Wafa Sultan, médecin psychiatre, était à Paris, ces jours derniers, dans la discrétion. Des membres de Primo racontent cette rencontre hors du commun. (2007)
« Connais-tu Wafa ? As-tu vu le clip de Wafa ? Quel courage ! Quelle femme ! » Les qualificatifs se superposent à l’évocation de ce prénom…
Sur un seul clip médiatisé par Internet, Wafa est, du jour au lendemain, mondialement reconnue ; la Jeanne d’Arc de l’Islamisme.
Qui est-elle au juste ?
Une illuminée, une hystérique ou une simple agitatrice islamophobe, comme le prétendent ses détracteurs ?
Elle est là, devant nous, dans le hall du lieu de rencontre. Tellement anonyme dans sa mise et sa façon d’être. Petite bonne femme modeste, comme on en rencontre dans le métro, à tous les coins de rue.
À son arrivée, bien qu’au centre de la réunion, elle passe presque inaperçue.
Mais, à la simple question amicale « c’est vous Wafa ? », elle se livre aussitôt. Les mots se bousculent tant elle a de passion à libérer autour d’elle. Dans un désordre total, elle raconte sa vie quotidienne, ses angoisses ses peurs maîtrisées par l’action.
Elle parle, elle parle, et les larmes coulent à grands flots ; elle sanglote en parlant de la balle qu’on lui promet un jour dans le crâne, de ses déceptions, de ses ruptures. Nous l’entourons, nous avons envie de la protéger, de lui dire « Wafa, toutes les femmes du monde sont à vos côtés, vous êtes une grande dame, une princesse… »
Chacune d’entre nous se contente de la serrer affectueusement contre elle, de lui entourer l’épaule de la consoler comme on le fait pour un désespoir d’enfant. »Ne pleurez pas, Wafa, vous nous donnez tant d’espoir… »
Nous sommes au cœur de l’émotion et toujours dans le hall !
Nous y voilà enfin. Autour de la table tous les regards sont rivés sur elle avec une admiration et une affection mal contenue. La voilà qui se raconte. Sobre, contenue, véritable Edith Piaf de la parole.
Elle nous attache à ses mots. Pour elle, son combat coule de source.
Je suis née dans un village de Syrie, Banias, où les femmes avaient accès à l’étude. Je ne connaissais de culture que le Coran pratiqué assidûment chez nous, bien que ma famille fût large d’esprit.
Je rêvais d’étudier la littérature arabe. J’ai un amour fou pour cette belle langue pour l’écriture de laquelle on me reconnaît un réel talent.
Pour nos familles, il est honorable d’avoir un médecin dans la fratrie. Orpheline de père, pour faire plaisir à mon frère, j’ai étudié la médecine à la faculté d’Alep.
C’est sous mes yeux, à l’Université, que mon professeur a été assassiné, le corps criblé de balles aux cris de « Allah est grand ». Des centaines de meurtres se commettaient à cette époque contre des innocents. Comment peut-on assassiner un être avec une telle sauvagerie, au nom de Dieu ? Quel est donc ce Dieu ?
Bouleversée par ce meurtre d’un homme bon et généreux j’ai vécu une première remise en cause de ma foi. Quatorze ans durant j’ai exprimé mes doutes sur place dans une grande solitude et un danger constant.
En 1989, avec mon mari et mes enfants, nous avons réussi à émigrer aux Etats-Unis.
Je dois vous conter à présent quelques anecdotes qui vous indiqueront à quel point notre éducation faisait de nous des êtres à part.
Un coup de fil d’un professeur de l’un de mes enfants pour l’aider dans ses études se termine par « Je suis juif » !! J’ai lâché le téléphone et tremblé de tous mes membres. « Un juif! Que va-t-il m’arriver après ce contact avec un être monstrueux« …
Je n’avais jamais vu de Juif. Tout ce que j’en savais par mon éducation syrienne était la terreur que ces monstres inspiraient.
Peu après mon arrivée aux USA, j’achetais des chaussures dans une boutique. Pendant l’essayage, le patron de la boutique, en serrant la main de mon mari, dit: « Je suis israélien ». Abandonnant mes affaires personnelles, jetant les chaussures à la hâte, je me suis sauvée dans un état de panique indescriptible en dehors de la boutique.
Depuis, le premier Juif qui m’a téléphoné s’est avéré être le soutien le plus proche, le plus attentif pour nous aider dans notre intégration. Depuis, j’ai appris que l’on m’avait menti et que l’on ment encore à des générations d’enfants musulmans.
Voilà en quelques mots le récit de vérité que Wafa nous fait de sa vie.
Le parcours politique
En 2006, la chaîne « Al Djazeera » la contacte pour répondre en direct au professeur fondamentaliste Egyptien réputé, Al Khouly. Elle lui tient tête sur le plan théologique, et argumente son propos. Elle est traitée d’hérétique et accusée d’apostasie. Quatre fatwas sont depuis prononcées contre elle (clergés Saoudien, Syrien et Egyptien).
La vidéo a été vue par des millions d’arabes dont certains partagent son point de vue sans pouvoir l’exprimer.
Wafa exprime son opinion de façon radicale. Elle refuse de faire la différence entre Islam et islamisme, tant que « l’Anaqt », la critique du dogme reste interdite.
Le titre de son prochain livre est stupéfiant de violence: « Le prisonnier échappé : quand Dieu est un monstre« . « Mais, dit-elle, il me faut bousculer les esprits. C’est à ce prix que certains se poseront des questions ».
Le peuple arabe n’a en aucune manière besoin de terres ou de territoires, affirme-t-elle avec conviction.
Ce peuple a besoin avant tout, d’éducation, de connaissances, d’élévation de l’esprit, de culture et d’esprit critique.
L’islam n’est pas une religion, c’est une idéologie politique. Idéologie de conquête et de pouvoir. Quand une religion appelle la pierre à dénoncer le Juif qui trouverait refuge derrière elle pour le massacrer, comment désigner cet acte religieux ?
Il est dit également qu’à l’heure du jugement dernier les Juifs seront précipités en enfer. Pour échapper à ce tourment les Juifs se cachent derrière un arbre particulier. On nous racontait pour nous instruire qu’en Israël les Juifs plantaient des forêts entières de ce type d’arbres pour échapper à leur punition. Comment imaginer cela ?
Quand un homme est tenu d’obéir à des ordres monstrueux, comment appelle -t-on celui qui dicte ces ordres ?
À force d’obéir à des ordres monstrueux, on devient un monstre soi-même. Voilà ce que je veux éviter à mon peuple.
Vous lisez des traductions du Coran. Le Coran, pour en percevoir la réalité, doit être lu et compris dans le texte. Ainsi « Tuez les » devient dans les traductions « Combattez-les ». Combattre et assassiner, est-ce la même chose ?
Les possibilités de diffusion massive d’Internet font des ravages pour obscurcir la pensée et l’uniformiser vers la violence. La transmission est brutale, elle atteint des populations autrefois hors de portée d’un langage purement idéologique sous couvert d’information.
Aux USA à l’heure actuelle, vous découvrez que tel sportif, tel homme en vue porte le prénom de Mohamed. Vous vous dites: « Il est musulman » et c’est bon pour l’image de l’Islam. Il s’agit en réalité d’un programme répandu aux USA : Pour 1000 dollars, cadeau d’un pays riche et connu du Proche Orient, il vous suffit sur le territoire américain d’accoler à votre nom le prénom de Mohamed sans même vous convertir. Nombre de réfugiés et immigrés de tous bords s’y livrent facilement. On change ainsi la perception et l’image de l’Islam dans le monde moderne à son insu.
Ici, en Europe, j’ai pu constater que vous essayez de lutter contre cet envahissement. En fait vous y êtes contraint à cause de la débâcle démographique que j’ai constatée. Vous avez compris le danger, même s’il est déjà tard. Aux USA le pays est trop grand, la démesure démographique ne joue pas encore. Les Américains se pensent encore hors de portée. Ce n’est qu’une question de temps, voilà pourquoi je ne peux me taire. Les rouages de l’université et du pays sont largement infiltrés ».
Wafa Sultan est repartie, simplement, comme une bonne mère de famille une fois la tâche accomplie, nous laissant confondus d’étonnement.
Une femme lucide, généreuse ; pleine d’amour pour son pays, sa culture, sa langue maternelle (« si belle et que j’aime tant écrire« , ajoute-t-elle toujours).
Une femme au regard éperdu de tristesse quand elle confie sa solitude, quand elle avoue que sa famille et sa propre mère l’ont reniée.
Ce que nous savions d’elle n’est rien au regard de sa détermination de femme, d’être humain tout simplement.
Josiane Sberro © Primo, 13/11/2007
Poster un Commentaire