Très engagé à gauche et militant de la cause arménienne, le réalisateur Robert Guédiguian voit la panthéonisation de Missak Manouchian comme un signal fort. Membre des FTP-MOI, cette grande figure de la Seconde Guerre mondiale a dirigé un groupe de résistants d’origine étrangère fusillés en 1944. Un parcours héroïque, immortalisé dans le film « L’Armée du crime ».
La Marseillaise: Vous dites souvent que Missak Manouchian était un «modèle identificatoire fort» dans votre jeunesse. Qu’est-ce qu’il représente pour vous?
Robert Guédiguian : Quand j’étais préadolescent, il représentait un héros au sens le plus étymologique et usuel du terme. Je ne crois pas qu’il y ait un seul jeune homme ou une seule jeune fille qui ne veuille pas être héroïque, faire quelque chose d’exceptionnel, de juste, et d’incarner à un moment donné l’humanité entière. On était une bande de jeunes, on se disait communistes, et ces étrangers communistes héroïques guidaient nos pas. Surtout dans un quartier où beaucoup de mes amis étaient aussi d’origine espagnole ou algérienne…
Vous, vous avez des origines arméniennes, mais aussi allemandes par votre mère…
R. G. : Dans la cour de l’école, je me battais parce qu’on me traitait de « sale boche ». Et devant le peloton d’exécution, Missak Manouchian a dit : « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand ». Ça a particulièrement résonné en moi. C’est un peu comme s’il reconnaissait officiellement qu’il y avait eu des Allemands résistants et anti-nazis. Cette phrase a structuré toute ma conception du monde.
Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que cette grande figure de la Résistance allait entrer au Panthéon?
R. G. : C’est une grande victoire pour moi. Quand j’ai fait « L’armée du crime », on s’était dit qu’il fallait que ce soit un film populaire avec des actions, beaucoup de figuration, des effets spéciaux, des immeubles qui explosent… Ça a été le plus gros budget de ma carrière, et aujourd’hui, le film est regardé dans les lycées. L’Histoire s’éloigne, le temps passe, et s’il n’y a pas de piqûres de rappel de temps en temps, comme l’a aussi été la chanson de Léo Ferré sur un poème d’Aragon, on oublie. Il faut entretenir l’Histoire.
Symboliquement, cette entrée au Panthéon est importante parce qu’il s’agit d’un étranger qui a donné sa vie pour la France. Mais la dissonance avec la loi immigration portée par Macron interpelle. Comment le vivez-vous personnellement?
R. G. : On peut y mettre toutes les nuances qu’on veut, on peut évidemment considérer que juste après, il y a eu cette loi immigration contre laquelle je me suis aussi battu… Mais si on veut militer longtemps, ce qui est mon cas, il faut absolument se réjouir des victoires. Donc quand une lumière s’éclaire, surtout, regardons là. Au moins quelques minutes… Réjouissons-nous d’abord, et contestons après.
La société actuelle est pétrie de contradictions et d’oublis. On s’en rend compte quand on voit l’extrême droite s’ériger en porte-drapeau de la lutte contre l’antisémitisme après l’attaque terroriste du Hamas en octobre… Qu’est-ce que ça vous a inspiré?
R. G. : Ça m’indique surtout qu’ils sont très forts. Ils font le contraire de ce qu’on doit faire en politique : ils avancent masqués ! Or parmi les conditions qui ont fondé le Rassemblement national, il y a le racisme, l’homophobie, la haine de l’autre… Formulées de manière édulcorée, ces idées ont conquis une large frange de la population. Mais ces gens ne comprennent pas que ce sont les Juifs, les Arméniens, les Ritals et les autres qui les ont sauvés…
Panthéoniser Manouchian, c’est aussi donner un nouveau coup de projecteur sur l’Arménie, en guerre pour le Haut-Karabagh cet hiver. Mais à la différence de l’Ukraine, son sort ne semble pas intéresser les Français. Pourquoi, selon vous?
R. G. : À cause de l’argent. En comparaison, l’Ukraine est un immense pays, qui regorge de produits alimentaires, d’industries, de minerais… Nous avons des intérêts à commercer avec lui. Mais à l’inverse, si demain l’Arménie est envahie, cela ne changera rien à l’Union européenne.
Depuis l’Arménie, comment perçoit-on l’entrée de Manouchian au Panthéon?
R. G. : Missak Manouchian est beaucoup moins connu là-bas, mais nous allons nous en préoccuper. On va essayer de diffuser la vie de ce personnage. D’ailleurs je pense que Manouchian nous aide encore beaucoup aujourd’hui. Il nous aide à faire exister l’Arménie et la lutte contre l’Azerbaïdjan. Alors si j’ai la possibilité de gagner quelques positions dans la guerre idéologique, je prends.
« Si j’ai la possibilité de gagner quelques positions dans la guerre idéologique,
je prends »
© Prisca Borrel
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