CRITIQUE – Dans le troisième tome de son Histoire intime de la VeRépublique, FOG décrit une tragédie. Celle qui commence par l’élection de François Mitterrand et qu’aucun de ses successeurs ne parviendra à empêcher.
Cet article est extrait du Figaro Histoire « Napoléon, l’histoire et la légende ». Découvrez dans ce numéro comment le mythe napoléonien est né du vivant de l’empereur et se prolonge jusqu’aujourd’hui avec une puissance intacte.
Un chapeau comme Mitterrand, un corps long et athlétique comme Chirac, un sourire où la gaieté l’emporte sur la mélancolie comme Pompidou, un œil vif et perçant comme Sarkozy, une distance ironique et relâchée comme Hollande : Franz-Olivier Giesbert a poussé le professionnalisme jusqu’à emprunter un peu d’eux-mêmes à ceux qui peuplent son œuvre. Cette imprégnation presque organique du moment, des lieux et des personnes distingue le journaliste : elle l’a placé aux premières loges de la comédie du pouvoir.
C’est une tragédie pourtant qu’il décrit dans le troisième tome de cette Histoire intime de la Ve République. Celle qui commence par l’élection de François Mitterrand et qu’aucun de ses successeurs ne parviendra à empêcher. Jusque-là, l’écrivain nous avait livré une formidable méditation sur l’ambivalence du gaullisme, Le Sursaut , un portrait nostalgique et enchanteur des années 1970, La Belle Epoque . Ici, il se fait le guide d’un domaine où les murs s’affaissent, les tuiles laissent passer l’eau, les portes grincent, mais où la pièce se poursuit comme si la France était encore le pays de Louis XIV.
Tout se disloque
Comme le Hugo de Choses vues, Franz-Olivier Giesbert est partout, il voit tout, retient tout. La vie politique est une affaire de chair et de sang, de conversations, de situations. Voici Pierre Mauroy et son « frontal de bœuf » (Jean Cau), qui tente de freiner les folies des premières années Mitterrand, « Mauroy intime, le vrai : toujours prêt à rire » ; voici Laurent Fabius, qui change de montures avec l’aisance des meilleurs cavaliers mais « qui exsude un mélange d’ennui et de suffisance intestinale » ; voici Jean-Marie Le Pen, dont Mitterrand a été, dit-il, « le grand bienfaiteur » en encourageant discrètement son exposition médiatique et en instituant le scrutin proportionnel, tout en suscitant contre lui SOS Racisme : piège politique et moral dans lequel la droite et le FN tomberont à pieds joints.
Rocard, Joxe, Pasqua, la galerie des dignitaires apparaît sous la pointe fine du chroniqueur. On la découvre aux sons des tubes que la France fredonne, Renaud, Jean-Jacques Goldman, Céline Dion. Tout se disloque dans l’insouciance de la « variétoche ». C’est aussi la vie des journaux. Le Nouvel Obs où Jean Daniel flotte au-dessus des nuées, Le Figaro où Robert Hersant enseigne à son jeune Giesbert les tables de la loi du journalisme. Ça gueule, ça fume, ça boit, ça brille, ça ment, ça pétitionne, ça fanfaronne, ça complote, ça combine : le quotidien d’un quotidien est ici merveilleusement raconté ; on y retrouve l’univers des Illusions perdues.
Un sentiment l’étreint, celui du déclin
Le tour de force du mémorialiste est qu’il n’oublie rien des anecdotes qui font le sel de l’existence sans sacrifier les courants profonds qui provoquent nos tempêtes contemporaines. Et le plus important d’entre eux : l’immigration. Franz-Olivier Giesbert raconte Paul Yonnet, coupable d’avoir dénoncé l’immigrationnisme dans son essai prophétique Voyage au centre du malaise français (1993) et bientôt condamné à la mort sociale. L’auteur, au tribunal de lui-même, se repent publiquement (chose rare) de n’avoir pas, à l’époque, soutenu le sociologue. Le journaliste est alors au faîte de sa carrière pendant que la France s’endette, s’appauvrit et change d’aspect sous l’effet conjugué de la communautarisation, du début de la fin du travail et de l’américanisation.
Autour de Mitterrand, on se suicide ; autour de Balladur, on se prépare à entrer au château ; autour de Chirac, on lance la chevauchée héroïque. Les années Jospin, le nocturne Villepin, l’épopée Sarko, Franz-Olivier Giesbert déroule le début du siècle mais un sentiment l’étreint, celui du déclin. Il cherche son pays, et son pays partout s’efface. Aucune délectation dans cette esquisse, c’est même le contraire. L’auteur compense par l’entrain, l’esprit, la facétie, le délitement qu’il est contraint de décrire. Cet homme siffloterait sur les ruines en cherchant du regard l’oiseau, le rayon du soleil, la branche pleine de sève qui maintient l’espérance. La France lui survivra, se console-t-il. Franz-Olivier Giesbert ne se prend pas pour Chateaubriand, qui se prenait pour la France ; il est FOG, et ces Mémoires le prouvent, c’est bien assez pour toute une existence.
© Vincent Trémolet de Villers, pour « Le Figaro Histoire »
« Napoléon, l’histoire et la légende » , 132 pages, 9,90€, disponible en kiosque et sur le Figaro Store .
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