Manuel Bompard, député LFI, veut saisir le Conseil d’État pour empêcher l’interdiction de l’abaya à l’école, Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, s’est dite « honorée » de la participation de Médine au « grand entretien » qu’elle organisait dans le cadre de l’université d’été de son mouvement. Deux nouvelles preuves, après tant d’autres, de l’existence de l’islamo-gauchisme, concept remis en cause par ceux-là mêmes qui organisent cette convergence entre deux visions du monde « révolutionnaires » : l’une néo-bolchevique, revancharde et autoritaire, et l’autre islamiste, frériste et salafiste.
Mais si la coordination des deux mouvements et leurs soutiens réciproques sont toujours plus évidents, la défense affirmée du chanteur Médine après son tweet antisémite à l’encontre de Rachel Khan par tous les Insoumis jusqu’au leader historique Jean-Luc Mélenchon révèle aussi un composant de base de l’islamo-gauchisme peu pris en compte par les analystes de ce phénomène politique. La rhétorique de l’excuse, voire le déni du caractère antisémite des propos du rappeur, ne relève pas seulement d’un islamo-clientélisme (que l’on retrouve d’ailleurs aussi à droite même s’il joue en mineur). Le cynisme de l’intérêt électoraliste s’articule en fait étroitement à une conviction idéologique ancienne remastérisée et qui s’affiche de manière de plus en plus décomplexée : « l’antisémitisme de gauche ».
Qu’il soit prosélyte ou réislamisé à son insu, Médine coche quoi qu’il en soit toutes les cases de l’idéologie politico-religieuse islamiste : anti-laïque, misogyne, homophobe, victimaire, décolonial anti-Français et antioccidental, et bien sûr antisémite. Au demeurant, les paroles dont il est question cette fois relèvent d’un antisémitisme particulier, très contemporain en quelque sorte : celui qui consiste à considérer les Juifs comme des privilégiés qui profiteraient et se glorifieraient de la Shoah. La diffusion du slogan « privilège Juif » sous la forme moderne du tweet syncrétise cette détestation des Juifs comme groupe privilégié à tous les sens du terme. La thématique du Juif et de l’argent y est sous-jacente, mais surtout un nouvel élément vient s’y ajouter sur le mode du favoritisme : les Juifs bénéficieraient d’un traitement de faveur dans la concurrence victimaire.
Et ce « privilège » serait d’autant plus scandaleux que les Juifs assimilés aux Israéliens ne seraient même plus victimes, ils seraient devenus les bourreaux, les nouveaux nazis exterminant ledit « peuple palestinien ». Articulé étroitement à la défense de la « cause palestinienne », l’antisémitisme du privilège utilise ainsi la chaîne d’identifications qui relie le Palestinien à l’Arabe, au musulman, à l’immigré, à l’ex-colonisé prétendument néo-colonisé. Cet antisémitisme à forte composante dite « antisioniste », c’est-à-dire largement fondé sur une détestation et une volonté de disparition de l’État d’Israël, est précisément celui qui caractérise l’antisémitisme islamo-gauchiste.
Certes, l’électoralisme n’est pas étranger au soutien de LFI et de son leader maximo à un chanteur considéré comme l’idole « des quartiers ». La construction d’un « vote musulman » en sa faveur de la part de LFI est en effet indéniable. Le différentiel entre les chiffres de la population de religion ou de culture musulmane d’origine, en France et dans le département de Seine Saint Denis, est pour les estimations les plus basses, aux alentours de 30% : 10% sur l’ensemble du pays et 40% dans le 93. Si on rapproche ce chiffre du différentiel des votes obtenus par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022 (un peu moins de 22% versus près de 50% en Seine Saint-Denis et jusqu’à 61% dans la ville de Saint-Denis) on peut légitimement estimer que l’homothétie (qui est même une quasi-identité) entre les deux différentiels induit que les électeurs musulmans ont largement voté en faveur du candidat de LFI.
Mais pour se rallier ce vote communautaire, l’islamo-gauchisme ne fait pas la cour aux musulmans en leur promettant pleine intégration dans la nation française par l’égalité des chances et l’élitisme républicain. Car la grande majorité de l’électorat musulman des banlieues « défavorisées », « d’éducation prioritaire » ou de « zones franches » (en fait mitées par les zones de non droit, rongées par les territoires perdus de la république et gangrénées par le narcotrafic) est imprégné par l’idéologie islamiste qui les « désavoue » de la France, de ses institutions, de sa culture et de sa langue. Pour séduire cet électorat, il s’agit donc de partager au moins certains éléments de la vision islamiste. Mais il ne faut pas croire que les islamo-gauchistes, ceux de LFI surtout, mais aussi en partie à ELV, s’alignent sur les positions islamistes uniquement par cynisme électoraliste. Un part de « sincérité », c’est-à-dire de conviction, entre également dans ce positionnement. Les gauchistes partagent en effet avec les islamistes, en premier lieu, la détestation de l’Occident et de la France.
Alors, considérer les musulmans comme les nouveaux « damnés de la terre » coïncide bien avec la stratégie victimaire des islamistes. Comme tous les totalitaires, les islamistes inversent les termes de l’affrontement en présentant des agresseurs ceux qu’ils désignent comme leurs ennemis et dont ils font des cibles : les femmes seraient des tentatrices impures dont les « bons musulmans » doivent se garder en les maintenant dans un apartheid salutaire ; les militants laïques qui défendent la libre pensée contre les dogmes seraient des laïcards qui persécutent les musulmans ; les homosexuels seraient des corrupteurs pervers qu’il faut éradiquer ; les Occidentaux et en premier lieu les Français seraient des néocoloniaux cherchant à imposer leur culture frelatée dont il faut absolument « se désavouer », et bien sûr, les Juifs libérés de leur statut de dhimmis, devenus des vainqueurs dans les guerres d’agression (de haute ou basse intensité) que subit Israël depuis sa création, doivent être combattus de la façon la plus vigoureuse, voire violente. Les Juifs sont dans cette vision actuelle perçus davantage comme des dominants à abattre que comme les « sous-hommes », efféminés, désarmés, infériorisés, soumis, qu’avaient voulu en faire les califats et l’empire ottoman dans les territoires qu’ils ont contrôlés pendant des siècles.
En rejoignant la forme moderne de la haine des islamistes d’aujourd’hui à l’égard des Juifs, l’antisémitisme de LFI a réalisé lui aussi une mutation par rapport à l’antisémitisme de gauche historique qui insistait sur la relation des Juifs et de l’argent, les présentant comme le fer de lance du capitalisme. « L’antisionisme » de LFI entre ainsi davantage en congruence avec le populisme justicialiste qu’avec un parti de la lutte des classes. Désormais ce n’est plus l’abolition du prolétariat qui est à l’ordre du jour, mais la défense « des petits, des dominés, des discriminés, des exclus » contre « l’impunité des privilégiés, des élites, des dominants, des bénéficiaires de la mondialisation ». Au nom d’un égalitarisme délétère, cette gauche qui défend les revendications de l’islam politique sans se soucier de leur caractère anti-démocratique, antirépublicain et y compris sexiste, communie donc également dans l’antisémitisme avec l’islamisme.
LFI soutient ainsi le mouvement du BDS (« Boycott-Désinvestissement-Sanctions ») depuis 2014 alors que le slogan « Mort aux Juifs » y était déjà proféré sans complexe. C’est donc sans état d’âme que LFI a défilé en 2019 avec le CCIF, supportant sans broncher les slogans anti-Juifs et les ignominieux croissants jaunes que des militants islamistes avaient fait porter à des enfants, évoquant l’étoile de David imposée aux Juifs sous la botte nazie. Fin juillet 2022, une résolution hostile à Israël a été cosignée par 37 députés de gauche, majoritairement de LFI, condamnant un « régime d’apartheid institué par Israël à l’encontre du peuple palestinien », accusant l’État hébreu d’avoir élaboré un système visant à « maintenir la domination d’un groupe ethnique-national-racial sur un autre ».
Mais ces alliances problématiques ne relèvent pas seulement d’une stratégie politique fondée sur la devise léniniste « la fin justifie les moyens ». Ainsi, la Radiographie de l’antisémitisme en France, publiée par Fondapol début 2022, indique que les sympathisants de LFI sont plus nombreux que la moyenne de la population française à adhérer à certains préjugés concernant les Juifs : 34 % affirment que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » (moyenne des Français : 26 %), ou 47 % estiment que les Juifs « utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale » (contre 30 % pour l’ensemble de la population).
La composante antisémite de cette gauche révolutionnaire devenue hégémonique n’est pas plus à remettre en doute que l’antisémitisme de l’islamisme, celui qui va jusqu’à tuer des Juifs partout dans le monde, de la France à Israël en passant par l’Argentine ou les Pays-Bas. La gauche démocratique héritière des Dreyfusards et de Léon Blum doit impérativement se ressaisir et reprendre l’offensive. La lutte pour la démocratie, la libre pensée, la libre disposition de son corps et l’égalité des chances par l’émancipation individuelle passe nécessairement par la lutte sans merci contre l’antisémitisme sous toutes ses formes. L’antisémitisme de LFI et des islamo-gauchistes de tous partis doit donc impérativement être dénoncé avec vigueur.
© Renée Fregosi
Renée Fregosi est philosophe et politologue. Dernier ouvrage paru : Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs. Éditions de l’Aube 2023
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