Ils sont venus. Ils ont osé. Ils ont défié la décence et leur propre cohérence. Ils n’ont pas écouté les familles qui leur demandaient de s’abstenir, ils n’ont pas écouté François Rufin, leur camarade, pour qui « les parents qui pleurent leurs enfants ont tous les droits », et en particulier celui de refuser des invités qui ont entaché la mémoire de leurs proches. Mais ils sont élus et le protocole a été respecté.
Du coup, peut-être les représentants de la France insoumise présents mercredi à l’hommage aux victimes françaises de l’attaque du Hamas ont-ils été instruits par la douleur de ces visages martyrisés. Peut-être ont-ils songé que ces morts avaient aimé les mêmes paysages qu’eux, de Montpellier, Marseille ou Paris, la même culture et la même langue qu’eux…
Peut-être ont-ils enfin compris que ces victimes — Marc, le père parti rechercher sa fille attaquée dans la rave party et qui a trouvé la mort sur son chemin, Avidan, né à Bordeaux, qui était fier d’avoir organisé cette Nova party,Céline, qui avait laissé son bébé pour quelques heures, Bar, Dan, Karin… —, tous, ne demandaient qu’à vivre et n’étaient pas des colons sanguinaires.
« Peut-être auront-ils entendu que parmi tous ces morts, il y avait des pacifistes historiques ? Peut-être ont-ils regretté de ne pas avoir empêché leurs camarades d’arracher les affiches des otages ? »
Ruth Elkrief
Peut-être auront-ils entendu que parmi tous ces morts et ces otages, il y avait des pacifistes historiques, qui avaient l’habitude de conduire des malades de Gaza dans les hôpitaux israéliens. Peut-être, en voyant les familles étreindre les gardes républicains portant les portraits de leurs proches, comme s’ils en étaient une réincarnation, ont-ils regretté de ne pas avoir empêché leurs camarades d’arracher les affiches des otages ?
Peut-être se sont-ils dit que, comme élus féministes, ils auraient dû, au lieu de détourner le regard, être en pointe du combat pour dénoncer les viols de ces jeunes femmes qu’on pleurait aux Invalides.
Lorsqu’Emmanuel Macron affirme avec force que le 7 octobre a eu lieu « le plus grand massacre antisémite de ce siècle », peut-être se sont-ils souvenus que les enregistrements et les vidéos montraient la jubilation d’hommes fiers d’avoir tué des juifs. Et que le 7 octobre n’était pas un simple soubresaut du conflit au Proche-Orient mais bien un événement hors norme, qu’il fallait reconnaître comme tel.
Peut-être ont-ils compris qu’on ne pouvait pas laisser sans réagir des Français juifs se faire traiter de « sionistes » — un synonyme, pour des militants incultes, de nazi — puis s’étonner du bond de 1 000 % des actes antisémites. (Ah oui, certains ont affirmé que « des Israéliens étaient visés », et non des juifs : une façon d’excuser la cruauté des actes ?)
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Ont-ils compris que défendre un État palestinien en criant « de la rivière à la mer », cela signifie « du Jourdain à la Méditerranée », soit l’effacement de l’identité de ces familles endeuillées qu’ils sont censés avoir soutenues ce 7 février ? Ont-ils accepté que, pour être crédibles face au drame des civils palestiniens,aux souffrances des enfants, au déplacement des populations, il aurait fallu d’emblée condamner le Hamas au lieu de le décrire comme « un mouvement de résistance » ?
Mais que dis-je ! Le jour même de l’hommage aux victimes, Aymeric Caron comme Adrien Quatennens, parangon de vertu, demandaient que les athlètes israéliens défilent aux JO sous bannière neutre, comme les Russes de Poutine, auteur de l’invasion de l’Ukraine. Une nouvelle manière de nier que le traumatisme sans fin du 7 octobre est d’abord la conséquence d’une sauvage agression, et non l’inverse. Une nouvelle manière de rendre responsables de leur propre malheur les victimes. J’étais trop optimiste : le cynisme ne prend pas de pause et un hommage national ne met pas fin aux petits calculs électoralistes.
© Ruth El Krief
Bravo,
Merci, Madame.
Bien dit.
Lorsqu’idéologie « rime » avec incohérence…