Quelques personnes se sont étonnées et parfois même ont été choquées par mes prises de positions sur les réseaux sociaux à propos du conflit actuel à Gaza.
Me connaissant comme le fondateur d’une approche qui combat la violence, ces personnes ont pensé que je me trahissais moi-même et que j’adhérais totalement à un camp qui en même temps était celui de ma « communauté ».
Bien évidemment, je suis heurté, blessé par les cris de haine qui, prenant prétexte des bombardements de Gaza, s’adressent à tous les juifs. Ce qui est compréhensible, étant donné ce qu’a été l’histoire de mon enfance, marquée par la persécution des juifs pendant la deuxième guerre mondiale et l’extermination de ma famille : grands-parents, frères, oncles et tantes.
Malgré tout, les personnes qui connaissent un peu la Thérapie Sociale que j’ai inventée il y a plus de trente ans pour lutter contre la haine et la violence estiment que je devrais être surtout sensible aux souffrances des civils innocents, victimes de bombardements meurtriers de l’armée israélienne et que je ne devrais pas chercher à défendre tout autre point de vue.
Mettons les choses au point : la Thérapie Sociale ne cherche pas à tout prix à défendre la paix, sous prétexte que les conflits ne devraient pas exister entre les groupes humains ni d’ailleurs entre les individus.
La Thérapie Sociale ne se berce pas d’illusions sur les propagandes, les mensonges, les multiples expressions de la folie humaine. Bien au contraire, elle cherche à nous rapprocher le plus possible de la réalité.
Car elle existe cette réalité, en dehors de notre regard sur elle. Certains en doutent et leur relativisme les amène à penser que les points de vue se valent et qu’il faut simplement les confronter et les harmoniser, dans le but de parvenir à une sorte de bienveillance universelle, une non-violence finale.
Cette vision irénique de la Thérapie Sociale n’est pas exacte. La Thérapie sociale est en réalité un combat contre la pensée totalitaire, et est en quelque sorte la continuation des idéaux des Lumières : le règne de la raison critique contre le fanatisme. Représentant une éducation à une véritable vie démocratique, elle ne peut exister et survivre dans un monde totalitaire où la diversité des idées est impossible et même interdite.
A certains moments de l’histoire, il est nécessaire de faire un choix: non pas en faveur d’un camp, quel qu’il soit, mais en faveur de la défense d’un idéal qui consiste à dégager notre vision de la réalité du filtre des doctrines idéologiques et des propagandes.
Si aujourd’hui je prends position, ce n’est pas pour défendre une religion, une communauté, un groupe humain mais pour défendre la cause d’une vie démocratique qui permet le débat.
Le Hamas et le Hezbollah, ennemis d’Israël, ont toutes les caractéristiques des mouvements totalitaires du passé. Quoiqu’on puisse penser des actions du gouvernement actuel de l’état d’Israël, de la question des implantations juives en Cisjordanie, des responsabilités dans les blocages aux processus de paix, de la légitimité de la résistance palestinienne, il n’en reste pas moins que le combat prioritaire, aujourd’hui, concerne les tentations totalitaires qui se développent dans le monde, en réponse morbide au chaos et à l’incertitude des sociétés modernes.
Comme l’écrivait Jean-François Revel : « La démocratie ne peut vivre sans la vérité, le totalitarisme ne peut vivre sans le mensonge ; la démocratie se suicide si elle se laisse envahir par le mensonge, le totalitarisme s’il se laisse envahir par la vérité. » (in « La connaissance inutile », éditions Grasset, Page 33)
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les événements actuels provoqués par le conflit entre le Hamas et l’armée israélienne à Gaza ne sont pas l’expression « d’affrontements inter-communautaires » ni « une importation du conflit du Moyen-Orient » sur le sol français. Ces manifestations qui, rappelons-le, sont inexistantes pour dénoncer les nombreux morts de civils, hommes, femmes et enfants dans d’autres conflits qui opposent des musulmans entre eux comme en Irak ou en Syrie, ou bien encore la persécution des chrétiens à Mossoul et dans plusieurs pays d’Afrique, sont un épisode d’une guerre sourde mais omniprésente d’un nouveau totalitarisme contre nos sociétés dites démocratiques.
Nombreux sont les Musulmans anti-totalitaires, qu’ils s’expriment comme certains intellectuels ou qu’ils se taisent par peur de représailles ou simplement pour ne pas contribuer à augmenter les sentiments antimusulmans d’une bonne partie de la population française. Cet esprit totalitaire, très présent chez les organisateurs, « musulmans » ou « gauchistes », des manifestations pro-palestiniennes n’est pas l’apanage d’une religion ou d’une origine. Dans le passé, le bolchevik athée qui pouvait être d’origine juive, le national-socialiste allemand, le fasciste italien, le maoïste chinois et d’autres encore, ont incarné cet esprit totalitaire, ennemi de la démocratie libérale.
Les images terribles d’enfants tués ou blessés servent à masquer la réalité d’une guerre qui n’oppose pas seulement Israéliens et Palestiniens mais qui est également universelle. Le danger totalitaire est présent, aujourd’hui à nouveau et plus que jamais. Comment le combattre si on ne comprend pas les enjeux et si on se trompe sur les causes ?
Les pourfendeurs de l’Islam radical et de ses alliés font les mêmes erreurs que les socio-démocrates allemands qui tournaient en ridicule Hitler ou conspuaient les actions violentes des SA, sans prendre le temps de réfléchir, comme le souhaitait l’auteur du « Viol des Foules » Tchakhotine, à ce qui faisait le succès de la propagande nazie.
Présenter l’Islam radical comme la propagande social-démocrate et communiste que dépeignait le nazisme serait une erreur fatale. Comme l’écrivait George Orwell avant la guerre: « Le fascisme n’est qu’une atrocité absurde, une aberration, un « sadisme de masse », le genre de choses qui pourraient se produire si l’on ouvrait les portes de l’asile à une horde de fous homicides. Présentez le fascisme sous ce jour, et vous arriverez à mobiliser, un certain temps tout au moins, l’opinion publique contre lui sans susciter pour autant le moindre mouvement révolutionnaire. » (1)
Il s’agit aujourd’hui moins d’un combat révolutionnaire que d’une résistance à ce que j’appellerai la séduction totalitaire.
On a oublié quelle fut la séduction du totalitarisme auprès de masses déboussolées, vaincues, en quête de sens et de dignité. On a oublié ces foules sincèrement enthousiastes, mobilisées avec ferveur pour des chefs charismatiques comme Hitler, Staline, Lénine, Mao…
On a oublié à quel point le besoin de dignité pouvait être satisfait par l’honneur d’être un prolétaire soviétique, un fasciste défilant en chemise noire, un garde rouge de la révolution culturelle, un aryen de race pure, un musulman d’une Oumma en passe de venger les humiliations infligées par les ennemis de l’Islam…
On a oublié la force du sentiment de victimisation qui fait voir le Mal en dehors de son propre groupe. Le journal nazi der Völkischer Beobachter écrivait en 1933 que les juifs étaient un peuple génocidaire (Völkermassmörder) et qu’il fallait agir avant qu’ils n’exterminent le peuple allemand. C’est ce que disaient également les Hutus des Tutsis qui s’apprêtaient à se massacrer.
On a oublié la séduction du totalitarisme qui, au moins à ses débuts, crée un élan collectif et adoucit souvent les injustices sociales, au prix de la fabrication de boucs émissaires.
La séduction totalitaire est toujours présente chez l’être humain, en particulier dans les périodes d’incertitude et de chaos, où la société se transforme trop rapidement sans que les individus soient préparés à affronter ces changements brutaux.
D’un autre côté, il faut bien voir que la détestation de l’Occident et du libéralisme, point commun à tous ces mouvements totalitaires du passé et du présent, repose sur des réalités incontestables. Et je ne parle pas seulement des inégalités sociales, de l’argent-roi ou du vide spirituel.
Ma longue expérience dans les banlieues françaises m’a montré comment la nouvelle religiosité de beaucoup de nos concitoyens musulmans et à la suite les propagandes antisémites et antirépublicaines de l’Islam radical ont réussi peu à peu à remplir le vide laissé par l’incapacité de nos institutions républicaines à faire face au changement de civilisation apporté par l’immigration de masse (mais pas seulement bien sûr) et aux crises multiples de la société contemporaine.
On ne pourra lutter contre ces nouvelles formes de totalitarisme qu’en examinant les responsabilités de nos institutions sociales et politiques qui n’ont pas su donner du sens et accompagner les individus désarçonnés, troublés et démunis. Pendant des années, j’ai le sentiment d’avoir crié dans le désert, en prédisant les dangers à venir et en proposant des outils d’intervention. Les banlieues ont été victimes d’idéologies contradictoires et antagonistes qui ont empêché la prise en compte de la complexité de ces villes où s’étaient rassemblées par la force des choses et les choix politiques des populations qui devaient vivre ensemble. (2)
Comment lutter alors contre le totalitarisme, tel qu’il se présente sous ses formes les plus assumées en Orient et les plus masquées en Occident, ce totalitarisme qui, comme toujours, nous propose de créer une société parfaite qui éliminerait définitivement les fauteurs du Mal, coupables de tous les maux de l’humanité.
Cette lutte est nécessaire, car on ne peut établir une équivalence entre une société capitaliste, « ses horreurs économiques », et ses injustices, sa folie de consommation et de divertissement et une société totalitaire dans laquelle il n’y aurait aucun espace de liberté, aucune possibilité de débats contradictoires.
La guerre est-elle inévitable ?
George Orwell -encore lui- après avoir participé à la guerre civile espagnole, écrivait ces mots terribles:
« Le seul choix qui s’offre apparemment à nous, c’est de réduire en poussière les maisons, faire éclater les entrailles des hommes et déchiqueter des corps d’enfants avec des explosifs, ou bien de nous laisser réduire en esclavage par des gens à qui ce genre d’activité répugne moins qu’à nous. Jusqu’ici, personne n’a proposé de solution pratique pour échapper à ce dilemme ». (3)
Encore une fois, on ne peut se contenter de condamner ce nouveau totalitarisme en cherchant à démontrer ses absurdités et ses incohérences. On ne peut se contenter non plus de se préparer à lui faire une guerre, dont de toutes façons l’issue est incertaine.
On doit regarder de très près de quoi est faite la séduction totalitaire, comprendre les aspirations légitimes auxquelles elle apporte une réponse et se mettre au travail pour réparer du mieux possible une société démocratique, trop faible peut-être aujourd’hui et surtout trop malade pour résister efficacement.
© Charles Rojzman
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(1) George Orwell : Essais, Articles, Lettres, Volume I, trad.fr. Éditions Ivrea 1995 p .436
(2) Charles Rojzman : Savoir vivre ensemble, La Découverte Poche 2001
(3) George Orwell : Essais, Articles, Lettres, Volume I, trad.fr. Éditions Ivrea 1995 p .374
Merci pour cet article. Je souhaiterais citer aussi Simon Leys et pour mieux le connaître, voici deux petit fascicules bien utiles en ces temsps incertains, face aux distatures et auttres idéologies,
– Simon Leys. Vivre dansla vérité et aimer les crapauds de Jérôme Michel,
– Le parapluie de Simon Leys par Pierre Boncenne.
L' »antiracisme » est le fléau mortel qui rend notre destruction certaine. Probablement du jamais vu depuis que l’homo sapiens est apparu sur terre : des néo nazis « racisés » prônant la destruction des « non racisés »…qui non seulement se laissent faire mais encouragent ceux qui les haïssent.
Je connais « Le viol des foules » : cet ouvrage détaille les méthodes de brainwashing totalitaire permettant de nier totalement le réel puis de de justifier les pires atrocités. La haine et la violence devenues des vertus au nom du Bien !
Or ce viol des foules est pratiqué 24 heures sur 24 par nos médias mainstream, nos universités, nos écoles etc..depuis au moins un demi siècle. Et depuis au moins 20 ans par le monde du cinoche et du showbiz.
Le combat pour la vérité peut et doit être mené mais au niveau collectif il est perdu d’avance : comment esperer désintoxiquer des centaines de millions d’individus et défaire plus de 50 ans de lavage de cerveau ? Impossible.