TRIBUNE. Pour le philosophe, politologue et historien des idées, “ce nouveau conservatisme se doit d’être lucide et courageux”.
Depuis plusieurs années, nous assistons en France à la formation d’une contre-société fondamentalement hostile à la société globale et non simplement en état de sécession – phénomène ordinairement appelé “communautarisme”, “séparatisme”, etc. Il s’agit d’une contre-société à deux faces: islamiste et ultra-gauchiste, la gauche radicale, ralliée au décolonialisme comme à l’écoféminisme, étant désormais wokisée. L’ennemi désigné par les leaders et les idéologues de cette contre-société n’est pas simplement l’Occident, mais l’occidentalisation du monde. La critique radicale du productivisme, de l’industrialisme et de l’idéologie du développement, dans les milieux écologistes militants, s’ajoutant à un antiracisme centré sur la dénonciation du”racisme blanc” et la préférence pour l’autre, s’est traduite par une mise en cause de la modernité occidentale, globalement criminalisée. Chez ces Occidentaux qui ne s’aiment plus, la haine de soi s’est élargie en haine du “nous” : c’est la définition même de l’ethnocentrisme négatif, qui consiste à dévaloriser la culture du sujet tout en idéalisant telle ou telle culture étrangère.
Les valeurs et les normes de la civilisation occidentale sont désormais globalement rejetées par divers groupes vivant dans les pays occidentaux. Il s’ensuit que l’objectif civilisationnel de ladite contre-société, qu’on peut caractériser comme islamo-gauchiste ou islamismo-gauchiste, est la désoccidentalisation du monde.
D’où, dans les milieux du nouveau gauchisme (ou de la “gauche radicale”), le rejet de l’héritage des Lumières et, en conséquence, de l’héritage rationaliste du marxisme. Cette démarxisation de l’extrême gauche, c’est-à-dire de la gauche révolutionnaire, est un phénomène observable depuis les années 1970. Elle s’est récemment accélérée avec la large diffusion des représentations d’un écologisme apocalyptique. La défense de la planète (de la “vie” ou du “vivant”, de la “nature”, de la “Terre”, etc.) étant placée au-dessus de tout, l’objectif de l’émancipation du genre humain est rejeté comme “anthropocentrique”, voire “androcentrique”. L’objectif de désoccidentalisation du monde, poursuivi par toutes les mouvances du néogauchisme, s’accorde en revanche parfaitement avec celui des islamistes : l’islamisation du monde. De là, les convergences et les alliances apparemment paradoxales que nous observons surtout depuis les années 2000.
Contre-société islamisée
L’émergence de cette contre-société s’est produite à partir d’une immigration de masse de culture musulmane en grande partie mal intégrée, puis organisée selon des normes étrangères à la culture démocratique française à travers sa prise en main par des entrepreneurs communautaires islamistes qui, notamment sur les réseaux sociaux, s’adonnent à un travail d’endoctrinement et de propagande. Il faut avoir à l’esprit que l’islam n’est pas simplement une “religion” au sens donné à ce terme au sein de la vision occidentale moderne (libérale-pluraliste ou républicaine-laïciste), mais une religion-culture-civilisation autosuffisante, assumée comme telle par ses représentants. La société française n’est pas la seule touchée. Le phénomène est observable dans la plupart des pays européens et en Amérique du Nord. Cette contre-société islamisée aux multiples visages nationaux forme donc un contre-Occident dans l’Occident. Elle est l’une des principales causes des nouvelles formes de la désunion nationale que l’on observe dans les sociétés démocratiques occidentales.
Comment, face à ces forces de dissolution, les nations démocratiques occidentales peuvent-elles se défendre sinon en commençant par répondre à la question de savoir “pourquoi et comment se protéger et se conserver ?”. Et bien sûr aussi de savoir quoi conserver, autour de ces deux précieux héritages de la civilisation européenne : la recherche de la vérité et l’exercice des libertés. On ne saurait dès lors s’étonner de voir le conservatisme revenir à l’ordre du jour. Mais ce nouveau conservatisme ne doit pas se confondre avec l’expression des peurs de ceux qui craignent un ébranlement du statu quo et sont prêts à tous les compromis. Il ne doit pas non plus se réduire à une confortable installation dans la nostalgie du “bon vieux temps”. Il se doit d’être lucide et courageux.
On connaît la boutade lancée en avril 1924 par l’écrivain britannique Gilbert Keith Chesterton : “Le monde moderne s’est divisé entre conservateurs et progressistes. L’afaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des conservateurs est d’empêcher que les erreurs soient corrigées.” Chesterton ironisait plaisamment sur les travers des conservateurs comme des progressistes. Mais tous les conservateurs ne passent pas leur temps à “empêcher que les erreurs soient corrigées” : nombre d’entre eux les pointent, les analysent et s’fforcent de les corriger. Il faut reconnaître cependant que la pensée conservatrice oscille entre deux pôles, ce qui rend souvent difficile son identification et limite son efficacité symbolique dans le champ politique : le pôle libéral et le pôle nationaliste.
National-conservatisme maurrassien et libéral-conservatisme aronien
Après la Seconde Guerre mondiale, la synthèse conservatrice-nationaliste a été marginalisée et diabolisée, rejetée dans l’enfer de “l’extrême droite” (toujours plus ou moins “fascisée” ou “nazifiée” par ses dénonciateurs), tandis que la synthèse conservatrice-libérale s’est épanouie à la faveur de l’anticommunisme élargi en antitotalitarisme. Disons, pour illustrer ce double processus par le cas français, que le national-conservatisme maurrassien a été marginalisé au profit du libéral- conservatisme aronien. À la suite de la révolution iranienne de 1979, l’islamisme a pris la figure du troisième totalitarisme apparu au XXe siècle. Le surgissement de cette nouvelle menace mondiale a suscité une transformation du sens, de la fonction et de la valeur de la position conservatrice dans les démocraties occidentales. La volonté de conserver et de défendre les régimes démocratiques garantissant les libertés est revenue au premier plan.
En 2017, dans l’un de ses derniers livres, sobrement intitulé “Conservatisme”, le philosophe conservateur britannique Roger Scruton définit le conservatisme comme un “tempérament”, une “manière particulière d’être”, mais il distingue aussitôt “l’attitude conservatrice”, relevant d’une réaction “instinctive”, du conservatisme comme philosophie politique, compris donc comme un ensemble organisé d’idées dites conservatrices, dont il se propose de montrer la cohérence. Aujourd’hui, le conservatisme se trouve dans une position défensive face à cette nouvelle forme de police de la pensée qu’est le politiquement correct, ainsi que le note Scruton :
“Dans une société qui idolâtre l'”inclusion”, la seule “phobie” permise est celle dont les conservateurs sont la cible.” Ceux qui sont étiquetés comme “conservateurs” ou “de droite” sont stigmatisés de diverses manières : “racistes”, “sexistes”, “homophobes”, “islamophobes”, “réactionnaires”, etc. Les penseurs conservateurs sont ainsi poussés à entrer dans le champ de la “guerre des cultures” et à y participer activement. Il s’agit pour eux de comprendre d’abord le politiquement correct, avant de trouver les moyens de le combattre, c’est-à-dire de résister à l’idéologie dominante.
Il faut commencer par poser la question de l’interprétation correcte du politiquement correct – rebaptisé désormais “wokisme” – en distinguant deux modèles interprétatifs, celui d’un hyperlibéralisme devenu fou et celui d’un antilibéralisme sacrifiant la liberté sur l’autel de l’égalitarisme. Scruton pose ainsi le píoblème : “Le politiquement correct est-il simplement le stade final de l’individualisme libéral, le stade où tous les obstacles qui entravent le choix libre de son identité doivent être abattus ? […] Le politiquement correct est-il une atteinte à la grande tradition libérale, un moyen de faire de l’égalité une cause si prééminente et si urgente que plus rien ne subsiste de la liberté, que la vie sociale est occupée par une chasse aux sorcières incessante contre les défenseurs des distinctions sociales ?”
Défi de l’immigration et politique du multiculturalisme
Le nouveau conservatisme politico-intellectuel, affirme encore Scruton, est “incarné par trois penseurs : Samuel Huntington aux États-Unis, Pierre Manent en France et moi-même en Grande-Bretagne” – pour la France, il faudrait ajouter Julien Freund, Philippe Bénéton, Stéphane Rials, Rémi Brague, Chantal Delsol, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois. Puis Scruton en définit sommairement le noyau dur, qu’il réduit à deux thèses : « Nous partons de prémisses différentes, mais nous nous retrouvons sur les idées principales : l’immigration musulmane constitue un défi pour la civilisation occidentale ; la politique offcielle du “multiculturalisme” n’est pas la solution mais fait partie du problème.” Notons au passage que le multiculturalisme n’est “officiel” ou institutionnel que dans les sociétés anglo-saxonnes, et que la France républicaine, jusqu’ici, a résisté au chant de sirène des chantres du multiculturalisme, qui la stigmatise comme ‘monoculturelle”.
Il faut cependant et surtout souligner que ces deux thèses sont partagées par de nombreux intellectuels qui ne se reconnaissent pas comme conservateuís, qu’ils se classent à droite ou à gauche. En France, des libéraux, des républicains et des socialistes, attachés à la laïcité, soucieux de défendre la souveraineté nationale et hostiles à toute forme de communautarisme, rejettent le multiculturalisme et perçoivent l’immigration de masse de culture musulmane, du fait de sa résistance à l’assimilation au nom de son identité religieuse, comme un problème pour la cohésion de la nation, voire comme une menace pesant sur la paix sociale et la vie démocratique. Cette forte immigration musulmane, travaillée par la propagande antijuive et anti-occidentale de nombreux groupes islamistes, représente une source de conflits interminables ressemblant à des guerres de religion, voire à des guerres de civilisation. Elle est le principal vecteur de l’importation du terrorisme djihadiste sur le sol européen, mais aussi, sous la pression des islamistes, la cause majeure de la dernière vague antijuive dans le monde occidental, centrée sur une islamisation de la cause palestinienne et une diabolisation complotiste du “sionisme mondial”.
“Politique de civilisation“
Les deux thèses évoquées par Scruton font désormais l’objet d’un large consensus dans l’opinion des démocraties occidentales. Elles jettent des ponts entre les nationaux-conservateurs et les libéraux-conservateurs, comme entre les droites non mondialistes, hostiles aux rêveries “postnationales”, et les gauches non révolutionnaires qui, refusant les utopies “sans-frontiéristes”, sont dites libérales ou réformistes. Elles pourraient constituer le socle intellectuel et culturel d’un grand rassemblement politique inédit, transgressant les frontières désuètes des appareils politiques bureaucratisés. Ce qu’on a appelé une “politique de civilisation” pourrait y trouver son orientation principale. Face aux forces de “décivilisation” qui menacent l’Occident de l’intérieur, il est urgent de lancer la bataille politique et culturelle pour une “recivilisation” des nations occidentales.
La lutte contre l’islamisation désagrégatrice des sociétés occidentales et contre l’islamo-terrorisme mondialisé est inséparable de la lutte contre la destruction “douce” des nations par le multiculturalisme et l’idéologie à la fois égalitariste et identitaire de la “diversité” et de l'”inclusion”. On reconnaît aujourd’hui un démagogue à ce qu’il dénonce l’islamisme mondialisé tout en célébrant les sociétés multiculturelles et l’entrée dans un monde postnational, alors même que les deux phénomènes sont liés. Ce grand écart idéologique, dont on observe d’autres exemples – concernant notamment le conflit israélo-palestinien –, est le principe d’une gouvernance louvoyante, faisant de l’ambiguïté son bouclier contre les critiques.
Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est la formation de contre-sociétés puissantes et dynamiques au sein de nos sociétés qui ont souvent tendance à s’aveugler sur les menaces venant d’elles-mêmes, notamment lorsqu’elles aiguisent le sentiment de culpabilité qui les travaille. Refuge des libertés et de l’exigence de rationalité en dépit de ses tentations suicidaires, la civilisation occidentale mérite d’être défendue contre ses ennemis et ses faux amis. Disons simplement qu’il faut défendre l’Occident malgré tout, et désormais malgré lui.
© Pierre-André Taguieff
Source: “Le Point”
Analyse pauvre. Il serait beaucoup plus pertinent de montrer (et c’est un jeu d’enfant) que 1) ces partis politiques ou mouvements dits “antiracistes” ou “progressistes” sont des mouvements d’extrême droite racistes, antisémites et totalitaires. Idéologiquement et même lexicalement ils s’inscrivent (tout comme le Hamas dont ils sont complices) dans la droite lignée du nazisme
2) que l’UE et nos gouvernements du “Monde Libre” et ces néo fascistes sont objectivement alliés. Voire indissociables : la politique de l’UE aboutit de toute façon à une islamisation de l’Europe et une épuration ethnique des Juifs.
3) que ces prétendus défenseurs des minorités et “social warriors” ne défendent ni les minorités les plus discréminées (comme les handicapés, neuro-atypiques ou physiques) ni les milieux les plus défavorisés : ce qui suffirait déjà à prouver qu’il s’agit d’impostures.
Le racisme et l’antisémitisme déguisés en “antiracisme” sont une arme de classe servant également les intérêts de la haute bourgeoisie.