Francis Moritz. Israël, plaidoyer pour les femmes contre le joug de la religion

Hommes, femmes, nous naissons tous libres et égaux… mais le changement intervient quelques minutes plus tard.

A l’heure où le risque croît de voir s’abattre une chape de plomb – réputée spirituelle + sur une majorité qui se considère juive, mais qui refuse d’être enfermée dans une pensée unique, fruit de l’extrémisme d’une minorité – la question de qui est Juif et quels sont ses droits est reposée une fois de plus. Désormais se pose brutalement aussi la question des droits de la femme puisqu’on ne lui reconnait pas les mêmes qu’aux hommes. Le judaïsme libéral a tout à craindre de cette régression. Les femmes rabbin en savent quelque chose.

Le pire a une imagination débordante : Il y a tous ceux, convaincus de détenir la vérité divine et certains d’en être chargés, qui veulent non seulement reformer la Loi du Retour, mais voudraient aussi rétroactivement annuler les dossiers anciens qui ne correspondraient plus à leurs nouveaux critères. A l’heure où des conducteurs de bus se croient également investis d’une mission par le Très Haut et s’autorisent à dicter la manière de s’habiller à des passagères, à l’heure où on avait déjà refusé physiquement l’accès des femmes au Kotel, quels sont les droits de la femme juive face à la Foi religieuse et son droit de l’exercer ? 

Daniela Touati (g), Yaera Ratel et Iris Ferreira prient lors d’une rencontre internationale de femmes, rabbins ou enseignantes, le 18 juin 2019 à Troyes (AFP/Archives – BERTRAND GUAY)

En 2017, le Conseil rabbinique orthodoxe des États Unis avait décidé qu’une femme ne pouvait pas devenir rabbin, alors qu’en Israël, c’est devenu théoriquement possible.

Sally Priesand. 1972

1972 vit la première ordination d’une femme-rabbin, Sally Priesand, aux États Unis, au sein de la communauté libérale réformiste du « Hebrew Union Collège ».  Finalement en 2000, sous de fortes pressions du judaïsme libéral et traditionnel, le Conseil rabbinique des États Unis finit par accepter du bout des lèvres l’ordination de femmes rabbins. Pour autant, leur nomination effective, chez les orthodoxes, ne se fait qu’au compte-gouttes et avec énormément de restrictions sur les taches qu’on veut bien leur confier.

Aborder cette question, c’est naturellement déjà provoquer une polémique. En même temps, c’est aussi devoir s’interroger sur la place de la femme à l’égale de l’homme et sur sa place dans la cité, dans la communauté, dans la vie tout simplement. Ne pas le faire serait faire preuve d’un manque de lucidité et de réalisme. Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas voir ou qu’on ignore un phénomène qu’il n’existe pas… Alors, au risque de subir les foudres de ceux qui ne partageraient pas mon analyse, je poursuis.

Première constatation

Comment au XXI° siècle, ignorer qu’une religion, quelle qu’elle soit, puisse ne pas tenir compte du monde qui nous entoure ?

Comment continuer à soutenir qu’en effet les femmes peuvent étudier, passer des diplômes, enseigner, diriger des entreprises, faire la cuisine, le ménage, avoir des enfants ?  Puis leur interdire la conduite d’une communauté ? Il y a évidemment plusieurs paramètres :

Dans le monde, une grande partie des Juifs sont sécularisés, leur quotidien n’est pas rythmé par la Halakha. En revanche le plus grand nombre se considère Juif et participe au Judaïsme – selon sa liberté de conscience, son éducation, son vécu – Bon nombre envoient leurs enfants au Talmud Torah.   Doit-on ajouter que la plupart ne lit ni ne parle hébreu. En d’autres lieux on oserait écrire « analphabètes » ou « illettrés » peut être.

Ce qui nous conduit à une deuxième constatation : Cette réalité est à l’origine du développement constant des communautés libérales, voire très libérales. On peut certainement avoir une opinion sur les différences entre les différents courants, mais les faits sont les faits. Il s’ensuit qu’aujourd’hui des femmes conduisent ces communautés, non seulement au même titre que les hommes, mais avec une telle conviction, une telle ferveur qu’elles attirent des fidèles qui reviennent au judaïsme. En caricaturant, on pourrait aussi leur interdire de voter ou alors leur indiquer la voie à suivre ? 

Les arguments généralement avancés s’appuient sur le contenu de la Torah, de la Halakha, de la tradition telle qu’elle a existé depuis des siècles. A ce titre-là, on aurait dû interdire aux jeunes filles d’étudier, d’enseigner, de diriger et on aurait peut-être aussi dû imaginer avoir des mères de famille illettrées, incapables justement d’éduquer nos enfants pour les préparer à la problématique de la société actuelle ? … On met en avant la Massorah, l’héritage. Pour autant, Je n’entrerai pas ici dans le débat religieux ou dans une quelconque Makhloquet…

Courant 2018, en vue du remplacement du rabbin attaché à la Knesset, il aura fallu les pressions des réformistes pour que les modalités de l’appel à candidature soit modifié (seul un homme pouvait obtenir un certificat de validation du Grand Rabbinat en place) afin qu’une femme puisse poser sa candidature. 

Est-il normal qu’en Israël les femmes rabbins ne puissent pas célébrer un mariage ? sauf si ça a changé ?

Un aspect peu ou pas pris en compte :  la relation et donc la reconnaissance   – ne nous payons pas de mots – du rabbinat en place et des communautés libérales : Juifs à part entière ou pas tout à fait … ? Peut-on se marier avec eux ou pas ? Le Talmud Torah est-il conforme ou pas ? Et quid des bar-mitzvot ou Bat-mitzvot ? 

La réalité est que des femmes Rabbins officient depuis des lustres. Pour mémoire quelques éléments :

Regina Jonas en 1936, un an après qu’elle a été ordonnée. © Stiftung Neue Synagoge Berlin — Centrum Judaicum

La première femme-rabbin, Regina Jonas, a été ordonnée en Allemagne en 1935 et a péri déportée à Auschwitz. La suivante et première ordonnée aux USA le fut 37 ans plus tard, en 1972, au sein de la Reforme. En Israël c’est en 1980 qu’une première femme rabbin fut ordonnée. Actuellement il y a environ 75 femmes rabbins en Israël. Dans la Réforme, elles représentent moins de 50% Chez les Conservateurs le pourcentage de rabbins hommes est très largement supérieur à 65%.

En France la première femme rabbin fut ordonnée en 1990. Les deux principaux mouvements libéraux français ont fusionné. Ce qui confirme la thèse précédemment exposée : le judaïsme libéral, mieux adapté à son environnement, progresse en France. 

En Israël, en 2022 l’état a promulgué pour la première fois une loi permettant aux femmes de se présenter aux examens de rabbins en vue d’être ordonnées (les examinateurs sont exclusivement des hommes, cela va sans dire). Les responsabilités qui leurs seraient confiées ne seraient cependant pas à l’égal de leurs pairs masculins. 

Durant le précédent gouvernement, le ministre des Affaires religieuses Matan Kahana, orthodoxe mais réceptif aux préoccupations des femmes, créa un mécanisme légal leur permettant de se présenter à l’examen pour la première fois en janvier 2023. Le rabbinat contre-attaqua en argumentant que ce serait en infraction avec la Halakha. Une pétition est toujours en cours auprès de la Cour suprême, qui n’a pas statué à ce jour. Comme l’affirmait la Rabbanit Mali SZTRIGLER à la tête du projet initial: « Le train a quitté la gare, les femmes attendaient ce départ depuis des années ».

Les traditions séfarades ou ashkénazes ne doivent certainement pas être mises de côté ou oubliées, mais enrichies.  Sectarisme, sexisme, féminisme et machisme ne doivent pas empêcher de réformer pour enrichir et non de déformer, comme certains, de mauvaise foi, le laissent penser. Lorsqu’une soldate de Tsahal perd la vie pour son pays, va-t-on vérifier si elle est orthodoxe ou ultra libérale ? Accessoirement, les extrémistes de tous poils devraient prendre en compte qu’il y a autant de Juifs dans le monde qu’en Israël. 

Enfin, lorsque des attentats sont commis contre des juifs, la question n’est pas posée, est-ce un séfarade, un ashkénaze ?  Orthodoxe ou réformiste ? C’est seulement du sang juif qui coule ! Pour le bien de tous, il faut dépasser ces clivages. Les rabbins, très éminents, très pieux, très sages, qui n’ont pour seule préoccupation que le souci de leurs semblables, se grandiraient à faire preuve de plus d’ouverture, de tolérance, de bienveillance et de respect. Alors on pourra continuer à les appeler Grands Rabbins …

© Francis Moritz

Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.

       Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps

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