Daniella Pinkstein. Dor va Dor. Pourquoi avoir un Père

Dor va Dor

Oy vey ! Ah ! Les mères juives ! Les mères trop ceci ou pas assez cela, les mères qui couvrent leurs enfants de ces pulls épais quand ils rêvent de s’élancer légers de l’arbre le plus haut, ces mères les mains dans la farine, la semoule, ou fébriles parmi des cahiers d’école, sont toutes, ne vous en déplaise, les filles de pères, lourds de leur histoire, de leur exil, de leur vocation d’inquiétude. 

Dor va dor, ces générations entrelacées, multiples, où chacun peut devenir l’autre pour tisser l’éternité, s’engendrent de pères en fils, de pères en filles, et oy vey de mères en matriarches, de mères, aussi, de tout un Peuple.

Pour toutes les filles, petites-filles

qui deviendront grandes,

ou celles encore qui ne veulent pas le devenir,

Pour Georges

***

Pourquoi avoir un père ?  Qui éclaire un chemin que l’on n’empruntera jamais, songe-t-on aux premiers éclats de liberté

Pour qui faut-il un père ? Pour celui qui croit posséder son destin, et connait toutes les réponses à des questions qu’il ne pose pas. Encore !

Les mains d’un père, qui dérobent, croit-on, plutôt qu’elles ne donnent. Ces mains qui agrippent cette vie, « la nôtre », s’enorgueillit-on, en écartant la sienne. Ces mains qui tiennent cahin-caha le monde à chaque mouvement, à chaque salut, à chaque au-revoir. 

Je me souviens de ce toit qui me couvrait de tes ailes, de tous ces « toi » qui me fabriquaient à mesure des jours. Je pouvais mille fois chuter, et plus encore m’élancer, je pouvais barbotter, me soulever de terre, tu m’accueillais parmi d’épais nuages, assuré des cieux que tu foulais pour moi. 

Pourquoi avoir un père, je me dis aujourd’hui le cœur lourd ? Quand sur le chemin, il n’est plus là pour me fêter à chaque halte.

Roman Vishniac. Un grand-père et sa petite-fille. Varsovie. 1938

On ne dit pas, car c’est là un secret qui ne se partage pas, on ne révèle jamais l’incommensurable infini qui unit comme un ruban d’or, un père à sa fille, un ruban qui tourne suivant le vent, qui virevolte suivant le temps, qui fait de l’un et l’autre des tisseurs enchantés.  

Oui, quelle joie répétée d’être une fille, une petite-fille, la joie d’être femme à ses côtés, par fierté, par morgue, la joie de grandir sans fin, – une fleur d’éternité- , avoir un père c’est croire que le monde, aussi démesuré soit-il, peut se révéler en une phrase dans laquelle nous sommes tout l’alphabet. 

Oui, qui d’autre pourrait croire que l’on est si invincible ? « Relève-toi donc ! » dit le père dont les souvenirs sont désormais mes souvenirs et dont mes pas façonnent son horizon. Qui d’autre, oui Qui d’autre, sait aujourd’hui que je suis invincible ?

Golda Meir at the opening of Tel-Aviv-Netania Road. 1950 © Rudi Weissenstein/The PhotoHouse

Et puis, comme par magie, le voilà soudain ce grand juif, ce roi, à la Tebah. Il prie couvert de son talith, il n’a jamais été aussi grand, et moi aussi juive. A le voir se courber, silencieux et inquiet, je sens l’avenir de mon peuple sous mon regard qui le regarde lui, ne plier que devant son Dieu. Quand nous sortirons, alors qu’il m’apparaît qu’hommes, femmes et même les enfants portent, tous, son grand sourire, je comprends alors que le chemin sera long, tu avais raison, mais que de chaque caillou je ferai une parole tenue.

Avoir un père juif, c’est être sûr que je serais la bâtisseuse du Temple, porteuse de « paix et de vérité » et qu’à travers moi, d’autres pères, d’autres mentsh irréductibles continueront à perpétuer ta Promesse, – en dépit de tous les Amaleks qui surgissent de siècle en siècle. 

Mon père

© Daniella Pinkstein


Daniella Pinkstein, linguiste de formation, fut consultante dans des cabinets politiques et institutionnels français puis européens, traductrice, éditrice, journaliste et chroniqueuse en France et en Israël. Suite à une bourse doctorale, elle s’installe en Hongrie, pour étudier les minorités d’Europe centrale et le discours qui sous-tend leur émancipation. Ce séjour changera son rapport à l’Europe et surtout au monde juif. Elle est l’auteure de ‘Que cherchent-ils au Ciel tous ces aveugles ?’ (Ed. MEO) et de ‘Jérusalem, par une rosée de lumières’, préfacé par Rachel Ertel (Ed. Biblieurope) pour lequel elle a reçu le prix du European Jewish Writers in translation 2021 (décerné par le Jewish Book Week).


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1 Comment

  1. L’attache unique avec le pere est la continuite de l’attache sans fin avec notre Dieu, le pere, cela se sous entend a travers son nom particulier.

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