Richard Prasquier. L’histoire nous interdit de nous taire

Sous l’égide du Crif, une délégation de responsables communautaires juifs a effectué en Israël un voyage bref, intense et bien organisé.  On  y a vu le Président du Consistoire de Paris et le Coprésident du Mouvement Libéral deviser amicalement. Être unis est la seule attitude décente aujourd’hui et les Israéliens nous donnent l’exemple. 

« beyahad nenatseakh »

Ils ne donnent pas quitus à leurs dirigeants politiques, loin de là, mais l’heure n’est pas aux règlements de compte. Pour suppléer aux carences de l’État avant et après le drame, il s’est développé  dans la société civile un mouvement d’une ampleur, d’une ingéniosité et d’une force intérieure admirables. Le slogan « beyahad nenatseakh »: ensemble nous vaincrons, est omniprésent. Des ultra-orthodoxes s’engagent dans l’armée. Des arabes mettent en avant leur citoyenneté israélienne, des bédouins ont essayé de sauver des Juifs. Il faut éviter l’angélisme, mais cette société israélienne qu’on pensait si divisée se révèle extraordinairement solidaire.

A proprement parler, ce voyage ne nous a rien appris que nous aurions ignoré. Mais connaitre l’histoire ne suffit pas pour intérioriser l’ampleur de l’événement, l’étendue humaine du massacre, l’atrocité du ravage des corps. et la profondeur du traumatisme collectif.  

Des containers réfrigérés renferment encore, non identifiés tellement ils sont abîmés, des centaines de corps ou de fragments de corps sectionnés avant l’assassinat de ce qui fut un être humain avec son histoire particulière. Des fragments que, parfois, il a fallu, tellement ils étaient carbonisés, passer au scanner médical pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas de morceaux d’un arbre brûlé.

Il faut lire la détresse dans les yeux de ceux qui se sont portés volontaires pour le travail d’identification et de réajustement des cadavres qui permettra l’enterrement. Des Juifs orthodoxes, parfois des femmes, une avocate dans le civil pour notre groupe, qui resteront hantés par ces souvenirs.

C’est bien plus qu’un pogrome qui a eu lieu.

C’est un génocide planifié

Un traumatisme collectif pèse sur tout Israël, mais ce traumatisme est aussi le nôtre. C’est bien plus qu’un pogrome qui a eu lieu. C’est un génocide planifié qui a connu un début sinistre de réalisation. Ce ne sont pas des foules enflammées qui se sont précipitées dans le désordre, ivres de sang et de violences, ce sont des soldats qui avaient pour instructions de tuer, de mutiler, de violer, d’humilier et de capturer, instructions  qu’ils ont suivies avec discipline et  enthousiasme.

Ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces nourrissons et ces vieillards n’ont pas été assassinés un à un parce qu’ils étaient des soldats. Il était indifférent pour les tueurs qu’ils fussent des militants de la paix ou des partisans du grand Israël. Ils étaient Juifs ou travaillaient avec des Juifs, comme ces malheureux ouvriers thaïlandais. Ils habitaient un pays où ils n’avaient pas le droit de vivre. Point.

Ceux qui disent que le Hamas n’est  pas comme Daech ont raison. Le Hamas est pire que Daech, qui s’appuyait au moins sur des règles religieuses, aussi abominables qu’elles fussent. Ici tout a été permis et il est accablant de constater que les centres théologiques musulmans sont restés silencieux, quand ils n’ont pas été enthousiastes. Al Azhar, qui n’arrête pas de fustiger l’intervention israélienne, n’a pas eu un mot pour condamner les crimes du Hamas. 

Après le massacre du 7 octobre, je n’ai été surpris ni par la déferlante qui sous le cri du djihad, Allah hou Akbar, a emporté les pays musulmans, ni malheureusement par les manifestations sous le même cri dans les pays qui ne le sont pas encore.

Le travail de décérébration mené par le wokisme et l’intersectionnalité des luttes nous place, nous les Juifs de la diaspora, à la croisée des chemins

Mais lorsqu’une moitié de la jeunesse américaine soutient le Hamas, et que les étudiants des universités les plus prestigieuses comme Harvard manifestent en sa faveur, je me dis que le travail de décérébration mené par le wokisme et l’intersectionnalité des luttes nous place, nous les Juifs de la diaspora, à la croisée des chemins.  Il ne suffit pas de nous informer minute par minute de l’évolution du conflit et de jouer au stratège en chambre pour notre groupe WhatsApp. Il faut lutter pour soutenir efficacement et non théoriquement les Israéliens qui mènent un combat existentiel, car ce combat est le nôtre. 

Le mantra paresseux et imbécile du cessez le feu qui permettrait aux deux peuples de vivre en paix côte à côte réapparait de tous côtés. Les Juifs qui ont assez payé pour savoir qu’il n’y a pas de traité de paix qui tienne avec des fanatiques génocidaires seront de nouveau traités de va-t-en guerre. Tant pis.

La lucidité est désagréable à dire, mais l’histoire nous interdit de nous taire.

© Richard Prasquier

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