ENQUÊTE – Victimes d’agressions et de discriminations de la part de chauffeurs ou de livreurs, certains Français juifs vont jusqu’à modifier leurs identifiants sur les plateformes et retirer leur nom des boîtes aux lettres.
Ce matin-là, elle a eu « l’impression de porter l’étoile jaune ». Yaël*, 31 ans, est encore sous le choc de la sentence de sa coiffeuse, le 9 novembre dernier, à Gagny, en Seine-Saint-Denis: « Tu es juive, donc je ne te coifferai pas ». Vexations, discriminations, voire agressions… Pour certains Français portant un patronyme juif « identifiable », les craintes, qui « ne datent pas d’hier », ont pris une tout autre ampleur depuis l’attaque du Hamas en Israël.
Beaucoup ont modifié leur nom sur leurs applis de livraisons ou de VTC, d’autres l’ont même retiré de leur boîte aux lettres. « Quand on s’appelle Lévy ou Cohen, en ce moment, il vaut mieux prendre un pseudo… », soupire une mère de famille, qui a inscrit des initiales sur son interphone. « Retirer la mezouzah de la porte, cacher les kippas sous les casquettes, effacer les noms juifs sur les boîtes aux lettres ou les applications mobiles pourrait nous conduire à un grand effacement », déplore, dans une récente interview au Figaro, le président du Crif, Yonathan Arfi. Une « invisibilisation des juifs dans la société française » dont il ne veut « pas faire le cadeau aux auteurs » des plus de 1500 actes antisémites répertoriés depuis le 7 octobre.
Le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, qui a reçu de nombreuses « immondices » antisémites, l’a raconté sur TF1: « Mon père m’avait dit: ‘Tu as beau ne pas être juif, tu subiras l’antisémitisme toute ta vie comme les juifs parce que tu portes un nom juif' ». Selon une enquête de la Fondapol datant de janvier 2022, « l’identification en tant que juif dans l’espace public français constitue un facteur de risque et expose particulièrement à la violence »: 74 % des Français de confession ou de culture juive disent avoir déjà subi un comportement antisémite, de la moquerie à l’agression physique. Dès lors, 48 % des personnes interrogées évitent parfois de dire qu’elles sont juives dans une discussion, et 55 % des parents demandent à leurs enfants de ne pas porter de signes distinctifs. Désormais, ce sont les noms, et même les prénoms d’origine hébraïque, que l’on cache.
Y a personne, mais je vais pas pouvoir te coiffer, parce que je soutiens la Palestine, et que tu es juive! Une coiffeuse à Yaël, une cliente
Avocat de l’Organisation juive européenne (OJE), Me Grégory Bensadoun rapporte le « retentissement psychologique terrible » chez Yaël: « Ma cliente est effondrée, sidérée, humiliée, insiste-t-il. Elle a porté plainte, et l’enquête est toujours en cours ». Cela fait trois ans que la jeune femme fréquente le même salon de coiffure, à Gagny. « Il y a un peu plus d’un mois, la patronne l’a revendu à l’une de ses salariées, qui m’avait déjà coiffée sans problème, raconte Yaël. Un jour, j’ai téléphoné pour demander si je pouvais venir immédiatement. Après m’avoir dit oui, la nouvelle gérante m’a demandé mon nom. ‘Ah! désolée, il y a des clientes qui viennent de rentrer!’, a-t-elle finalement éludé ». Quelques jours plus tard, Yaël rappelle, demandant un rendez-vous le soir même. La coiffeuse accepte, mais, en entendant le nom, se rétracte: « Je vais devoir fermer plus tôt aujourd’hui… » Le 9 novembre, Yaël décide donc de se présenter au salon dès l’ouverture: « Y a personne, mais je vais pas pouvoir te coiffer, parce que je soutiens la Palestine, et que tu es juive !, lui aurait lancé la coiffeuse. Donc je ne te coifferai pas, ni aujourd’hui ni la prochaine fois ». Lors de la confrontation, « au commissariat, le lendemain, la coiffeuse contestera ces propos, tout en reconnaissant avoir parlé de la Palestine, relate Me Bensadoun. Elle s’est dite ‘débordée, avec deux clientes au bac’… dont elle ne se souvient plus du nom et qui comme par hasard ont payé en espèces ».
Quelques jours après l’attaque du Hamas, une famille en provenance de Tel-Aviv, a révélé « Le Canard enchaîné », a été refusée, à l’aéroport d’Orly, par un chauffeur de taxi. « Sale juif! Si je t’avais pris, je t’aurais égorgé, toi, ta femme et tes enfants », a-t-il lancé au père. Par « peur de représailles », la famille a refusé de porter plainte. Mais les faits ont été signalés à la Direction des usagers et des polices administratives (Dupa) de la préfecture de police et le chauffeur a « été suspendu de toute activité ».
Deux affaires très graves – de séquestration et de coups et blessures volontaires – impliquant, mi-octobre, un chauffeur de VTC, ont été portées à la connaissance du « Figaro ». Mais les victimes, traumatisées, n’ont pas voulu que les détails en soient publiés. « Nous avons effectué quelques modifications afin d’éviter que vous soyez mis en relation avec ce chauffeur à l’avenir, répond le ‘support client’ de la société à l’une d’elles. Sachez que vous êtes libre de déposer une plainte ».
Une plainte? « Mais comment voulez-vous que j’ose porter plainte contre ce chauffeur qui a toutes mes coordonnées? », s’émeut la victime.
Le 19 octobre, c’est Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) qui s’était fait menacer par un chauffeur Uber. « Au téléphone avec une journaliste, je décrivais les actes antisémites frappant des étudiants, relate-t-il. Soudain, le chauffeur s’est garé sur le bas-côté et a dit: ‘Maintenant, vous sortez!' » Après sa plainte, la compagnie a été ‘très réactive’, se félicite-t-il: « Le chauffeur a été suspendu ».
Des actes antisémites sur des plateformes de livraison
Être suspendu, c’est d’ailleurs ce qui pourrait arriver au compte d’Élie, un rabbin de 60 ans. « Nous avons remarqué que votre note est basse, lui a écrit Uber il y a quelques jours. Si elle continue à descendre, votre compte sera désactivé ». Ce grand-père très courtois ne savait même pas qu’il était noté! « C’est une conductrice musulmane qui m’avait alerté il y a six mois: ‘Mais pourquoi donc votre note est-elle si basse? J’ai bien peur que ce soit à cause de votre kippa et de votre barbe que certains de mes collègues vous notent mal’, raconte-t-il. Et moi qui attribue systématiquement 5 à tous les chauffeurs! »
Chez Uber et Uber Eats, on assure ne pas avoir « observé d’évolution significative du nombre d’incidents » en rapport avec l’antisémitisme. « Toute violence verbale ou physique signalée lors de l’utilisation de notre plateforme entraîne une suspension immédiate du compte qui peut être définitive, affirme un porte-parole. Nous garantissons le maximum de confidentialité à nos utilisateurs: seul le prénom est visible par l’autre partie, le numéro de téléphone n’est jamais communiqué et l’adresse utilisée pour une course ou une commande n’est plus visible dans l’application une fois celle-ci effectué ».
À propos de cas présumés d’agressions par des livreurs, la société précise avoir « répondu à tous les tweets à ce sujet pour pouvoir rapidement prendre les actions nécessaires, mais certains faits ne semblent pas s’être déroulés sur notre applicatio ». En janvier 2021, à Strasbourg, un livreur Deliveroo avait refusé de prendre des commandes dans deux restaurants kasher, objectant: »Je ne livre pas les juifs ». Condamné à quatre mois ferme, ce jeune Algérien avait ensuite été renvoyé dans son pays.
Des incidents impliquent également La Poste. Surtout quand il s’agit d’envoyer des colis en Israël. « Ils arrivent souvent très longtemps après, parfois en piteux état, avec ‘Israël’ barré et remplacé par ‘Palestine’, témoigne Rebeccah, quinquagénaire parisienne. Une amie a marié son fils il y a trois ans. Aucune des invitations qu’elle avait envoyées en Israël n’est arrivée à destination. Le cadeau de mariage que mon ex-compagnon a adressé à ma fille ne lui est jamais parvenu non plus ; il l’avait posté à Saint-Denis… Nous n’avons jamais eu de réponse aux réclamations sur ces courriers perdus. C’est terrible, mais on a l’impression que de toute façon, personne ne va nous écouter! »
En octobre 2020, un certain Michael avait interpellé La Poste sur Twitter: « Merci de dire à vos facteurs de s’abstenir de poster des messages antisionistes lorsque vous avez des colis à livrer en Israël ». Sur la photo de son Colissimo, on pouvait lire: « Palestine. Israël n’existe pas ».
Entre 2008 et 2010, Emmanuel Abramowicz, aujourd’hui secrétaire général du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), travaillait à l’Office national israélien du tourisme. « On s’est aperçu que, très souvent, nos courriers n’arrivaient pas, se souvient-il. On a remplacé l’entête sur nos enveloppes par l’acronyme Onit. Dès lors, on n’a plus eu de problèmes ».
Le 11 octobre 2017, une main courante – la plainte a été refusée – pour « nuisances diverses » a été recueillie au commissariat de Suresnes, dans les Hauts-de-Seine. Un mois auparavant, Lucie avait posté le flacon d’eau de toilette et les vitamines que son amie israélienne lui avait demandés. Colis retourné à son expéditeur. Sauf que le 10 octobre, les services des postes israéliens convoquent la destinataire pour lui présenter un colis portant la même étiquette, mais avec un curieux contenu: des flacons non étiquetés, remplis d’un liquide translucide suspect. « Un facteur malveillant a donc produit un faux pour effrayer une Israélienne! », s’émeut Lucie. Du côté de La Poste, on répond qu’ »aucune information de ce type n’est remontée en interne » et que « les équipes restent vigilantes ».
« Le nouvel antisémitisme, c’est un fonctionnaire ou un salarié qui utilise son entreprise pour faire son petit djihad perso contre le juif de son choix!, s’offusque le secrétaire général du BNVCA. En plus de nos coordonnées, les livreurs ont les codes pour rentrer dans nos immeubles. Vous rendez-vous compte qu’ils ont tous les éléments pour, s’ils le voulaient, passer à l’acte? »
Un jour, à l’aéroport, un agent un peu trop vétilleux, à force de lui « demander, de façon exagérément zélée, d’ouvrir (s)on sac, d’enlever ceci, de montrer cela, de présenter tel document, tout en ricanant avec un collègue », a failli lui faire rater l’avion… « Il y a environ deux ans, j’ai eu une interruption totale de services de ma box Free, rapporte-t-il encore. J’ai donc envoyé un message par l’interface, et j’ai reçu une réponse officielle: ‘Nous sommes désolés, cet incident technique concerne tout le quartier’. Trois jours plus tard je tombe sur mon gardien: ‘Mais pour moi, comme pour tout l’immeuble, ça marche très bien!’ Là, j’ai compris que quelqu’un m’avait ciblé personnellement. Je me suis plaint et on m’a rétabli immédiatement mes services ». Chez Free, on n’a toutefois pas constaté « de remontées particulières ».
« Je m’éloigne de plus en plus de mon nom et de ma religion. J’avoue que j’ai honte, mais j’ai trop peur. Autant avant j’étais fière de m’appeler comme ça, maintenant, je souffre dans ma chair« . Anne-Laure, jeune cadre dans le marketing
Cela fait quatre ans que Sarah, 25 ans, a changé de prénom et de nom sur l’appli Uber. « Un soir, un chauffeur s’est montré très méfiant: ‘Sarah, c’est de chez nous? T’es tunisienne ou marocaine?' »
Mêmes tourments pour Anne-Laure, jeune cadre dans le marketing, qui porte un « patronyme très exposant ». Depuis le 7 octobre, elle s’est désinscrite de toutes les plateformes et applis qui n’acceptaient pas de changement de nom. « Quand je fais des visites d’appartements, je donne un autre nom, indique-t-elle. Je ne commande plus de nourriture kasher. Je descends récupérer mes courses, pour ne pas que le livreur voie l’interphone. Je m’éloigne de plus en plus de mon nom et de ma religion. J’avoue que j’ai honte, mais j’ai trop peur. Autant avant j’étais fière de m’appeler comme ça, maintenant, je souffre dans ma chair. Si j’ai des enfants, je ne leur donnerais surtout pas de prénom hébraïque. Quant à mon nom, je veux qu’il disparaisse ».
© Stéphane Kovacs
Honteux ! Le pays s’enfonce de plus en plus dans l’ostracisme et la bêtise. Si ça ne s’arrête pas, l’humanité disparaîtra. Nous sommes par essence judéo-chrétiens. Aujourd’hui, les Juifs, et demain… ? Soutien, du fond du coeur, à toutes et tous.
Non seulement 2400 israéliens se sont fait massacrés chez eux et des enfants, des bébés ,femmes et hommes se sont fait enlevés, mais en plus en France, cela a déclenché envers nous une haine qui devait être sous-jacente. Essayons, en montrant que nous sommes beaucoup plus intelligents que ces abrutis ,de dépasser cette abomination .
En France…Et dans tous les autres pays occidentaux, les pays wokisés précisément. Donc USA, Canada, Angleterre, Belgique, Allemagne et ainsi de suite. Naziwokisme et antisémitisme vont toujours ensemble.
France pays des droits de l’Homme et du citoyen … “hé, la France, ton café fout le camp !”
Fin 2005, Alexandra ne voulait pas me coiffer parce que je suis trisomique.