Je jette ce poème au visage de l’homme sans visage ni substance, indigne de son titre, dépourvu de courage et de sens humain, soumis à l’ennemi qui nous assaille et dont le seul nom est synonyme de décadence.
Ce poème récité de mémoire hier soir par Philippe de Villiers qui nous a montré ce que c’est, un Homme.
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UN VISAGE D’HOMME
Le poète Benjamin Fondane a été assassiné à Auschwitz. Né à Jassy en Roumanie en 1898, il avait publié ses premiers poèmes alors qu’il était encore lycéen. Passionnément attiré par la France, il s’y fixe en 1923 et acquiert la nationalité française. Poète, critique, philosophe, il devient connu dans les milieux de la littérature et de la pensée. Mobilisé dans l’armée française, fait prisonnier, il s’évade et regagne Paris.
Malgré le danger qui le menace en tant que Juif, il ne veut pas quitter son domicile. Dénoncé, il est arrêté le 7 mars 1944 et conduit à Drancy. De là il est déporté à Auschwitz le 30 mai. Le 3 octobre 1944 un camion de SS l’emmène vers l’une des chambres à gaz de Birkenau.
Le recueil de poèmes « L’Exode, Super Flumina Babylonis » a paru après la guerre.
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« C’est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d’homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l’homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance!
L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage —
il reste peu d’intelligibles!
Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d’orties sous vos pieds,
– alors, eh bien, sachez que j’avais un visage
comme vous, une bouche qui priait, comme vous.
Quand une poussière entrait, ou bien un songe
dans l’œil, cet œil pleurait un peu de sel. Et quand
une épine mauvaise égratignait ma peau
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre!
Certes, tout comme vous, j’étais cruel, j’avais
soif de tendresse, de puissance,
d’or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j’étais méchant et angoissé,
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l’heure de l’échec!
Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui
j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon terme. Le Dimanche j’allais à la campagne
pêcher, sous l’œil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir. Après, après, je rentrais me coucher
fatigué, le cœur las et plein de solitude,
plein de pitié pour moi,
plein de pitié pour l’homme,
cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme
cette paix impossible que nous avions perdue
naguère, dans un grand verger où fleurissait
au centre, l’arbre de la vie…
j’ai lu comme vous tous les journaux, les bouquins,
et je n’ai rien compris au monde,
et je n’ai rien compris à l’homme,
bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer
le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je prétendu savoir ce qu’elle était, mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
étonnés de si peu comprendre —
avez-vous mieux compris que moi?
Et pourtant, non !
Je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu des désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux,
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusé d’un délit que vous n’avez pas fait,
du crime d’exister,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué,
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir.
© Daniel Louis Hervouët
Magnifique Benjamin Fondane
Magnifique Philippe de Villiers, conscience indispensable
A mes frères et sœurs humains de France et d’Israel dans la tourmente.