63 ans après Agadir le Maroc de nouveau endeuillé par un séisme 30 fois plus intense que celui de 1960. Une tribune libre de Michel Dray

Comme pour la catastrophe d’Agadir, la terre a tremblé en pleine nuit alors que les Marocains dormaient. Les bâtisses les plus touchées sont celles dont la construction est ancienne, pas vraiment adaptées à faire face à ce genre de catastrophes naturelles. Mais plus encore, ces vieilles maisons abritent la population la plus pauvre, les sans-grade, les oubliés de la croissance économique. On compte, au moment où j’écris ces lignes, plus de 2500 victimes et autant de blessés. Attendons-nous hélas ! à ce que ce bilan déjà lourd s’alourdisse davantage compte tenu du fait que le séisme a frappé des régions montagneuses, difficiles d’accès.

Solidarité avec le Maroc !

Le Maroc est en deuil. Pour les anciens, le traumatisme d’Agadir reste si vivace, si ancré dans la mémoire collective, que tous ont l’impression de revivre le cauchemar de 1960 avec ses 12 000 morts. Je connais le fatalisme des Musulmans mais les Marocains, comme tous les êtres humains, sont avant tout des hommes et des femmes pris pour l’heure dans un fort sentiment de révolte contre cette Nature parfois généreuse, parfois hostile comme en ce moment. On a peur d’elle, on murmure des incantations. Les vieilles femmes aux mains tremblantes prient dans un dialecte qui fait écho à la parole ancienne, un peu comme ma propre grand-mère priait en judéo-arabe. Quant aux hommes impuissants devant la fureur de la matière, ils revoient les morts d’Agadir. Alors on craint les répliques, ces espèces de paroles assassines que la terre, du fond de ses entrailles, répond à une humanité déjà si éprouvée, comme pour dire qu’elle est la plus forte, qu’elle se veut la plus insidieuse la plus implacable. 

Moi, frère humain

Je ne suis ni géologue ni philosophe. Simplement un frère humain. Que la terre tremble dans tel ou tel endroit du globe, que les peuples qui en sont victimes soient ressortissants d’un pays ami ou d’une nation ennemie, face à la désolation, l’empathie doit toujours prédominer. Les sinistrés de quelque religion qu’ils appartiennent sont devant l’horreur des hommes et des femmes uniformément démunis, parce que les larmes sont faites du même sel pour un arabe, un juif, un chrétien, un bouddhiste ou un athée. 

Regardez un enfant et vous comprendrez le monde

J’entends ça et là que l’ouverture de l’espace aérien algérien pour faciliter les secours serait l’occasion à une réconciliation entre l’Algérie et le Maroc. Franchement, pour le moment je ne me pose vraiment pas la question, sans doute aussi parce que je ne crois pas à cette éventualité pour le moment. Mais je retiens l’humanité de la chose. « Qui cherche la vérité sur l’homme doit s’emparer de sa douleur », a écrit Georges Bernanos. Rien n’est plus intense, plus profond, plus terrible aussi que cette pensée si vraie, si dure et si incisive qu’on l’imagine volontiers sortie de la roche de quelque mont Sinaï. Et si elle me revient en mémoire, c’est parce que je me suis emparé de la douleur marocaine, parce que, comme vous, j’ai vu à la télévision cet enfant arraché de la mort qu’on transportait à l’hôpital par hélicoptère. Il avait le regard perdu d’un petit être dépassé par les événements. Tous les enfants du monde ont les mêmes larmes, les mêmes rires éclatants, les mêmes gestes embrouillés, le même babil adorable et surtout le même regard, celui de l’innocence. J’ai donc vu cet enfant miraculé et je me suis dit: pourquoi les guerres, pourquoi les haines, pourquoi ces enfants-soldats de par le monde sanguinolent, déjà si vieux et pourtant si jeunes  ? 

                  Oui je sais, je dérape, j’extrapole, je digresse, je prends la tangente ; enfin je sors du sujet. Voilà ce que vous vous dites en me lisant. Et pourtant non, je ne sors pas du sujet, parce que, comme l’a dit Madame de Staël, « nous ne connaissons l’infini que par la douleur ». Bon, je veux bien admettre qu’en ce qui concerne l’infini, je ne suis pas le plus à même pour disserter sur le sujet. Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas philosophe. Mais puisque vous exigez de moi que je ne me détache pas du drame marocain, — sans doute avez-vous raison…— demandons-nous comment faire pour aider ce pays meurtri ? Pour ma part, aller au Maroc, faire repartir le tourisme de pays trempé dans la tolérance. Le Maroc existe pour une grande part du tourisme.  Alors allez là-bas. 

                Une prière pour des milliers d’absents

Pour ceux qui connaissent un peu le rite musulman de la grande prière du vendredi, il y a une liturgie qu’on appelle « la prière de l’absent » et qui est une intercession pour le repos du défunt. La grande prière du vendredi prochain sera la prière de bien des milliers d’absents. Nous aussi, juifs, nous prierons pour eux.  

Michel Dray avec Chakib Benmoussa, Ministre marocain de l’éducation nationale 

© Michel Dray

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