Yves Mamou. Israël face au piège de la « cause palestinienne »

Le piège de la « cause palestinienne » est en train de se refermer doucement et inexorablement sur Israël. La « cause palestinienne » est un mensonge qui affirme que l’Etat d’Israël occupe, depuis 1948, le territoire d’un autre « peuple », le « peuple palestinien ». 

Cette vieille idée que la paix entre Arabes palestiniens et Israéliens passe par le partage de la terre et qu’un Etat est seul à même de calmer le mécontentement quasi séculaire des Palestiniens a toujours été fausse. Mais elle fait un retour en force à l’occasion de la guerre à Gaza. Alors que la prochaine liquidation du Hamas ouvre des perspectives de battre en bruche le djihadisme iranien au Moyen-Orient, voilà que les Occidentaux sortent de leur chapeau cette idée vieille, incantatoire du « partage » qui a toujours échoué. De la fameuse Commission Peel créée par la Grande Bretagne en 1936 à John Kerry, secrétaire d’Etat au sein de l’administration Obama en 2016, les Etats arabes et les Palestiniens ont rejeté toutes les « solutions à deux Etats » qui leur ont été présentées. L’idée d’un Etat juif souverain en terre islamique leur a toujours paru non islamiquement correcte. 

Mais pour que ce rejet islamique paraisse acceptable aux occidentaux, il a fallu  maquiller les  700 000 réfugiés arabes de 1948 – devenu six millions par la grâce des Nations Unies – en « cause palestinienne », c’est-à-dire en peuple légitime et concurrent du peuple juif sur la terre d’Israël.

« Les Etats arabes n’intègreront pas ces réfugiés de Palestine, parce que l’intégration signifierait la liquidation du problème palestinien[1] » expliquait Ahmed Choukeiry, premier président de l’Organisation de Libération de la Palestine. 

Les Etats arabes ont ensuite incrusté dans le cœur de la population arabe, en Irak, en Lybie, en Egypte…, la conviction que ces réfugiés à vie étaient la conséquence d’une « injustice » majeure, pire même d’une faute quasi-inexpiable commise par les Juifs contre les « Palestiniens », contre les arabes et surtout contre l’islam. 

 « Le concept de Palestine n’a jamais été affaire de géopolitique ; il s’agissait d’un élément profondément ancré dans notre identité morale collective, l’élément unificateur des tendances religieuses et séculières de notre nationalisme arabe musulman », écrit Husain Aboubakr Mansour, politologue américano-égyptien. C’est ainsi ajoute-t-il que la cause palestinienne est devenue « une cause qui trouvait en nous une résonance politique, sociale et spirituelle, souvent à la limite d’une ferveur défiant toute rationalité ». 

Cette « ferveur défiant toute rationalité » a généré le slogan « Free Palestine » qui signifie « mort aux juifs », explique Husain Aboubakr Mansour : « qu’il s’agisse du slogan, du fantasme ou de la politique, ‘Free Palestine’ a toujours impliqué le meurtre de masse des Juifs dans leurs villes, leurs rues, leurs magasins et jusqu’à leurs salons ». 

Cette « ferveur » meurtrière a essaimé en Occident

Cette « ferveur » meurtrière a essaimé en Occident. Avec l’immigration musulmane de masse. Mais pas seulement. La gauche bienpensante d’abord, puis toutes les minorités sexuelles ou de couleur qui, en Occident, estiment avoir à se plaindre de leur condition (LGBT, noirs, musulmans…) ont fait du « Palestinien » le modèle de leur souffrance identitaire. Toutes ces minorités s’affichent aujourd’hui « en équivalents-Palestiniens ». Aux Etats-Unis, les Black Lives Matter s’identifient aux Palestiniens et les LGBT aussi. Très récemment, plus de 1,000 pasteurs noirs ont appelé le président Joe Biden à intervenir pour un « cessez-le-feu à Gaza ».  Ces pasteurs noirs considèrent les juifs sémites comme des Blancs et ces « juifs Blancs » sont perçus comme menant une guerre injuste contre les sémites « Palestiniens » que les chrétiens Noirs américains ont  cooptés en frères de couleur . Comme Ron Dorilas l’écrit dans Newsweek, « ils sont nombreux aujourd’hui à identifier la cause palestinienne au mouvement pour les droits civils des noirs ».  La « cause palestinienne » est devenue le moteur de l’intersectionnalité victimaire qui sévit en Occident. 

Cette tenaille de la douleur unit aujourd’hui l’Orient et l’Occident autour du projet d’Etat palestinien. L’administration Biden proclame que rien n’est plus urgent que d’ »élaborer des options pour mettre en œuvre un Etat (palestinien) qu’elle confiera à une Autorité palestinienne ‘revitalisée’ après la guerre actuelle d’Israël à Gaza« . Et Mohamed Ben Salmane, prince régnant d’Arabie Saoudite affirme haut et fortqu’il ne reconnaîtra Israel que si un Etat (palestinien) est créé sur les frontières de 1967 avec Jerusalem-est comme capitale. 

Peu importe que les Palestiniens n’aient rien formulé à cet égard et peu importe que les Israéliens affichent une extrême réticence face à un tel projet.

Peu importe, car ce qui compte pour Joe Biden comme pour Mohamed Ben Salmane est de communier dans la ferveur populaire qu’il existe un peuple palestinien et que celui-ci est en quête d’Etat. 

Mobilisation contre Israël

Bien entendu, cette diplomatie « morale » des Etats Unis et des Saoudiens n’a qu’une seule fonction : dissimuler leurs errements. Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en 2020, les Etats Unis ont multiplié les faux pas. Ils ont brutalisé leurs alliés traditionnels (Joe Biden a ouvertement affiché son intention de faire de l’Arabie Saoudite un Etat « paria ») et le FBI a ouvert une enquête contre Israël à propos de la mort de la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abou Akleh.

Parallèlement, l’administration Biden a multiplié les gestes amicaux en direction de son pire ennemi, l’Iran. Ils ont tenté de revitaliser l’accord sur le nucléaire iranien qui ouvre à l’Iran l’accès à l’arme nucléaire ; ils ont autorisé les mollahs à contourner les sanctions sur leurs ventes de pétrole (celles-ci sont passées de 400 000 barils/jour à plus de 3 millions de barils/jour) et ils ont restitué à Téhéran un nombre appréciable de milliards de dollars gelés en raison de ces mêmes sanctions. Ils ont même informé l’Iran que l’Etat islamique s’apprêtait à commettre un attentat sur le territoire de la République islamique pendant les commémorations de la mort de Qassem Soleimani, ex-dirigeant des Gardiens de la Révolution. Mais ces gestes de bonne volonté n’ont rien changé. Les mollahs ont ordonné à leurs milices de multiplier les attaques contre les forces américaines stationnées en Irak et en Syrie et leurs alliés Houthis du Yémen ont entrepris de gêner la circulation des navires de commerce en mer Rouge. 

La mort dans l’âme, les Etats Unis ont fini par comprendre qu’ils avaient échoué à pacifier leurs relations avec l’Iran. Anthony Blinken, secrétaire d’Etat, a déclaré au Forum de Davos, en janvier dernier, qu’il avait désormais pour mission d’ « isoler l’Iran« . 

Et quel outil a-t-il imaginé pour « isoler » l’Iran ? Un Etat palestinien ! Le raisonnement est le suivant : l’Iran veut détruire Israël au nom de la « cause palestinienne », nous allons lui couper l’herbe sous le pied en créant un Etat palestinien ! Autrement dit : plutôt que de répondre militairement à l’Iran, les Etats Unis demandent aux Israéliens (qui ont subi le 7 octobre la plus formidable agression de la part de ces mêmes Palestiniens) de régler la facture des incohérences de leur diplomatie.

Quant aux Saoudiens, ils ont réalisé (comme tous les autres Etats arabes) qu’ils n’étaient plus maîtres chez eux. Il suffit que l’Iran actionne l’une ou l’autre des trois organisations génocidaires et antisémites qu’il arme et finance au nom de la « cause palestinienne » – Hezbollah, Hamas et Djihad islamique palestinien – pour que la « ferveur » de la rue arabe se déploie. 

Au lendemain même de l’effroyable journée du 7 octobre au cours de laquelle 1200 Israéliens ont été assassinés, dépecés, torturés et brulés vifs, les dirigeants arabes – et ceux d’Arabie Saoudite y compris – ont vu avec effroi, leur population se mobiliser en faveur des terroristes du Hamas. Au nom de la « cause palestinienne », les islamistes et leurs alliés de la gauche identitaire occidentale ont défilé en masse dans les rues et leur présence pèse aujourd’hui sur la décision politique des dirigeants d’Orient et d’Occident. 

Tunis, Istanbul, Bagdad, Londres Paris ou Berlin… vivent désormais sous la menace de Téhéran qui peut agiter la rue arabe à son gré en soufflant sur les braises de la « cause palestinienne ». 

Plutôt que de s’attaquer à l’Iran, principal fauteur de troubles du Moyen-Orient, Américains, Européens et pays arabes et musulmans trouvent plus facile de faire front commun contre Israël et la guerre qu’il mène contre le Hamas à Gaza. Le « pov Palestinien innocent » structure aujourd’hui chaque message diplomatique. Anthony Blinken a déclaré en public, le 7 février, que le nombre de morts quotidiens à Gaza était « trop élevé« , qu’il fallait préserver l’UNRWA (dont il a été démontré qu’elle était une succursale du Hamas) et qu’un « accord clair et crédible » sur la création d’un État palestinien était urgent. En privé, il a prié instamment les Israéliens de mettre fin au conflit. 

Et pour que le message soit compris, début février, l’administration Biden a pris des sanctions contre quatre colons « violents » accusés de maltraiter les gentils Palestiniens innocents de Judée-Samarie (Cisjordanie). L’administration Biden explique aujourd’hui que la « déshumanisation subie par les otages n’autorise pas le gouvernement israélien à déshumaniser d’autres populations ». Joe Biden lui-même déclare publiquement que la guerre menée par Israël à Gaza est « exagérée » (« over the top »). L’administration américaine a ouvert une enquête sur une éventuelle « mauvaise » utilisation des armes fournies par les Etats Unis à Israël, prélude à une éventuelle suspension des livraisons  Le Département d’État a lancé une enquête sur plusieurs frappes aériennes israéliennes à Gaza qui ont tué des dizaines de civils et sur l’utilisation possible par Israël de phosphore blanc au Liban, afin de déterminer si l’armée israélienne a abusé des bombes et des missiles américains pour tuer des civils, ont déclaré des responsables américains explique le  Wall Street Journal. Un tribunal des Pays Bas a ordonné la cessation des livraisons de pièces détachées d’avions de chasse F35 à Israël. Emmanuel Macron a protesté contre une éventuelle attaque de Rafah. Le Qatar, la Jordanie, l’Egypte pressent les Occidentaux de peser sur Israël.

Toute la question est de savoir quand les Etats Unis décideront d’un embargo sur les armes qu’ils vendent à Israël et dont le pays est si dépendant.

© Yves Mamou


[1] Cité in « The war of return, Adi Schwartz et Einat Wilf, 2020, All Points Book

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