Il faut en convenir, le titre est beau même s’il se prête à tous les détournements possibles, du plus moqueur au plus laudateur. A l’orée de cette exposition de l’IMA, nous nous attendions à un panorama historique, celui d’une « lutte nationale », comme à l’évocation et à l’explication d’une histoire tourmentée depuis plus d’un siècle. Rien de tout cela en vérité, mais une « évocation poétique » par le biais de nombreux tableaux (dont certains très éloignés du sujet) et une large place (méritée) faite au poète palestinien Mahmoud Darwish. Pour le reste, hélas, pas la moindre évocation de la construction de l’identité palestinienne en miroir des combats menés contre le mouvement sioniste. Pas un mot d’une histoire pourtant si riche d’enseignements.
Alors que reste-t-il de cette exposition sinon ce titre, affiché dans tout Paris, et dont l’effet d’annonce constitue, on le craint, le vrai motif de cette « exposition » et sa seule justification : imposer « la Palestine » comme pièce maitresse du discours victimaire de l’époque, élément majeur de l’acte d’accusation dressé contre l’Occident via l’Institut du monde arabe, la Palestine comme épicentre de la souffrance universelle et comme miroir d’un monde déréglé. Au sortir d’une exposition qui n’en a que le nom, c’est ce discours subliminal qui envahit l’esprit du visiteur et entend faire de « la Palestine » la nouvelle passion d’Occident après que le racisme antijuif eut été durablement discrédité à Auschwitz. Comme en convenait jadis Mahmoud Darwich lui-même, bienheureux Palestiniens qui ont les Juifs pour adversaires…
Que peut retenir le visiteur français qui fait l’effort de se déplacer et ne nourrit pas trop d’idées préconçues sur le sujet, sinon que la Palestine n’est plus une question d’histoire mais un objet de piété érigé en culte civil et planétaire. « De quoi la Palestine est-elle le nom » pour reprendre cette formule usée jusqu’à la corde et que n’évitent pas les organisateurs de l’exposition ? C’est le nom d’une légende romantique et d’une histoire mythologique forgée de toutes pièces. Peut-être est-ce là, d’ailleurs, la raison pour laquelle l’histoire n’a pas sa place à l’Institut du monde arabe. Parce que l’histoire, synonyme de désenchantement, est toujours une entreprise de démythification. Parce qu’un récit historien aurait mis en pièce la légende d’une Palestine arabe existant de toute éternité alors que, jusqu’en 1948 encore, elle constitue à peine une nation. C’est d’ailleurs là l’une des causes de la radicale défaite des Palestiniens face aux Juifs du Yishouv (devenus les Israéliens). Non une nation comme le prétend en filigrane cette exposition, mais des clans qui s’opposent les uns aux autres et dont les luttes intestines prennent souvent le pas sur le combat contre les sionistes. Une société profondément morcelée, terrorisée par la violence du clan Husseini, et dont une partie significative collabore avec l’émir Abdallah de Transjordanie (qui va confisquer la Palestine arabe en 1949 telle que la prévoyait les Nations unies) et même avec les Juifs. De cette histoire, pourtant, on ne saura pas un mot. Pas la moindre trace de récit historien dans cette exposition mais des appels à la conscience du monde et des invocations à une nouvelle cause christique subsumant les souffrances de l’humanité…
Quand nous attendions l’histoire, nous eumes droit à un étalage de légendes et de chromos, photos colorisées de la cueillette des olives, du berger et son troupeau avec à l’horizon le Dôme du Rocher… Rien qui donne consistance à une histoire et à un lieu spécifiques qu’on nommera la Palestine. Seulement des photos retouchées qui pourraient tout aussi bien évoquer la Syrie, le Liban ou la Turquie. Si les concepteurs de l’exposition avaient voulu donner consistance au credo de certains sionistes ( « il n’y a pas de peuple palestinien »), ils ne s’y seraient pas pris autrement. Et comme dans les musées de Palestine, on assiste ici à un étonnant impensé historiographique quand la Palestine n’apparaît qu’avec le premier congrès sioniste à Bâle (1897) comme si elle n’existait qu’en miroir du nationalisme juif.
Enfin, avec le catalogue, nous espérions avoir réponse à notre besoin d’histoire. Las… Il s’agit d’une litanie de textes militants, polémiques, souvent violents (à l’exception d’un seul texte historien, celui d’Henry Laurens) et dans l’ignorance de toute légitimité de la partie adverse. Qui pratiquent en miroir autrement dit ce dont ils accusent leurs ennemis : ils les nient. Par l’imagination et le verbe, ils mettent en œuvre une épuration ethnique mais inversée, la même qu’ils déplorent chaque jour (Nakba). Sous leurs plumes, en un mot, l’Etat d’Israël demeure un impensable définitivement en trop.
L’éditorial de Christophe Ayad, journaliste au Monde, est à cet égard une pure merveille. L’homme, on s’en souvient, était en février dernier le co-auteur de l’article consacré au député Meyer Habib, un texte qui fleurait suffisamment le mépris anti-séfarade pour que la direction du quotidien prît soin de supprimer quelques mots « délicats » de l’édition en ligne. Christophe Ayad, journaliste donc… Avec Ayad, l’histoire de la Palestine a définitivement fait naufrage : « la Palestine est une idée, un espoir, une, exigence, un symbole », écrit-il. « (…) Métaphore de notre monde, berceau de nos rêves, tombeau de nos espoirs. C’est là que tout a commencé et que tout finit. (…) La Palestine ne s’appartient pas. Elle est une cause, une source d’inspiration pour le monde entier. Le keffieh est le drapeau des révoltés. Le jeune lanceur de pierres de l’Intifada, a repris au fils de David le statut de l’opprimé face au Goliath de l’occupation. Palestinien n’est plus seulement une nationalité sans pays, c’est une condition et le refus de s’y plier, c’est une résistance obstinée de chaque instant et de chaque geste. (…) c’est du monde tel qu’il va mal dont la Palestine nous parle. (…) C’est elle qui nous regarde depuis l’avenir de notre humanité ». (note : référence exacte, Page 10).
Au terme de ces envolées lyriques, le lecteur ne saura toujours rien de la guerre israélo-palestinienne de 1947-1948, de la presque victoire arabe en mars 1948, du plan Dalet des Israéliens et de leur contre-offensive, ni même de la Nakba enfin qui est la conséquence d’un refus arabe tout entier manipulé par le clan Husseini au détriment d’autres voix pacifiques prêtes au compromis historique mais réduites au silence, l’une après l’autre, par une série d’assassinats… De cela, le spectateur lambda ne saura rien, il ne comprendra donc pas pourquoi il y eut en effet expulsion et plus encore même, dans certaines régions, l’empêchement au retour d’une population arabe qui dans un passé récent s’était montrée déterminée à n’accepter aucun voisinage juif. Le lecteur ignorera également in fine qu’à la fin des combats, 80 % des réfugiés palestiniens demeuraient à l’intérieur des frontières de la Palestine mandataire. C’est comme si au terme d’un conflit de la France avec ses voisins du Nord et de l’Est, 80 % des réfugiés français avaient quitté Lille pour Maubeuge et demeuraient enkystés dans ce statut de réfugié pendant plus de 75 ans. En nourrissant le mythe (irréel) d’un retour dans leur maison d’origine, comme si les réfugiés juifs des pays arabes réclamaient aujourd’hui le « droit au retour » dans leurs patries de naissance d’où ils avaient été poussés au départ, voire carrément chassés. Et spoliés de la plupart de leurs biens. C’est à cette rude réalité historique, paradoxalement seule pourvoyeuse de paix, que le légendaire palestinien fait barrage en entretenant une mythologie qui répond aux besoins de l’époque et où le compassionnel a pris la place de la réflexion historique.
Reste une troisième surprise et de taille : c’est la visite de la librairie. Il s’agit moins d’une librairie que d’une officine militante, celle d’un musée, financé pour partie par l’argent public, et ce sans qu’aucune protestation n’ait émergé publiquement à ce jour. Tout point de vue différent y a été éliminé. Seuls sont présents sur les rayonnages ou sur les tables, les ouvrages des historiens, politistes et journalistes acquis à la « Cause ». Pas un seul point de vue du camp d’en face, pas le moindre ouvrage de Benny Morris, ou d’Elie Barnavi, ni même de Frédéric Encel. Et pas même le Que Sais-je ? récemment paru sur les origines du conflit (Les Origines du conflit israélo-arabe, 1870-1950, PUF, 2023) de Georges Bensoussan qui naturellement avait sa place ici. Introuvable comme tous ses autres ouvrages d’ailleurs.
Ainsi opère la censure dans un musée dont la librairie militante n’a pas sa place dans une institution de ce rang. A-t-on vu ou entendu parler d’une attitude similaire dans les choix de la librairie du Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris ? Tous les auteurs y ont leur place, de Mahmoud Darwish à Elias Sanbar et Walid Khalidi. Ce qui traduit la dégradation du débat public en France, c’est moins les choix militants de cette librairie ( hors IMA, je n’en parlerais pas) que l’impunité dont cette officine jouit depuis tant d’années comme si les instances du pouvoir avaient peur de s’y frotter.
Au-delà de la tristesse, et parfois de la colère éprouvées devant cet étalage de militantisme nourri à l’ignorance du plus grand nombre, demeure la crainte que depuis 75 ans le seul apport de la Palestine au monde ce soit seulement cela : l’efficacité d’une machine de propagande qui donne une résonance universelle à un légendaire trompeur. Et dont la fortune tient à la reconversion inespérée offerte à l’antisémitisme post-Shoah. Reste que pour le malheur de tous les peuples de la région, ce discours lacrymal, exclusivement victimaire, condamne à une guerre sans fin.
Article paru dans les Cahiers Bernard Lazare, numéro 467–468, juillet-août 2023. Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.
[1] Ancien journaliste en agence de presse, Antoine Nili vit en Grande-Bretagne depuis une vingtaine d’années.
Paris, capitale de « Palestine ».
Le révisionniste Jack Lang, Président de l’Institut du Monde Arabe, avait déjà commis il y a un peu plus d’un an une exposition révisionniste intitulée « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire », réécriture fantasmée d’une cohabitation heureuse entre Juifs et Musulmans, validée par toute la judéocratie de cour et la communauté organisée. Faut-il s’étonner que maintenant Jack Lang fasse l’apologie d’un « peuple » créé ex nihilo par un mufti nazi, politiquement conceptualisé par le KGB et toujours dirigés par des terroristes négationnistes ? Toute la beauté de cette gauche morale dreyfusarde, prétendument philosémite ET toujours collaborationniste.
Ce que la Palestine apporte au monde : RIEN, excepté boycotts, terrorisme, morts, bombes, attentats, roquettes, antisémitisme, …
Qu’avez-vous pensé également de la vidéo d’Elias Sandar développant – si j’ai bien compris – le mythe de la terre pure dont il fallait évacuer les habitants intrus (qui n’étaient que musulmans) ce que les croisés anglais comptaient faire pour remplacer l’islam par l’anglicanisme, puis les sionistes, et pour y redéfinir la terre sainte ? Etc etc. Et de l’exposition sur Genet ? A laquelle on serait tentés de vouloir ajouter « Querelle de Brest » et autres romans sulfureux… Faut-il rappeler qui était Genet ?
Concernant les livres de Georges Bensoussan et notamment le dernier mon amie s’est amusée à les demander à la librairie : la jeune a pianoté longtemps sur son clavier pour finir par : « on a eu ״Juifs en pays Arabes, le Geand déracinement » mais on n’a rien en stock.. »
En revanche les keffiehs étaient en solde !