Nicolas Delesalle. J’ai visité l’immense morgue de fortune: Comment négocier avec le Hamas après ça ?

© Farida Nouar / Radio France

J’ai pu visiter l’immense morgue de fortune où s’entassent les centaines de corps des victimes de l’attaque du 7 octobre. Cette visite éclaire la nature de ce massacre. Comment négocier avec le Hamas après ça ?

La morgue est située dans une base militaire de la banlieue de Tel Aviv. Les corps sont conservés dans des dizaines de containers réfrigérés. Plusieurs centaines de dépouilles attendent d’être identifiées.

L’armée israélienne cherche à donner un nom aux corps suppliciés, mais aussi à documenter les atrocités commises par les hommes du Hamas. Car il y en a eu beaucoup.

Les corps des militaires sont plus faciles à reconnaître puisque l’armée dispose de leur ADN. Ceux des civils demandent beaucoup plus de travail. La plupart sont en très mauvais état.

Cette nuit d’octobre, à la lumière de puissantes lampes halogènes, Israël Weiss, 74 ans, nous accueille en uniforme avec un regard éteint. L’ex-chef du rabbinat militaire, revenu de sa retraite, porte une fine barbe blanche, une paire de lunettes et une kippa.

« Je suis militaire depuis 50 ans, j’ai vu beaucoup de choses, mais je n’ai jamais vu ça. Jamais, nous n’avons vu autant de corps. Tous les matins, je me lève et j’en vois de nouveaux et l’odeur s’infiltre jusque dans mon cœur. Il faut que le monde sache ce qu’ils ont fait ».

Selon Israël Weiss, l’attaque du Hamas ne visait pas seulement à tuer. Le déchaînement de violence, l’orgie de sévices, la récurrence dans l’horreur ne peuvent tenir du hasard. D’une voix monocorde, épuisée, il énumère les atrocités recensées.

Selon les investigations, un grand nombre de victimes ont été brûlées vives. Des vieillards ont eu les doigts des mains et des pieds coupés, avant d’être tués, d’autres personnes ont été décapitées avec une hache.

Beaucoup de femmes ont été retrouvées nues, violées avant d’être massacrées. Une femme enceinte a été découverte le ventre ouvert, le fœtus arraché ; des hommes avec les organes internes sortis du ventre.

Le cadavre calciné d’une femme semblait normal, sauf au niveau du thorax. A l’imagerie médicale, les légistes ont compris qu’elle serrait son enfant dans ses bras quand ils ont été brûlés vifs.

Selon Israël Weiss, les tueurs du Hamas ont aussi brûlé un groupe d’ouvriers agricoles thaïlandais liés ensemble pour compliquer l’identification. « Ils n’étaient pourtant pas Juifs. Pourquoi ? On les compare à Daech. Mais moi, ils me font penser aux nazis ».

« Ils ont tiré dans les bouches, les têtes, plusieurs fois, pour détruire les visages. Mais nous prendrons le temps d’identifier tout le monde. Aucune mère de victime ne sera oubliée ».

Comment négocier la libération de presque deux cents otages avec un groupe responsable d’un tel carnage ?

Depuis une semaine, au bord du volcan, Abigaël se pose la question en s’occupant de l’indentification des femmes et des fillettes et des derniers rites de purification avant de rendre le corps aux familles pour les funérailles.

Elle doit avoir à peine 30 ans, on lui en donne le double. Son visage est parcheminé, sa voix est un filet tremblant.

« Chaque fois, je pense avoir vu le pire et quelque chose d’encore plus atroce arrive. Des enfants sans tête, ou vidés de leur cervelle, des gens dont la tête est explosée par plusieurs balles, des fillettes massacrées, encore en pyjama, des corps piégés ».

« On est préparés à ça. Enfin, on croyait qu’on était préparés à ça. Mais c’est impossible. On travaille 24 heures sur 24, sept jours sur sept, depuis le lendemain de l’attaque. Cette cruauté est incompréhensible ».

Sur la base, des dizaines de personnels en combinaisons blanches, masque sur le nez, déambulent entre plusieurs tentes gigantesques. Des types aux yeux écarquillés, beaucoup de religieux, de jeunes soldats, des étudiants en médecine venus prêter main forte.

Israël Weiss demande à deux hommes équipés de combinaisons blanches et de masques de chantier, d’ouvrir deux containers où gisent une centaine de victimes. Un remugle épouvantable empuantit l’air.

C’est une odeur pestilentielle, entêtante, un mélange d’effluves de viande pourrie, de fromage gâté, d’excréments. Dans les containers, les sacs sont de toutes les tailles.

A côté, régulièrement, des soldats vomissent. Les personnels ne peuvent rester longtemps sur place. Il faut organiser un roulement. Dentiste, l’officier Maayan, s’occupe de récupérer l’ADN des victimes, les empreintes, vérifie les dentitions quand elles sont encore présentes.

Elle ne retient pas ses larmes en parlant : « On entend les cris des familles, les cris des mères. On voit des enfants dans un tel état, je ne peux trouver les mots ».

A la sortie de la base, on croise Evelyn Chmaya qui attend depuis trois jours de récupérer les corps de son mari et de son fils, tués par la même balle alors qu’ils s’enlaçaient dans le kibboutz de Re’im.

Le jour de l’attaque, le père est allé chercher son fils militaire. Ils sont morts à l’instant où ils se sont retrouvés.

L’attente interminable a mis fin aux espoirs d’Evelyn. Trop de corps.  Trop d’heures perdues. Elle a perdu sa course contre la montre : « Je voulais récupérer le sperme de mon fils pour lui permettre d’enfanter malgré sa mort, mais c’est trop tard ».

A côté d’elle, deux assistances sociales rentrent chez elles. Elles n’ont plus de visage. Ce sont elles qui accueillent les familles : « C’est très dur, l’armée montre à la presse la partie ordonnée, mais tout un côté de la base est submergé de cadavres. C’est sans fin ».

© Nicolas Delesalle

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