PORTRAIT – Née en Iran, l’écrivain et chroniqueuse entremêle, dans son dernier roman, les vies de deux femmes de lettres qui ont toujours choisi la passion et la liberté. Comme elle.
Elle arrive comme une tornade. Un courant d’air de vitalité. Boucles blondes virevoltantes. Sourire en bandoulière. Le regard animé par une pointe de défi amusé. Féminine sans afféterie. Abnousse Shalmani ne fait pas de manières. Elle est joyeuse, enjouée, directe. Elle nomme les choses: appelle un chat un chat, «un cul, un cul». Avec une espèce de délectation malicieuse. Elle pose ses deux cigarettes électroniques (l’une au goût nature, l’autre framboise-cassis) sur la table du petit salon d’un hôtel du 6e arrondissement où nous avons rendez-vous. Glisse à la serveuse qu’elle a passé un bon Noël «même si un peu arrosé, tout était trop», s’amuse-t-elle. Et, en la voyant ainsi s’installer, on comprend tout de suite que l’on est face à ce que l’on appelle «un tempérament». Un tempérament, mais doué de raison. Et qui a gardé une part d’enfance. L’insolence de la petite fille qui a vécu ses premières années en Iran et s’est révoltée tout de suite, de tout son être, lorsqu’elle a dû, après l’arrivée de Khomeyni au pouvoir, revêtir la tenue traditionnelle religieuse et le voile.
«J’avais 6 ans, mais je ne trouvais pas ça normal. Je ne comprenais pas pourquoi on devait me coller un voile. À la maison, ma mère avait cinq sœurs, extrêmement libres, bien habillées, avec des couleurs. Et tout d’un coup, je voyais ce pays, ce gouvernement se couvrir de noir. Et moi la première. C’était très étonnant, et c’est vrai que c’était physique. J’étouffais.» Elle a raconté dans son premier livre comment, par goût de la provocation, mais surtout par un réflexe de survie, elle a refusé de «porter ce truc, ce foulard gris qui serre trop» et s’est baladée, par défi, les fesses à l’air ou en culotte avant de «sprinter vers la porte de sortie de l’école». «Il fallait que j’enlève ces oripeaux, sourit-elle aujourd’hui, et de voir les femmes corbeaux me courir après et se casser la gueule, ça a été un grand moment… Je n’avais que 6 ans. C’est plus tard que j’ai compris l’aspect transgressif» de ce geste.
J’ai découvert Madonna et Victor Hugo et j’ai voulu être les deux en même temps
Abnousse Shalmani
Le grand public connaît surtout Abnousse Shalmani pour ses chroniques à LCI, i24 News et dans L’Express et la manière dont elle torpille avec allégresse et de manière argumentée le wokisme, l’islamisme, le néoféminisme, et défend avec ardeur la laïcité. Mais il ne sait pas toujours qu’elle est avant tout une femme écrivain (elle tient au masculin). Une femme de lettres dont la conscience politique a été aiguisée et alimentée par la littérature. «Lorsqu’on est arrivés en France, en 1985, j’ai décidé que je voulais être écrivain français, ce qui faisait rire toute la famille: je ne connaissais pas un mot de français. Après, j’ai découvert Madonna et Victor Hugo, et j’ai voulu être les deux en même temps. Le corps et la tête, je trouvais que cela allait très bien ensemble.»
La passion et la liberté
Son père adoré, chimiste de métier, cinéphile et grand lecteur, surnommé «haute tolérance» («Je l’ai toujours vu avec une pile de livres à côté de lui») a entretenu cette passion. Il lui fait apprendre le français avec Victor Hugo. «Le premier jour d’exil, réveil à 6 h 30, mon père ouvre Les Misérables avec un dictionnaire franco-persan à côté et me dit: “Allons-y!” On a fait de l’archéologie de la langue!» C’est aussi grâce à lui qu’elle découvre Pierre Louÿs et sa littérature, à 13 ans. «On n’avait pas de sous pour partir en vacances, alors nous allions chez Gibert. Et là, avec mon petit frère, on avait le droit de remplir un panier de livres de poche, surtout ceux avec étiquettes noires et rouges, avec des réductions. C’étaient nos vacances d’été.» Elle acquiert ainsi un livre de Dominique Bona, Les Yeux noirs, qu’elle dévore le soir même. «Et là, je découvre José-Maria de Heredia, les sœurs Heredia, Henri de Régnier, Blum, Proust jeune, quand il faisait des blagues, la Belle Époque et surtout Pierre Louÿs!»
Une révélation. L’auteur de La Femme et le Pantin, «qui met du rire dans le sexe», apaise certains souvenirs d’enfance ancrés en elle, et notamment «cette idée qu’en République islamique la chair, et donc forcément le corps des femmes, est quelque chose de dramatique, dangereux, un lieu de perdition». Il s’inscrit dans le panthéon littéraire d’Abnousse Shalmani et apparaît logiquement dans son dernier livre, J’ai péché, péché dans le plaisir (Grasset). Un roman à l’écriture enflammée qui entremêle les vies extraordinaires de deux femmes écrivains: Forough Farrokhzad (1934-1967), «immense poétesse iranienne». Et Marie de Régnier, la maîtresse de Pierre Louÿs. Deux femmes qui ont toujours choisi la passion et la liberté. Et qui semblent être des sœurs d’âme d’Abnousse Shalmani. Surtout Marie de Régnier: «Marie, personne ne lui arrive à la cheville. Personne! Elle a mené la barque de sa vie avec une intelligence et un enthousiasme rares.» Chaque année, la chroniqueuse dépose d’ailleurs des pivoines sur sa tombe, au Père-Lachaise. «Quand j’ai découvert qu’elle y était, j’ai écumé le cimetière: il y a toute l’histoire de France, là-bas, c’est extraordinaire: Sarah Bernhardt, Piaf, Modigliani, Colette, la Callas, Pierre Brossolette, Balzac, Victor Noir, Proust…»
Importance de la culture et du corps
Le titre de son dernier livre, comme ceux des précédents (Khomeiny, Sade et moi, Les exilés meurent aussi d’amour ou Éloge du métèque, tous publiés chez Grasset), claque au vent comme une oriflamme. Une déclaration crâne d’indépendance. Et affirme un goût évident de la résistance – mais une «résistance souriante, joyeuse et aussi basée sur le plaisir», souligne-t-elle, manière de préciser qu’elle n’a pas le goût du tragique, étant toujours mue par une espèce d’urgence de vivre, de rire aussi. Elle qui a été inspirée par des figures de femmes au profil très différent – de Marie-Antoinette à Simone de Beauvoir en passant par Colette, Mona Ozouf ou Élisabeth Badinter – se souvient ainsi que, lorsqu’il y avait la guerre en Iran et des alertes à la bombe sur Téhéran, sa mère, «affolée à l’idée que l’on puisse trouver nos cadavres mal habillés», lui faisait porter une jolie robe et qu’elle avait le droit – «comme on pouvait mourir» – de mettre du rouge à lèvres.
Les islamistes nous regardent dans les yeux et nous disent : « On n’aime pas vos libertés »
Ses livres ont en commun de lier toujours l’importance de la culture et du corps. Ce corps que le régime des mollahs lui présentait comme maléfique. Elle se souvient ainsi de ces cours durant lesquels un professeur de religion lui avait répondu, alors qu’elle lui demandait pourquoi elle devait porter le voile: «Parce que vous, les femmes, vous êtes des objets dangereux.» Elle sourit: «Je me suis dit: ce type, un adulte, j’ai 7 ans, et il a peur de moi! C’est donc que les femmes sont trop fortes, elles ont des superpouvoirs, si elles font peur à un vieux type comme ça. C’est à partir de là que je me suis dit qu’il ne faut jamais capituler sur le corps des femmes. C’est un instrument de domination et de revendication extraordinaire», argumente-t-elle, en rappelant que, pour Sayyid Qutb, l’idéologue des Frères musulmans, marqué par un séjour aux États-Unis, «la décadence occidentale, c’était le rire des femmes, leurs jambes, la mixité, qu’elles travaillent, se déplacent seules, qu’elles côtoient des hommes qui ne soient pas leurs frères, leurs pères, leurs maris. Il en fait des pages et des pages de manière obsessionnelle dans ce qui est la mouture intellectuelle des Frères musulmans.»
C’est probablement aussi pour cela que la jeune femme a réagi aussi vigoureusement, lors d’une chronique sur LCI qui a été partagée de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, suite à l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, et les viols et sévices monstrueux qui les ont accompagnés. «Entre l’Antiquité et les totalitarismes au XXe siècle – ce que j’ai le plus étudié, dit celle qui a une maîtrise d’histoire et une licence de lettres modernes -, je n’aurais jamais imaginé de mon vivant assister à un pogrom, un massacre de Juifs – des civils, des femmes et des enfants indistinctement – parce que juifs. Ils ne s’attaquaient non pas à des Israéliens mais à des “yahudi”, qu’ils ont assassinés dans la joie et la bonne humeur en partageant les images avec les leurs.» Elle formule l’espoir que certains comprennent que l’islamisme «est le même» qu’il soit au pouvoir chez des mollahs chiites iraniens, s’exprime par des actes terroristes comme les attentats de Charlie ou du Bataclan ou soit revendiqué par le Hamas. «C’est toujours la même volonté destructrice et brutale de l’Occident, ses valeurs, sa liberté», assure-t-elle. Et d’ajouter: «Les islamistes ne cherchent pas à mentir. Ils nous regardent dans les yeux et nous disent: “On n’aime pas vos libertés, on n’aime pas vos femmes, vos homosexuels, vos Juifs, vos démocraties libérales. En fait, on n’aime rien de chez vous et on va vous le faire payer!”»
© Anne Fulda
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/abnousse-shalmani-la-joyeuse-resistante-20240112
Abnousse est formidable
Sacré force de caractère Abnousse, formidable. J’adore l’écouter sur LCI et aussi sur I24. Ses interventions sont remarquables.
Quoi de neuf ? C’est ce qu’on sait depuis des décennies. Shalmani est un double, le gauchisme en moins et en plus chic, de Marjane Satrapi. Elle est du bon côté mais je déteste ce côté « punchline » calibré pour être consensuel et plaire au public d’âge mûr de LCI ou du Figaro.
Allez on se détend et on apprécie … regardez la vidéo récente avec un magnifique discours d’AS sur la laïcité.
Chaque mot porte ; certes on le sait mais il faut le dire et le redire .
A JOFFRET
Abnousse est une femme cash et courageuse , 2 qualités rares en France .
Et elle connaît de l’intérieur les islamistes .
ne boudons pas notre plaisir .
Ils nous disent tout çà les islamistes, nous le savions déjà, ils nous désapprouvent nous détestent, nous le leur rendons bien. Merci quand même Madame Schalmani !