, qui sont allées jusqu’à des menaces de mort. Son avocat Thibault de Montbrial vient d’ailleurs de faire condamner à de la prison ferme l’un de ses harceleurs.
L’art d’inverser les lois françaises
L’état de droit vient au secours des victimes, mais il peut aussi se retourner contre ceux qu’il est censé protéger. Les islamistes sont passés maître dans l’art d’inverser à leur profit les lois françaises contre la diffamation et l’injure publique.« Lorsqu’il y a plainte pour l’un de ces motifs, le juge d’instruction a des pouvoirs extrêmement réduits, explique l’avocate Caroline Valentin. Son rôle se limite à trouver le mis en cause et à lui demander de confirmer qu’il a effectivement tenu les propos reprochés. Si tel est le cas, le mis en cause est automatiquement mis en examen et se retrouve en correctionnelle.» En général devant la 17e chambre du tribunal de Paris, dédiée aux affaires de presse, la diffamation et l’injure étant toujours du domaine de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, même quand les mis en cause ne sont pas journalistes.
L’universitaire Bernard Rougier, qu’elle défend, a été visé en tout par cinq plaintes après la parution des Territoires conquis de l’islamisme (1), dont la première édition a été publiée en 2020. Cette enquête sociologique, qu’il a dirigée, met à nu des réseaux fréristes, salafistes et djihadistes en France et leurs connexions en Europe et au Moyen-Orient.
La première plainte a été déposée par une tête d’affiche du collectif «Urgence la police assassine », proche du Parti des indigènes de la République (PIR). Cette «militante associative», ainsi qu’elle se définit, n’a pas apprécié de se voir désigner, sous le pseudonyme qu’elle utilise sur Facebook, comme l’une des représentantes d’une «génération décoloniale» qui a «tenté de faire alliance stratégique avec les Frères musulmans». Sa plainte pour diffamation n’a pas abouti et elle a même été condamnée à dédommager financièrement l’auteur et son éditeur pour constitution abusive de partie civile en leur versant 1500 euros à chacun. Des sommes dont ils n’ont pas vu la couleur, la plaignante s’étant déclarée en situation de surendettement. Ce qui ne l’a pas empêchée d’être défendue par un avocat de renom, qui compte Patrick Balkany parmi ses clients !
«Double discours»
Un cas de figure très fréquent selon Maître Valentin. L’avocate a obtenu que le tribunal correctionnel de Paris prononce la nullité de la deuxième plainte déposée contre son client, cette fois pour «diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée». Le plaignant était l’Union islamique des Yvelines, en charge de la grande mosquée de Mantes-la-Jolie, accusée dans Les territoires conquis de l’islamisme de véhiculer un «double discours» : on y condamnait le terrorisme tout en lui assurant une «justification épistémologique». La mosquée a perdu son procès, mais a fait appel. Son avocat a tout essayé, pendant la procédure, pour obtenir le nom de l’auteur du chapitre qui lui était consacré. En vain : l’universitaire s’est déclaré auteur des passages contestés pour protéger ses étudiants-chercheurs, dont les visages étaient connus puisqu’ils avaient mené de longues enquêtes de terrain.
Une troisième plainte pour «injure publique envers une personne à raison de de son appartenance à une religion déterminée» a été déposée contre Bernard Rougier par l’un des acteurs de la campagne municipale de 2020 à Saint-Denis. Ce personnage influent dans la communauté musulmane a pesé dans la conquête de cet ex-fief communiste par le socialiste Matthieu Hanotin. Il a ensuite été embauché comme collaborateur du groupe majoritaire au conseil municipal. Saint-Denis est l’une des six communes d’Île-de-France où Bernard Rougier et son équipe ont décrit et analysé les ressorts du clientélisme religieux, révélant au passage des facettes inquiétantes de l’obligeant intermédiaire musulman. Lequel a affirmé devant le tribunal que le maire de Saint-Denis l’avait licencié à cause du livre et a réclamé en conséquence un dédommagement de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Non seulement le tribunal a prononcé la relaxe, mais il a estimé que les « demandes indemnitaires très importantes » du plaignant étaient « de nature, par la crainte qu’elles ont vocation à inspirer, à entraver Bernard Rougier, universitaire reconnu, dans ses recherches et sa liberté d’expression ». On ne saurait mieux définir le harcèlement judiciaire. Là encore, le plaignant a fait appel. L’universitaire n’est donc pas au bout de ses démêlés, d’autant qu’il doit encore faire face à une cinquième plainte, déposée par un fiché S.
Bruckner vs Diallo
Ces actions en justice s’inscrivent dans une stratégie de victimisation bien connue. Le philosophe Pascal Bruckner en fait les frais depuis des années. Aujourd’hui encore, il est visé par une plainte en diffamation de Rokhaya Diallo, qui s’est fait un nom en pourfendant l’«islamophobie» et le «racisme» selon elle systémiques en France. Leur confrontation remonte à 2020, sur le plateau d’Arte. «Votre statut de femme musulmane et noire vous rend privilégiée, vous permet de dire un certain nombre des choses», a-t-il ironisé, citant en exemple le texte contre Charlie-Hebdo qu’elle avait cosigné alors que le siège de l’hebdomadaire venait d’être ravagé par une attaque au cocktail Molotov. On était en 2011, quatre ans avant l’attentat de 2015. «Vous avez avec d’autres poussé à la haine contre Charlie-Hebdo et armé le bras des tueurs», a accusé Pascal Bruckner, avant de lancer à son interlocutrice : «Vous avez parfaitement le droit de vous exprimer, mais assumez la responsabilité de vos actes !» L’affaire sera jugée en mai prochain.
Rokhaya Diallo est défendue par le très médiatique William Bourdon. La militante, qui se présente comme une journaliste, bénéficie du soutien de puissants réseaux aux Etats-Unis, où l’université de Georgetown l’a gratifiée d’un poste de chercheuse en résidence. Dans la perspective de son procès contre Pascal Bruckner, elle a sollicité ses réseaux, qui se sont empressés de la décrire comme une victime. Début février, Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations-Unies pour les défenseurs des droits humains, a publié sur le site de l’ONU un communiqué exprimant sa «vive inquiétude face aux poursuites judiciaires, à la surveillance et aux intimidations et diffamations signalées contre Mme Diallo». Pour faire bonne mesure, le texte a été cosigné par le groupe de travail de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine et les trois rapporteuses spéciales des Nations unies chargées de la protection de la liberté d’expression, des discriminations raciales et des violences faites aux femmes. Rokhaya Diallo l’a envoyé par mail aux rédactions françaises.
La « féministe intersectionnelle et décoloniale », ainsi qu’elle se définit, a aussi porté plainte en diffamation contre Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante et essayiste, auteur de plusieurs livres sur l’entrisme islamiste et sur les dérives de l’antiracisme et du féminisme. Les deux femmes ont déjà eu maille à partir. Cette dernière affaire est partie d’un tweet dans lequel Rokhaya Diallo accusait une journaliste de L’Opinion de critiquer son documentaire «La Parisienne démystifiée», parce qu’elle ne supportait pas qu’elle donne la parole à «une femme portant un foulard». Le doc en question avait été diffusé par France 3, ce qui relativise l’ostracisme dont sa réalisatrice se plaint en permanence. Fatiha Agag-Boudjahalat avait pris le parti de la journaliste en postant : «Diallo a un casier judiciaire. Elle ne cesse de porter plainte en passant par son asso Les indivisibles pour organiser son insolvabilité (condamnée à payer 10000 euros à Pascal Bruckner et à Jeanette Bougrab, elle n’a pas versé un euro). Elle gagne des fortunes par ce chantage et ce business.» Elle est convoquée devant la 17e en juin. Gilles-William Goldnadel la défend, pour un tarif dont il précise en souriant qu’il est « adapté aux revenus » de sa cliente.
Des avocats à la rescousse
Comme Maître Goldnadel, quelques grands avocats acceptent par conviction des clients pro bono, ou auxquels ils ne demandent que le remboursement des frais engagés par le cabinet quand le procès se déroule en province. Mais certains lanceurs d’alerte n’ont pas la notoriété ou le réseau suffisants pour bénéficier de ce soutien, alors que ceux qui les trainent en justice sont souvent épaulés par des associations en partie subventionnées comme la Ligue des Droits de l’homme ou le MRAP. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui se flattait de ne pas être financé par la France mais recevait des subsides de l’Union européenne, en plus de dons privés, a lui aussi été très actif sur le terrain judiciaire, jusqu’à ce que Gérald Darmanin obtienne sa dissolution, en 2020. Cette «officine islamiste œuvrant contre la République», pour reprendre la formule du ministre de l’Intérieur, s’est appuyée sur son homologue belge pour se reconstituer à Bruxelles sous l’intitulé Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE). Le CCIE affirme ne pas recevoir d’argent public, mais il appartient à un réseau, Enar (« European network against racism »), dont de nombreuses opérations sont financées par l’Union européenne.
En février 2023, le député européen Les Républicains François-Xavier Bellamy avait d’ailleurs protesté en séance contre la participation du réseau à la « semaine de l’antiracisme » au sein du Parlement européen. Il avait rappelé les liens d’Enar avec plusieurs associations fréristes, dont l’ex-CCIF. Résultat: le liquidateur du collectif dissout a porté plainte contre lui pour diffamation. «Je ne plierai pas, a réagi l’eurodéputé sur Twitter. Impatient d’entendre ces « liquidateurs », et de leur faire comprendre que nous ne laisserons pas l’islamisme liquider notre liberté. »
Fadila Maaroufi est bien placée pour mesurer le poids des réseaux islamistes à Bruxelles, où elle a cofondé L’Observatoire européen des fondamentalismes. Anthropologue comme Florence Bergeaud-Blackler, qui dirige le conseil scientifique de l’Observatoire, elle a été attaquée pour diffamation, en janvier, par Ibrahim Ouassari, cofondateur de Molengeek. Cette association revendique d’«encourager à l’entrepreneuriat dans un esprit de respect de la diversité culturelle, de genres, de génération et de compétences ». Molenbeek, c’est cette commune de Bruxelles gangrénée par l’islamisme, où a grandi entre autres Salah Abdeslam, le terroriste du Bataclan. Fadila Maaroufi a dénoncé à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux la proximité d’Ibrahim Ouassari avec les Frères musulmans et le « projet idéologique islamiste » porté par Molengeek. Elle s’est attaquée à forte partie : cet « acteur citoyen » a été élu « Bruxellois de l’année » en 2021et nommé au grade de Commandeur de l’Ordre de Léopold par le roi Philippe en 2023. La justice belge l’a relaxée, ainsi que l’Observatoire, et a condamné le plaignant à lui payer des dépens pour «demande non fondée». L’Observatoire est également poursuivi pour des motifs similaires par Farida Tahar, députée et sénatrice bruxelloise, cheffe de groupe du groupe parlementaire des écologistes. Le procès n’a pas encore eu lieu.
«Justitia»
Dans ces deux affaires, Fadila Maaroufi est défendue par Aymeric de Lamotte, du collectif Justitia. Cet avocat belge de 33 ans, secrétaire général adjoint de l’Institut Thomas More, a eu l’idée de créer Justitia sous son égide pour combattre «les nouvelles intolérances» par tous les moyens légaux disponibles, du simple courrier à l’action en justice. Dans son viseur : la théorie du genre, les défaillances de l’État en matière de sécurité ou encore l’islamisme, qui représente près de 15% de ses activités. « Nous voulons aider les victimes isolées de la culture de l’annulation qui n’ont pas les moyens financiers de se défendre », explique Aymeric de Lamotte. Justitia peut payer l’avocat choisi par la personne qui le contacte ou la faire défendre par l’un de ses propres avocats, comme Maître de Lamotte avec Fadila Maaroufi.
L’anthropologue n’aurait « pas pu affronter ces procès sans Justitia » : «Complètement boycottée à Bruxelles, où les médias sont gangrénés par les réseaux pro-islamistes», elle a beaucoup de mal à trouver du travail depuis qu’elle est engagée dans le combat pour la laïcité comme « ex-musulmane ». «Je suis cataloguée d’extrême-droite, les gens ont peur de perdre des subventions s’ils m’embauchent», résume-t-elle.
Les musulmans ou ex-musulmans qui s’attaquent à l’islamisme sont particulièrement exposés aux mesures de rétorsions de leurs adversaires, comme en témoigne Mohamed Louizi, qui a vécu un véritable calvaire judiciaire. L’auteur de Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (3) a subi six procès en diffamation entre 2015 et 2021, à la suite de la publication d’articles sur son blog « Écrire sans censures ! ». Il en a perdu un seul, en 2018, contre Soufiane Iquioussen, fils aîné de l’imam dont la rocambolesque expulsion pour « propos incitant à la haine et à la discrimination » a occupé la presse l’an dernier. Comme le dit Mohamed Louizi, «l’histoire lui a donné raison».
L’histoire a aussi confirmé la justesse de l’article qu’il avait publié sur son blog en 2015 sur le conflit entre le lycée musulman Averroès et l’un de ses enseignants, Soufiane Zitouni, qui accusait la direction de l’établissement lillois de «propager une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme». Le Conseil d’Etat vient de confirmer la rupture du contrat avec Averroès, décidée par l’ancien préfet du nord. Dans son rapport, ce haut fonctionnaire évoque des financements illicites par des structures « liées à la mouvance frériste » et des dérives multiples. Malgré ces victoires, en 2018, Mohamed Louizi s’est retrouvé épuisé moralement et financièrement par les procès. «Ils m’ont au total coûté 30 000 euros, sans compter les journées de travail perdues et les frais de déplacement », calcule cet ingénieur. C’est alors qu’une sixième plainte en diffamation a été déposée contre lui par l’animatrice d’une page Facebook très virulente contre la liberté religieuse, l’égalité homme-femme, l’avortement et autres pratiques occidentales. Mohamed Louizi l’ayant dénoncée sur son blog, elle a porté plainte contre lui mais aussi riposté sur sa propre page en le qualifiant d’«hérétique» et d’ «apostat», deux «crimes» passibles de la peine de mort pour les fondamentalistes. «C’était l’équivalent d’une fatwa», explique-t-il. Habitant le nord, il est allé à son tour déposer plainte au commissariat de Wattrelos, où sa plainte a semble-t-il été égarée. À bout, il a entamé un «jeûne de protestation». Sa persécutrice n’a pas obtenu sa condamnation.
© Judith Waintraub
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