Richard Prasquier. Réflexions sur le voyage du Premier Ministre Israélien aux États Unis

Parti pour assister à l’Assemblée Générale de l’ONU, et accessoirement rencontrer le Président Biden même si ce n’était pas à la Maison Blanche, Benjamin Netanyahu avait mal commencé ce voyage. Sur l’aéroport de Tel Aviv il avait déclaré que les manifestants contre la réforme judiciaire joignaient leurs forces à celles de l’Iran et de l’OLP car leur activisme affaiblissait non pas le gouvernement, mais l’Etat d’Israël.. Des paroles incendiaires. Il est vrai que  la figure de proue du mouvement de protestation contre la réforme judiciaire avait qualifié de « nazis » les partisans de Ben Gvir. Au moins Shikma Bressler, simple citoyenne, s’est vite rétractée; le Premier Ministre d’Israel a prétendu avoir été mal compris.

Dans l’avion qui l’amène aux États Unis, le politicien vindicatif se transmue en père de la patrie, un rôle qu’il affectionne. Son discours à l’ONU, en particulier sa longue tirade contre l’Iran, témoigne de ses grandes qualités de tribun. Voix grave, anglais raffiné, scansion élaborée, documentation détaillée et argumentation acérée, il renvoie l’image d’un Israël déterminé, aux antipodes du Juif  impuissant de naguère. Il interpelle durement l’ONU pour son obsession anti-israélienne. Il critique les états amis pour leur faiblesse envers   la criminelle  théocratie iranienne et il dénonce le récent accord concocté par les Américains dont il estime que les violations seront comme d’habitude camouflées « sous le tapis persan ». Il prévient les pays occidentaux que c’est à eux que sont destinés  les missiles intercontinentaux que l’Iran développe et conclut « En fait Israël vous défend ». Mais il n’a pas oublié de dire qu’Israël est un indéfectible allié des États Unis, ni même de faire l’éloge d’une Cour suprême « férocement indépendante »…

Ce discours martial est en partie destiné aux Israéliens, non pas  ceux dont les soutiens lui sont acquis, mais ceux qui hésitent, ébranlés par ses alliances politiques et  ses foucades juridiques. Il faut leur montrer que personne ne peut tenir la barre du destin d’Israel d’une main aussi sûre que Benjamin Netanyahou. C’est certainement ce qu’il pense lui-même, mais c’est aussi une dérive cognitive habituelle chez les dirigeants tentés par l’autocratie.

En fait, c’est à San Francisco que Benjamin Netanyahu avait atterri d’abord, pour s’entretenir avec Elon Musk, qu’il a qualifié de « président officieux des États Unis », puis plus tard avec deux amis de ce dernier, acteurs marquants de l’Intelligence artificielle aux États Unis. 

 Si Musk hésite sur les dangers de l’IA, les deux trentenaires ne veulent y voir que les perspectives enthousiasmantes d’une humanité débarrassée du travail, de la maladie et peut-être de la mort. Netanyahu, lui, est nourri aux drames de l’histoire. Il est convaincu que les technologies avancent trop vite, quand l’esprit humain reste engoncé dans une lutte pour la domination où le trop faible disparait et il pense que l’IA multipliera les catastrophes. Le lien entre son pessimisme sur les relations humaines, qu’il qualifie de réalisme, et ses comportements politiques est une question pertinente.

Quant à la question de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux, elle n’était pas au programme de la rencontre avec Elon Musk, mais elle était inévitable, alors qu’on accuse Twitter, pardon, X, de permettre des déferlantes antisémites et que Musk est en conflit virulent avec l’association juive américaine ADL. 

Musk  se déclare opposé à toute forme de haine, et à l’antisémitisme parmi les autres, sans en dire plus. En bon libertarien il pense que toutes les opinions doivent s’exprimer et que le public va spontanément privilégier les meilleures. Le paiement d’une petite somme pour chaque message pourrait dissuader ceux qui lancent des « bots », ces robots malveillants qui polluent les débats. Un raisonnement dont il est difficile de se contenter…..

À une question de son interlocuteur sur la politique israélienne, Netanyahou a répondu par une leçon d’histoire inattendue. Prenant le contre-pied de l’hostilité de Platon à une démocratie dont les chefs avaient fabriqué un procès inique à Socrate, et de sa préférence pour un gouvernement des élites, le Premier Ministre israélien s’est posé en défenseur acharné de la démocratie.

Il a exalté, comme Locke et Montesquieu, l’équilibre des pouvoirs, et a expliqué que celui-ci avait été détruit quand la Cour Suprême israélienne s’était arrogé un pouvoir exorbitant. Mais bien que sa majorité parlementaire lui permette de voter n’importe quelle loi, il n’allait pas bouleverser le système, et le réformerait en modifiant avant tout les procédures de nomination de ces juges qui, malgré leurs qualités techniques, restent biaisés par leur milieu d’origine.

Malgré la présentation particulièrement anodine, on retrouve l’arrière fond populiste baptisé démocratique de la lutte des « vraies gens » comme aurait dit Jean Luc Mélenchon, contre des « élites » hors sol et une justice de classe…

Il y a paradoxalement peu à dire sur la rencontre de Benjamin Netanyahu avec le Président Biden, parce que de cet entretien entre ces hommes qui se connaissent depuis plus de 40 ans, nous ne connaissons que la transcription de la partie ouverte, dans laquelle on vante essentiellement le futur corridor entre l’Inde et la Méditerranée. Pour le reste, Biden a signalé qu’ils allaient parler de sujets difficiles et potentiellement litigieux: les valeurs démocratiques, la solution à deux états avec les Palestiniens et le fait que l’Iran ne doit pas accéder à l’arme nucléaire…

On ne connait donc pas avec certitude le détail des discussions, mais on peut retenir du verbatim de la rencontre ouverte une phrase du Président américain: « Je pense que sans Israël, aucun Juif dans le monde n’est en sécurité ».

Nombreux sont les Juifs qui sont pénétrés de cette réalité, mais rares sont ceux de leurs amis non Juifs qui l’expriment.  Merci à Jo Biden.

© Richard Prasquier

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