J’ai quitté le Maroc alors que j’avais neuf ans, en secret, sans savoir que je n’y retournerais plus. On m’avait fait croire que je partais en vacances à Paris. Il fallait veiller à ce que je n’éventasse pas l’information.
Une fois passée la frontière, mes parents ont arrêté la voiture sur le bord de la route. Ils se sont retournés vers mes frères et moi, puis sur un ton grave et solennel, ils nous ont dit sans détour : « Les enfants, nous allons emménager à Paris et nous ne reviendrons plus au Maroc ».
J’ai cru à une blague. Mais non.
Le traumatisme fut sournois et tenace. Pendant de longues années, je m’accrochais à mes souvenirs d’enfant, ceux de la douceur de vivre, de la plage du Sable d’or les dimanches, des pique-niques en famille les mercredis, de la beauté de ma mère et de sa joie de vivre, de mes grands-parents encore vaillants, de la force protectrice de mon père, des mimounas joyeuses et interminables quand il suffisait de marcher quelques minutes pour visiter mes cousins ou des amis de la famille, goûtant chez chacun le couscous sucré à la cannelle et les moufletah (crêpes).
Les années ont passé. J’ai oublié le Maroc. Je l’ai même haï de m’avoir infligé cette fêlure.
Mais au fond, il est toujours là, quelque part dans les méandres de ma mémoire. Si bien qu’aujourd’hui, forcément, je me souviens avoir été marocain et l’être sans doute encore un peu.
© Élie Sasson
Élie Sasson a publié aux Éditions les 3 colonnes, en 2022, « Les sens de l’amour ».
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