Depuis des générations, le pilote de Tsahal est le héros ultime, la fine fleur d’Israël, l’incarnation du Juif moderne, post-Shoah, post-diaspora. Au contraire de ses ancêtres, il ne rase pas les murs, dos courbé et regard fuyant, mais marche le front haut, droit dans ses bottes, sans peur ni honte : il sait défendre ses droits. C’est un homme fier. Un homme libre. Grâce à lui, notre pays peut dormir sur ses deux oreilles. Il veille sur nos filles et nos fils. Sur notre sécurité. On peut donc comprendre le choc lorsque des centaines parmi eux décident de renoncer à servir dans l’armée. Au début, on refuse d’y croire. Puis on comprend qu’ils ne bluffent pas. Et on se sent abandonné. Enfin, pas tous. Certains préfèrent les insulter, les traîner dans la boue. Pour eux pas question d’écouter, de comprendre, de discuter : les valeureux combattants d’hier sont aujourd’hui des traîtres. La lie de la nation. Il faut dire que l’invective remplace désormais le débat politique.
Sur le même mode, ces vingt dernières années, tous les Israéliens, commerçants, artisans, employés de banque, artistes, jardiniers et coiffeurs… se sont enorgueillis du titre de startup-nation reçu par leur pays parce qu’à la pointe dans le domaine des nouvelles technologies. Or maintenant que les « hightechistes» se lèvent, comme un seul homme, contre la réforme judiciaire, on les traite de « richards » privilégiés, ce qui dispense apparemment de tout autre argument.
Ainsi, sont qualifiés de “gauchistes, anarchistes, voire, et pourquoi pas, de terroristes”, tous ceux qui osent se dresser contre l’ordre nouveau qu’essaient de leur imposer les leaders les plus radicaux de la droite israélienne.
La tension monte et, chaque jour, on découvre, sur un nouveau mur de notre ville trois fois sainte, un graffiti criant « mort aux gauchistes ».
Samedi soir, après des jours de marche, sous un soleil de plomb et des chaleurs record, même pour l’été israélien, des milliers de personnes, hommes et femmes, jeunes et vieux, avec des enfants parfois, sont arrivées à Jérusalem, portant notre drapeau bleu et blanc et son étoile de David. Ils ont planté des tentes dans Gan Saker, le grand jardin public au pied de la Knesset, et s’y sont installés, résolus à y rester et à manifester jusqu’au vote fatidique de demain. Ils entretiennent encore l’espoir de toucher, d’attendrir les cœurs, endurcis par la passion, de certains dirigeants. De faire entendre leurs voix pour renouer le dialogue. Pour le bien du pays. Par amour du pays.
Ensuite, des dizaines de milliers ont défilé paisiblement dans les rues de Jérusalem, depuis la résidence du Premier ministre, dans le quartier cossu de Rehavia, jusque devant la Knesset. Ils ont terminé la soirée en chantant l’Hatikva. Eux, les traîtres, les anarchistes, les terroristes.
Hier, ils se sont retrouvés à l’aube au pied du Mur occidental. Des centaines de Juifs. Du plus religieux au plus laïc, sépharades et ashkénazes mêlés, sans animosité. Et chose remarquable : de toutes tendances politiques. Ensemble ils ont prié pour la victoire d’Israël, autrement dit la victoire du débat sur l’insulte, de la raison sur la folie, de l’union sur la division, de l’amour sur la haine.
Ce matin, il fait encore silence dans les rues de Jérusalem. Les patrons des grandes entreprises ont décidé de fermer boutique aujourd’hui pour convaincre le gouvernement, en position de pouvoir, de ne pas avancer sans consensus, de trouver un terrain d’entente avec l’opposition.
Et la question qui plane sur tous : que se passera-t-il ce soir, si aucun accord n’est conclu, et que l’abolition de la clause de raisonnabilité est votée aujourd’hui ?
© Judith Bat-Or
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