« Je t’écris d’Israël ». Voyage en terre de Tikkoun Olam. Chapitre 3: Au nom des enfants

Chapitre 3 : Au nom de tous les enfants 

Tribune Juive vous propose tout au long de l’été un regard décalé sur Israël, berceau du Tikkoun Olam – la réparation du monde brisé -, à travers la correspondance de Valérie Pavia*, artiste photographe qui arpente le pays, avec Yves Lusson**, intervenant en Thérapie sociale resté en France. 

Photo © Valérie Pavia

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Cher Yves, 

Cette paix qui est si frappante ici en Israël dans la population arabe, pourquoi ne s’installerait elle pas chez les musulmans de France ? La réponse est contenue dans ta question. Et mes photos parleront mieux que n’importe quel mot. C’est que ces arabes sont pour beaucoup chrétiens. 

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

Je suis sidérée par la liberté de ces enfants, la liberté de ces jeunes femmes qui peuvent sortir la tête découverte, de ce jeune homme qui promène son chien. Je ne suis pas sûre que dans un pays arabe voisin, on puisse tomber sur ce petit chien à la queue rose. Heureux comme les arabes chrétiens en Israël oui. Et d’ailleurs ils le rendent bien car les plus beaux cafés et les meilleurs restaurants sont tenus par eux, et à des prix tout à fait raisonnables.

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

Mais heureux aussi comme les musulmans en Israël comme en témoigne cette autre photo de cette musulmane avec son enfant et qui regarde la mer.

Je suis tombée hier sur cette autre scène qui m’a beaucoup touchée, dans la rue de Jérusalem à Haïfa. Une petite fille russe ou ukrainienne tenant dans ses bras une femme musulmane. Où ailleurs dans le monde trouver autant de messages de paix ?

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

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Chère Valérie,

Je suis très touché par tes images, qui semblent bien témoigner d’une réalité spécifique à Israël, et en moi les questions s’entrechoquent. 

Le contraste avec ce qui se passe actuellement en France – le climat d’insécurité, les tensions intercommunautaires, les blocages sociaux, les émeutes, etc. – me frappe et m’interpelle. Que se passe-t-il dans ma si belle patrie ? Dans mon pays de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ? Dans celui des cathédrales, des cafés du coin et des fêtes de villages ?

Tes révélations sur la liberté chez les arabes chrétiens – qui contraste avec les arabes musulmans – m’amène aussi à me questionner sur les différences culturelles, et leur impact sur la qualité de nos vies. 

Comme tu le sais j’ai eu une enfance très catholique d’origine paysanne, et mon chemin de thérapie sociale m’a permis de mieux comprendre comment la culture qui m’avait été transmise depuis mon plus jeune âge avait pu « m’empêcher » à certains endroits de ma vie, malgré toutes les belles valeurs que j’y avais reçues. 

Jusqu’à maintenant je retiens de tes récits qu’Israël semble être une mère particulièrement aimante pour ses enfants. Et que c’est peut-être dans cet amour que les empêchements contenus dans les différentes cultures peuvent peu à peu se dissoudre avec le temps.  

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Cher Yves,

Quand tu écris qu’Israël semble être une terre aimante pour ses enfants, c’est en partie vrai comme mes photos peuvent en témoigner.

Toutefois je ne peux omettre d’apporter aussi le témoignage des arabes palestiniens qui ont croisé mon chemin depuis le début de mon séjour. Cette voix doit être également entendue. Sinon la réalité ne serait vue que sous un certain angle. Je n’ai pour le moment qu’une seule photo à ce sujet, celle d’un café où je suis rentrée pour me désaltérer. Je ne savais absolument pas que je rentrais dans un café palestinien. J’ai été attirée par la beauté du lieu, un petit café rétro avec des magnifiques mosaïques orientales. Quand la serveuse a entendu mon accent français, elle m’a souhaité la bienvenue et a commencé à ouvrir son cœur alors qu’elle ne me connaissait pas. Elle me dit que ses proches doivent résister en essayant quand même de tenir ce lieu qui respecte la véritable tradition arabe. Que toutes les traditions ainsi que l’histoire sont effacées par un état qui construit en masse des immeubles modernes sans se soucier de l’histoire. St Jean d’Acre est devenu Akko, Nazareth s’est transformé en Nofhagalil. Seule la partie arabe a pu conserver le nom.

Photo © Valérie Pavia

Il serait plus juste de parler de terre mère plutôt que de terre aimante. Ce tout petit territoire me semble être la matrice bouillonnante du monde entier où une chose et son contraire peuvent se produire à quelques instants d’intervalle. Au moment même où je termine de t’écrire, le jeune serveur illumine de son sourire radieux toute la pièce du café.

Un quart d’heure plus tard, dans la rue, un homme blessé, drogué et ivre vient s’échouer devant l’arrêt de bus. Un homme grand et affable tente aussitôt de l’aider à se relever, va lui chercher un verre d’eau qu’il lui donne tout doucement. En échangeant quelques mots en anglais avec cette personne secourante, j’apprends que c’est un sabra, c’est à dire un véritable israélien natif d’origine. Alors que ce sabra venait en aide à cette personne gisant à terre, le patron du magasin de narguilé qui se trouve juste à côté de l’arrêt de bus se met à insulter en arabe le blessé en lui signifiant de dégager au plus vite.

Que dire alors ? D’un côté un sourire, de l’autre une main tendue et puis après des insultes.

C’est tout ça à la fois Israël.

Je voudrais terminer cette lettre par cette image tout à fait « Peace and Love » de ce couple d’artistes ukrainiens installés depuis longtemps dans le quartier le plus underground de Haïfa.

La France que tu me décris me semble si lointaine à présent, quelque peu édulcorée, voire endormie.

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

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Chère Valérie,

Comment oeuvrer à la « réparation du monde » quand on est un pays en guerre ? Comment aimer ses enfants quand parmi eux il y aussi les enfants de ses ennemis ? Dans les contrastes et les contradictions que tu me montres, je commence à percevoir l’immensité du défi auquel est confronté Israël.  

Il me vient une anecdote que je souhaite te conter. J’ai une amie qui a récemment perdu sa maman. Ayant grandi dans un milieu chrétien très aimant, elle a toutefois été amenée au cours de sa vie à se faire des ennemis du fait de ses prises de positions dérangeantes. Elle n’a pas eu d’autres choix que de se défendre bec et ongles vis-à-vis d’eux, tous plus féroces les uns que les autres, et qui cherchaient souvent à la détruire. Après la disparition de sa maman, elle m’a confié que, pour elle, sa maman était une sainte parce qu’elle n’avait pas eu d’ennemis, contrairement à elle. Je lui ai répondu que non, pour moi le chemin de la sainteté n’était pas forcément de ne pas avoir d’ennemis, mais peut-être de pouvoir les combattre fermement tout en sachant les aimer malgré tout. 

Moi-même, depuis quelques années, j’ai appris à me défendre contre les rejets subtils et parfois très violents de certains de mes proches, voire même très proches. Il m’aura fallu être dur et ferme avec eux pour pouvoir parvenir à stopper leurs violences et leurs folies activées par les peurs qui les manipulaient. Paradoxalement, je sens – et je sais – que je ne les ai jamais autant aimés.

Quelque part l’Israël que tu me décris me fait penser à mon amie, voire à mes propres combats. Je la vois comme une guerrière qui n’a pas d’autre choix que de se battre au milieu d’un océan de mensonges, de folies et de haine, avec malgré tout suffisamment de paix en son cœur pour pouvoir aimer tous ses enfants en son sein. Y arrivera-t-elle ? 

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Cher Yves,

Je te répondrai brièvement avec un mot d‘hébreu même si ce n‘est pas la langue que j‘utilise pour la vie courante lui préférant l‘anglais et le statut d‘étrangère comme je te l‘ai déjà dit. 

Je réserve l‘hébreu pour l‘accès au sacré car c’est sa vocation première, qui est bien souvent oubliée ici.

Le mot guerre en hébreu se dit « milerama ». Ce mot est fabriqué avec une racine « lekhem » ce qui signifie le pain. Ce qui veut dire que la pensée hébraïque considère que le fait de gagner son pain ne va pas sans une certaine manière de faire la guerre.

Dans la réalité j’observe ce combat ici, très dur, d’une population souvent rendue à un état d’esclavage pour gagner sa vie, dans un pays qui ne leur fait aucun cadeau tant le niveau de vie est élevé et laisse sur le côté les plus fragiles, laissant place à une société à deux vitesses. Si Israël doit être une lumière pour les nations, ce n’est pas du tout en épousant les règles du consumérisme comme il en prend le chemin en ce moment, mais en se questionnant en profondeur, pour changer ce paradigme.

Je me rends justement à Jérusalem la semaine prochaine pour rencontrer des gens qui commencent à œuvrer dans ce sens là.

Et je sais que c’est un de tes combats également.

Je t’embrasse.

PS : Je joins à cette réponse une photo unique, celle de ce pain que j’ai le privilège d’aller acheter à Nazareth qui se trouve tout à coté de Haïfa.

Le goût de ce pain vaut franchement le voyage…

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À propos des auteurs

Valérie Pavia. Photo Bruno G.

*Née à Montpellier, l’artiste Valérie Pavia a nourri une œuvre conséquente dans les domaines de la vidéo, de la photographie, de la peinture et de l’écriture. Après des études de théologie à Strasbourg, elle a enseigné le grec et l’hébreu dans des associations de langues bibliques. En Israël cet été, elle n’y est pas partie pour y faire son Alya à proprement parler, mais elle arpente la « Terre Sainte » en quête de sens pour sa vie, et peut-être d’un pays où poser ses valises (Photo Bruno G.).  

***Yves Lusson, journaliste scientifique et social pendant plus de vingt ans, se forme depuis une dizaine d’années à la Thérapie sociale auprès de son inventeur, Charles Rojzman. Contributeur régulier de Tribune Juive, il voit dans le voyage de Valérie une occasion de questionner la destinée de cette « terre de Dieu » qui le fascine depuis l’enfance, et tout particulièrement sa vocation à la « réparation du monde » que la tradition juive nomme Tikkoun Olam.

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5 Comments

  1. Nous ne serons plus jamais au garde-à-vous comme beaucoup de nos ancêtres » bien obligés ».Se cacher raser les murs la peur au ventre. C’est fini.Parler écrire commenter. Notre liberté chèrement acquise à conserver précieusement.

  2. J’ai lu la première phrase de cet « article » et ça m’a largement suffit. Il est difficile d’être plus éloignés des vérités.

    Voyons ça : « Cette paix qui est si frappante ici en Israël dans la population arabe, pourquoi ne s’installerait elle pas chez les musulmans de France ? …. C’est que ces arabes sont pour beaucoup chrétiens ».

    Hélas la « paix » en question n’existe pas. Les faits sont têtus ; les voilà :
    – Les Arabes en Israël sont à 93% musulmans et 7% chrétiens (statistique officielle) .
    – Ces Arabes sont depuis des années frappés par une activité criminelle mafieuse, majoritairement en provenance de leurs rangs, qui fait des morts tous les jours ou presque. Depuis le début de l’année au moins 150 arabes y sont morts, victimes de règlements de compte mafieux (sans oublier les blessés). D’après eux la police israélienne se désintéresse du problème, d’où un chaos général et une absence de toute loi.
    – Tout en ayant la nationalité israélienne ils se disent très majoritairement « palestiniens » et sont, à des degrés divers, hostiles à l’Etat d’Israël. Lors de crises militaires (par exemple opérations israéliennes contre le Hamas à Gaza) ils organisent souvent des émeutes anti-israéliennes dans leurs villes et villages ; grave, sachant qu’ils possèdent (cf. mafia) des arsenaux illégaux considérables d’armes à feu.

    Ne nous laissons par berner par la photo du chien à la queue rose…. RIEN n’y est rose…

    • Bonsoir et merci pour votre apport en statistique. Toutefois, les statistiques ne reflètent pas forcément ce qui se passe quand on est sur le terrain au jour le jour. Vivez vous en France ou en Israël. La réalité c’est la vie même qui nous la met sous les yeux. Tous les jours ces images me sont données comme des pépites. C’est cela la hachgara pratit.

  3. @Boukob Israël devient peu a peu une société communautariste à l’anglo saxonne. Or une société de ce type, c’est une société tribale où règnent les haines identitaires, la division et la violence interne. Si on permet a ce cancer de se développer, il devient inopérable et mortel.
    Israël n’est plus du tout a l’abri, surtout depuis le cataclysme de 2020.

  4. Le vivre ensemble et la coexistence multi ethnique sont tout à fait possibles (mais dans ce cas-là on ne parle pas de vivre ensemble, justement !) dans les sociétés où tout est fait pour inciter aux gens à s’accepter mutuellement, où les outrances identitaires et les discours de haine des extrémistes ne sont pas tolérées. Cela a existé et existe encore, par exemple dans un pays contre lequel nos gouvernements sont en guerre. Mais pas dans le monde occidental moderne où des suprémacistes noirs ou arabes appelant au meurtre ou à la discrimination des « non racisés » deviennent des héros, des saints ou des martyrs ! Ce qui se passe depuis 2020 est à faire frémir de rage ou de peur : on a créé nous-mêmes un monde totalitaire aux mains de ceux qui veulent notre mort. Il est évident que les USA et l’Europe finiront comme le Liban, ou au mieux s’en approcheront de très près. La question qui se pose au sujet d’Israël est : laquelle des deux voies ce pays va-t-il suivre ?

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