Depuis Israël, Michel Jefroykin lit la Presse pour nous. « Modérer Israël n’est plus possible depuis longtemps »

Henry Laurens est professeur au Collège de France.  
© Sébastien Soriano / Le Figaro

Charles Jaigu: 
Le Figaro

INCONTOURNABLE LECTURE

CHRONIQUE – Pendant longtemps, la France a voulu préserver Israël de ses tentations expansionnistes. L’historien Henry Laurens revient avec nous sur le moment gaulliste et ses suites. Depuis, la France a renoncé à raisonner le jeune pays pionnier.

Nous retrouvons Henry Laurens pour discuter de cette dangereuse crise du Proche-Orient. Le professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe a fait date avec « La Question de Palestin »e (cinq volumes, Éditions Fayard).

Il revient avec nous sur la genèse et l’évolution des positions françaises depuis la création d’Israël, en 1948, dont il parle dans plusieurs chapitres de son livre « Orientales ». La guerre des Six-Jours de 1967 est le nœud autour duquel s’articule le désir contradictoire de marquer un attachement indéfectible à Israël, tout en critiquant son appétence territoriale, cause de trop de désordres.

Cette peur du désordre est ancienne. Henry Laurens nous rappelle que la France de la IIIe et du début de la IVe République s’est montrée réticente au projet sioniste, pour cette raison. Elle en redoutait l’effet déstabilisateur sur les populations musulmanes, et notamment celles de ses colonies. Cette précaution est ensuite oubliée. Pendant que la guerre d’Algérie fait rage, la solidarité des pays arabes avec le FLN déclenche une synergie fusionnelle entre Paris et Tel-Aviv. Les deux pays connaissent alors un degré élevé de coopération militaire. Avec la Ve République, la France clôt finalement le chapitre algérien, et les capitales du monde arabe s’ouvrent.

Cela offre à Paris un champ d’exploration diplomatique nouveau, avec des perspectives économiques alléchantes : « De Gaulle veut proposer aux pays arabes sous influence soviétique une alliance de rechange ».

Au même moment, les Israéliens s’éloignent. Ils trouvent dans l’Amérique le protecteur espéré. De son côté, le président français, en privé, soupçonne chez les Israéliens des ambitions territoriales « exagérées » – c’est le terme qui revient sans cesse dans les citations de ses échanges avec les diplomates qui lui rendent visite. Après la brillante victoire israélienne de 1967, il dit au ministre des Affaires étrangères soviétique : « Je ne pense pas qu’il faille laisser Israël exagérer et garder toutes ses conquêtes ».

« Dangereuse amertum« 

Il milite pour un compromis par le haut, que les diplomates résumeront ensuite par la formule bien connue : « la paix contre les territoires » (le retour aux frontières d’avant la guerre des Six-Jours, en échange de la reconnaissance de l’existence d’Israël par les États arabes). 

C’est ce que dit la résolution 242 de l’ONU du 22 novembre 1967. 

Une semaine après le vote de celle-ci, de Gaulle tient une conférence de presse au cours de laquelle il emploie cette phrase restée célèbre à propos du « peuple sûr de lui et dominateur ». 

Il faut relire l’ensemble de l’intervention. Le virulent procès en antisémitisme et en antisionisme qui lui est fait sur le moment ne tient pas. 

Le général de Gaulle dit vouloir éviter que « le monde arabe verse dans une dangereuse amertume ».

Les gouvernements arabes s’effondreront au Caire, à Amman, à Beyrouth, et leur place sera prise par des enragés qui seront conduits on ne sait par qui, en tout cas pas par vous-même ni par les Soviétiques

Au total, « la position du général de Gaulle est plus proche des Américains qu’on avait pu le croire à l’époque, mais ils ne parviennent pas, et eux non plus, à forcer les Israéliens de s’engager dans une négociation ». 

En février 1969, dernier mois de sa présidence, le général de Gaulle reçoit Richard Nixon. Il le met en garde contre l’expansionnisme d’Israël : « les accidents, les assassinats, les camps de concentration vont se multiplier, les oléoducs, les puits de pétrole vont sauter. Les gouvernements arabes s’effondreront au Caire, à Amman, à Beyrouth, et leur place sera prise par des enragés qui seront conduits on ne sait par qui, en tout cas pas par vous-même ni par les Soviétiques. » 

Les enragés sont arrivés, comme prévu.

Outre de Gaulle, Laurens estime que deux autres présidents sont vraiment intervenus dans ce conflit : « Giscard d’Estaing a lancé une action commune européenne de reconnaissance du peuple palestinien, et François Mitterrand a envoyé deux fois les forces françaises sauver la direction de l’OLP au Liban. »

Israël considère depuis lors que la diplomatie française est biaisée en faveur du monde arabe. De leur côté, les Palestiniens ont crédité la France de son écoute jusqu’à la fin de la présidence Chirac, mais ils estiment qu’elle s’est de nouveau alignée sur Israël après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007. « Après les années Chirac, on n’entend plus de prise de position franche et nette en faveur d’une restitution de la Cisjordanie, le discours officiel est désormais purgé des mots “occupation” et “colonisation” », résume Laurens.

Finalement, « en dehors de la formule creuse en faveur d’une “solution à deux États”, la sollicitude à l’égard des Palestiniens revêt désormais un caractère strictement humanitaire et non politique ».

Cette idée d’une bascule pro-israélienne de la politique française depuis 2007 doit être nuancée. Ainsi la France a voté en 2011, sous Nicolas Sarkozy, en faveur de l’admission de l’Autorité palestinienne à l’Unesco – suscitant l’ire israélienne. Ce dernier avait glissé à Obama dans une conversation privée à propos de Benyamin Netanyahou, dont il désapprouvait le soutien aux colons : 
« Méfie-toi de lui, c’est un menteur » (le micro était resté allumé…).

Quant à François Hollande, on ne peut pas nier son sionisme « inconditionnel ». Son « chant d’amour » à l’État juif est resté fameux lors de sa visite d’État. Mais ce sont surtout les attentats en France de 2012 et 2015 qui ont recréé le sentiment d’avoir destin lié avec Israël face à la menace islamiste. Enfin, si Emmanuel Macron admire en Israël la « start-up nation », il arrive surtout à un moment d’effacement du problème palestinien.

«La force militaire»

Concluons, avec Laurens : « Il n’y a jamais eu de politique arabe de la France, contrairement à une légende tenace. Bien sûr la France a compté sur ses prises de position dans le conflit israélo-arabe pour promouvoir ses intérêts dans le monde arabe, mais le message défini dès la fin juin 1967 a toujours été la reconnaissance d’Israël contre le retour des Territoires occupés. »

Georges Pompidou, en 1971, déplore, lors d’un discours à Chicago devant la communauté juive américaine, qu’Israël ne voie pas mieux « où sont ses intérêts ». « Nous essayons de le préserver du risque du suicide », ajoute-t-il avec une certaine émotion.

Terminons par une citation de Raymond Aron – cité par Laurens -, qui au fond, avec le recul du temps, nous paraît être sur la ligne du général de Gaulle en 1967 bien plus qu’il ne le proclamait dans son livre De Gaulle, Israël et les Juifs, publié l’année suivante : 

« Tout se passe comme si les Israéliens désespéraient d’un accord et ne comptaient que sur la force militaire pour assurer leur sécurité. Je pense qu’un jour ou l’autre ils reconnaîtront ce que Hegel, commentant l’épopée napoléonienne, appelait “l’impuissance de la victoire”. »

Conférence de presse du général de Gaulle | ORTF | 27/11/1967 Version intégrale.

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4 Comments

  1. En résumé, la France, forte de ses lumières à nulle autre pareilles, sait ce qui est bon pour Israël. Et Israël, dans son arrogance à nulle autre pareille, ne veut pas écouter. Pour moi, publier cet article, en les circonstances, est une prise de position clairement hostile.

  2. Cet article est interressant , il permet de mesurer la betise et la suffisance de ces  » elites  » françaises , certaines d etre placées au centre du monde .
    On sent l odeur du quai d orsay et de macron , l homme qui pensait que la Guyane est une ile et qui n a jamais entendu parler de la culture française 🤠

    Quand on a aimė les lumieres et cette belle langue qui fut le vehicule incontournable des idées de grands français , on ne peut que pleurer devant tant de mediocritē visqueuse .
    Beurk 🥵

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