L’environnement d’Israël se mesure aujourd’hui à un ensemble de conditions géopolitiques auxquelles font écho un faisceau de conditions culturelles. Les deux faisceaux de conditions ne se recouvrent d’ailleurs pas toujours.
Au point de vue géopolitique, ce qui ressort surtout c’est la situation d’encerclement à laquelle Israël, en tant qu’État, doit faire face, et régulièrement se confronter. L’Iran théocratique investit l’essentiel de ses efforts en matière de politique extérieure et de courses aux armements aux seules fins de menacer l’État juif, en prétendant s’assurer une hégémonie sans partage au Proche-Orient. Pour ce faire, l’Iran a suscité deux forces antagonistes, aux frontières d’Israël : au Liban, depuis la fin des années 80 du 20e siècle, en œuvrant pour la formation et l’implantation du Hezbollah ; au Sud, en fortifiant et en assistant le Hamas, pour permettre les attaques du 7 Octobre 2023. Dans le Sud du Liban, comme dans la bande de Gaza, il n’aura échappé à aucun observateur honnête que le Hezbollah et le Hamas (ainsi que le Djihad islamique) ont surtout pu se développer au détriment de la sécurité d’Israël du seul fait de l’application par Israël de la doctrine diplomatique consistant à faire valoir la pertinence de « la paix contre les territoires », –mantra indiscuté du progressisme.
En effet, la croissance et la montée en puissance militaire du Hezbollah se sont plus encore affermies après la décision israélienne de se retirer militairement du Sud Liban au début des années 2000, peu avant le déclenchement de la seconde intifada. Quant à l’installation au pouvoir du Hamas, elle a été directement facilitée, au mépris des Accords d’Oslo, par le retrait unilatéral d’Israël en 2005.
Pour les observateurs honnêtes qui ne seraient pas frappés d’amnésie, il paraît clair que les retraits territoriaux et militaires d’Israël, loin de lui apporter la paix en lui garantissant des frontières indiscutées au regard du droit international, n’ont fait que renforcer l’irrédentisme de ses ennemis. Sur ce chapitre au moins, la pratique du pacifisme méthodique, au détriment d’Israël, a montré non seulement ses limites, mais encore son inacceptable dangerosité.
Le Hezbollah et le Hamas, ces deux bras armés d’un terrorisme d’Etat très ramifié, trouvent des prolongements naturels chez les islamistes du Yémen (les Houtis), mais aussi en Syrie et en Irak, pays livrés à la guerre, où prospèrent de nombreuses milices affiliées.
Quant au fond, l’Iran des mollahs n’a jamais caché son intention de commettre une deuxième Shoa, en larguant sur Israël la bombe nucléaire sitôt qu’elle en serait dotée.
Il est aussi de notoriété publique que depuis plus d’une décennie, l’Etat d’Israël mène une guerre non-conventionnelle contre l’Iran pour l’empêcher d’acquérir l’arme suprême.
Il reste vrai – et ce facteur constitue peut-être une raison d’espérer- que le processus de paix susceptible de lier ensemble Israël et ses voisins régionaux constitue un horizon raisonnable : ce qui est acquis avec l’Egypte depuis 1979 et avec la Jordanie depuis 1994 pourrait devenir bientôt, à la faveur de la confirmation des Accords d’Abraham, déjà esquissés dans des proportions significatives (Bahreïn, Émirat arabes unis, Maroc, auxquels viendrait s’ajouter l’Arabie saoudite), une alliance régionale vertueuse.
Mais nous savons aussi que la guerre déclenchée par l’Iran, au sud et au nord d’Israël, par supplétifs interposés, était destinée à ébranler les paix acquises autant qu’à affaiblir les Accords plus récemment signés ou sur le point de l’être.
Quant à la « question palestinienne », il faudra qu’elle soit réglée, même malgré la volonté contraire de ceux qui se disent Palestiniens et qui depuis près d’un siècle n’ont témoigné d’aucune intention sincère de normalisation avec l’État d’Israël, ayant été les premiers à violer le droit en international, en refusant le plan de partage voté par l’ONU en 1947. A ce stade, retenons à tout le moins une chose : le « peuple palestinien » trouve dans l’Iran son premier fournisseur d’armes et d’encouragement judéocide.
Mais l’environnement d’Israël ne se limite pas au périmètre géographique de ses rapports régionaux avec les États arabo-musulmans qui l’entourent. Il se conçoit encore selon la nature des relations que l’Occident juge bon d’entretenir avec lui, selon les nécessités de ses propres intérêts politiques, économiques et culturels. Sous ce seul rapport, il ne résulte pas du seul fait que l’État d’Israël soit la seule démocratie parlementaire du Proche Orient, que les démocraties parlementaires occidentales le tiennent pour l’une des leurs. Comme nous l’avons écrit ailleurs[1], les démocraties européennes, ayant massivement adopté le faux narratif palestinien – d’abord pour des raisons d’alliance politiques, dictées par des impératifs économiques, puis pour des raisons culturelles, liées à l’obligation de veiller à leur équilibres internes, à cause de leur passé colonial – au premier chef la France- les démocraties européennes, disons-nous, ne sont pas des alliés d’Israël. À l’échelle des pays d’Europe qui définissent l’Union Européenne (UE), il est de bon ton de tancer Israël, de lui faire la morale, de s’en désolidariser aussi promptement qu’ils lui ont brièvement témoigné un peu de compassion au paroxysme de la violence subie de la part de ses protégés, les « Palestiniens », et de contribuer par leur ambivalence à laisser se développer la plus grande vague d’antisémitisme que le continent ait connu depuis la dernière guerre mondiale.
Depuis que l’UE a pris fait et cause pour le pro-palestinisme – qui est désormais partie intégrante de l’idéologie européenne- elle n’a pas craint de renier ses propres principes humanistes ni son rationalisme de principe, en permettant par ses financements mirifiques que sous l’égide de l’UNRWA les programmes scolaires de la direction palestinienne bicéphale éduquent les enfants de Gaza et de Judée Samarie à la haine génocidaire de leurs voisins juifs et israéliens.
Les programmes éducatifs de Palestine, scolaires et culturels, leur hétérophobie de principe et leur négationnisme sans reste- aussi bien géographique qu’historique- sont aussi l’œuvre directe et indirecte de l’UE. Sur ce point, non contents de laisser faire le pire, les États membres de l’UE n’ont jamais rien fait pour démentir dans leurs propres programmes d’enseignement ce que leur aide inconditionnelle autorise ailleurs. L’un des plus grands scandales d’aujourd’hui, c’est que le niveau d’instruction générale de l’européen en matière d’histoire du peuple juif, n’est pas supérieure au 21è siècle à ce qu’il était au Moyen Age, en dépit de toutes les formes de « démocratisation ».
En somme, l’UE s’est constamment montrée adversaire de la pacification des mentalités à l’endroit d’Israël : elle n’a eu de cesse de naturaliser aux yeux et aux oreilles du monde l’antisionisme protéiforme qui fleurit à ciel ouvert aujourd’hui, sans plus dissimuler son substantialisme antijuif, en se faisant le relais de la désinformation palestinienne qui fait une avec sa « cause » depuis les années 20 du vingtième siècle.
A cet endroit, retenons une deuxième chose : le « peuple palestinien » a trouvé dans l’UE et ses institutions affines (Unesco, notamment), non pas seulement son plus grand bailleur de fonds, mais encore son plus fidèle pourvoyeur d’amoralité et de subversion du droit décomplexées.
Pourtant, si le peuple palestinien entendait constituer une entité autre qu’un « non-peuple », dont la seule raison d’être n’était pas seulement de s’affirmer en miroir destructeur du peuple d’Israël, il s’insurgerait, du tréfonds de son âme et de son vouloir vivre, contre la tutelle humiliante dans laquelle le maintiennent certaines puissances, seulement désireuses de l’instrumentaliser contre un ennemi imaginaire : l’État d’Israël, pour les seuls besoins de leur politique intérieure comme de leur vision stratégique du monde.
Cependant, objecteront certains, Israël n’a pas que des ennemis, ni des adversaires ambigus, il peut aussi compter sur l’amitié sans faille des États-Unis. Cette supputation a tout lieu de traduire l’idéologie de la concorde inaliénable dont les USA se sont fait une légende dorée depuis 1948. Cependant, le coût de cette alliance n’est pas du meilleur goût ni du meilleur aloi pour l’intégrité morale et territoriale d’Israël. La crise internationale déclenchée le 7 Octobre par l’attaque génocidaire du Hamas a montré que « le meilleur ami d’Israël » entend aussi user de son influence pour dicter à Israël les conduites qui complaisent d’abord à l’idée que les États-Unis se font ce que doit être l’État des Juifs.
Cela nous amène à dire quelques mots de l’environnement interne d’Israël. Ainsi, sous la présidence des Républicains, depuis le début du 21e siècle, une partie de la diaspora juive nord-américaine -la plus influente du monde- s’est mise en tête de considérer Israël comme son parent pauvre, ou son enfant indolent, qu’il faut à toute force convertir à ses conceptions. Et cette diaspora qui s’est refusée à faire le saut qualitatif de la souveraineté voudrait que l’État d’Israël adopte unilatéralement les blandices de son « progressisme » de surface.
La vocation d’Israël est-elle de substituer à l’héritage spirituel deux fois millénaire du judaïsme historique les slogans d’une modernité acéphale, avant tout partisane militante de la dissolution des identités, condition sine qua non de la planétarisation d’un capitalisme de contrôle ?
L’alliage vénéneux de l’éthique sans politique de la mouvance JStreet/JCall et de l’entrisme européiste de Chalom archav définissent vis-à-vis d’Israël le principe d’une politique de remontrance et de disqualification destinée à déjudaïser Israël, c’est-à-dire à dévitaliser ce qui fait sa singularité dans un monde leurré, qui confond trop souvent uniformité et universalisme.
Il n’est pourtant pas douteux que la vocation d’Israël n’est ni de former « la tête de pont de la civilisation européenne au Proche Orient » (comme le disent les milieux européens bien-pensant), ni de servir de faire valoir aux tenants du dernier impérialisme occidental, ni à ses porte-parole.
Menant la guerre au fanatisme et se défiant du progressisme, Israël a donc raison de ne pas s’en laisser compter par des donneurs de leçon calculateurs ou des institutions internationales dépourvues de conscience, qui n’ont même pas le respect de la sagesse des nations.
© Georges-Elia Sarfati*
*Georges-Elia Sarfati est philosophe, linguiste, psychanalyste, co-fondateur du Réseau d’étude des discours institutionnels et politiques, directeur de l’École française d’analyse et de thérapie existentielles (www.efrate.org), fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem, lauréat du prix de poésie Louise Labbé.
Notes
[1] cf. « Les deux erreurs de l’Europe », in Tribune Juive. 19 décembre 2023
Ce cancer qu’est l entité nazie doit disparaitre