L’attentat à la Synagogue de la Rue Copernic a eu lieu dans la soirée. Haim Musicant, l’ancien président du CRIF, a rappelé sur les réseaux sociaux, via la plaque commémorative de la synagogue, le nom des quatre victimes : Jean-Michel Barbé, Philippe Bouissou, Hilario Lopez Fernandez et Aliza Shagrir.
M’est revenu que le lendemain, dans mon lycée, la prof de français avait lancé un débat sur la menace fasciste pas totalement éteinte… Contre-sens historique bien entendu.
M’est revenu surtout la fameuse séquence télévisuelle dont on reparle encore 43 ans plus tard.
Joseph Poli qui présente l’édition du soir du journal de TF1 interrompt le direct et dit qu’on va entendre la réaction du Premier Ministre, Raymond Barre, à son arrivée à l’Hôtel Matignon. On n’aura apparemment pas droit à une réaction officielle du Président, Valéry Giscard d’Estaing. Il a, selon plusieurs témoins, chassé toute la journée et n’a pas voulu rentrer à Paris pour si peu…
Et ce qu’on va entendre va marquer les Juifs français qui sont restés devant leur télé à cette heure avancée de la nuit.
Raymond Barre s’avance, grimaçant sous les lumières crues des projecteurs installés à la hâte dans la cour de Matignon. Répondant à l’envoyé spécial de TF1, il tient ces propos : « Je rentre de Lyon plein d’indignation à l’égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents… (un blanc, un mouvement de tête…) qui traversaient la rue Copernic. C’est un acte qui mérite d’être sévèrement sanctionné (…) ».
Au mieux maladroit, au pire scandaleux ce propos, mais délivré avec l’assurance d’un homme qui a toujours cultivé, et jusqu’au bout de sa vie publique, une certaine ambiguïté avec les Juifs de France et Israël.
Le journaliste interroge alors le Premier Ministre sur la possibilité que cet acte soit le signe d’une montée de l’antisémitisme en France. Barre répond sèchement : « Je ne crois pas qu’il y ait en France une montée de l’antisémitisme. Tous ceux qui se souviennent de ce qui s’est passé dans les années 30 et les années 40 ne veulent pas voir réapparaitre de tels sentiments et de tels comportements. La communauté juive est une communauté française qui est respectée par tous les Français ».
On lui demande si le manque de fermeté des pouvoirs publics avec les néo-nazis pourrait être la cause indirecte de cet acte (on saura rapidement que l’origine de l’attentat, comme celui de la Rue des Rosiers moins de cinq ans plus tard, est palestinienne).
Raymond Barre retoque la question du journaliste sur un ton passablement énervé: « Il est toujours facile de dire qu’il y a un manque de fermeté des pouvoirs publics, dites-moi comment il est possible d’éviter des attentats comme celui de ce soir. Si vous connaissez la recette, je serais très heureux de la connaitre. Et le ministre de l’Intérieur aussi. Le gouvernement a pris tout récemment des mesures à l’égard des organisations néo-nazies qui ne laissent aucun doute sur sa volonté de mettre un terme à leurs actions et à des attitudes qui ne sont pas dignes de la démocratie française ».
Evidemment cette interview au débotté, un soir d’attentat, et son propos (inconscient ?) sur les français innocents opposés aux Juifs (qui, en creux, ne le seraient donc pas totalement), n’a pas eu autant d’impact sur la communauté juive que la formule de « peuple juif, sûr de lui et dominateur » de Charles de Gaulle en 1967, au cours d’une conférence de presse dans la foulée de la guerre des Six Jours.
Il me semble pourtant fondateur du déni des autorités françaises face à l’antisémitisme, lié ou pas avec le Proche-Orient, mais toujours actif plus de quarante après.
Un déni qui aura sans doute facilité le développement de la haine des Juifs et permis que tant d’innocents, du DJ Sellam à Ilan Halimi, de ceux d’Ozar Hatorah à Toulouse à Sarah Halimi, en passant par Mireille Knoll et d’autres encore, perdent la vie dans les conditions que l’on sait…
© Gérard Kleczewski
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