Créer demande inspiration, intelligence, endurance, et réclame son tribut en temps, en sueur, parfois en sang. Mais sans l’espoir inextinguible, qui a nourri le cœur juif pendant deux millénaires, cet espoir que chante la Tikva, notre hymne national, créer l’État d’Israël n’aurait jamais été possible, pensable même.
La destruction, en revanche, n’est pas bien exigeante. Il suffit d’un moment d’ivresse, de colère, ou d’aveuglement, pour réduire à néant les œuvres les plus formidables.
J’ai peur.
Des voix, autour de moi, tentent de me rassurer. Des optimistes qui veulent croire en un réveil in extremis des consciences embrumées par des mois de conflit, des années de rancœurs, de désir de revanche, ou par la soif de pouvoir. Ces optimistes me soufflent que tout s’arrangera. Que notre peuple saura s’unir à l’heure de la menace.
Moi, je doute. Et continue d’avoir peur.
Quels démons se sont emparés de notre merveilleux pays ? Si jeune, si fort, si vigoureux. C’est un défaut de la jeunesse que de s’imaginer invincible, immortel. Son défaut le plus… mortel. Et sa plus grave erreur d’en déduire qu’il peut tout oser, tout risquer. Que rien ne peut lui arriver. S’il survit à ces illusions, il aura la chance de vieillir, de mûrir, s’assagir, et de réellement prospérer. Israël se trouve aujourd’hui à ce tournant de son histoire, qui décidera de l’avenir. Du sien et du nôtre aussi.
Depuis des mois, en Israël, des forces aveugles s’opposent. D’un côté, une coalition qui sous prétexte de détenir une majorité de sièges à la Knesset, 64 sur 120, ne sent pas la nécessité d’amender ses projets de lois, de rechercher un consensus, quand elle peut les passer en force. Pour qui l’étape parlementaire n’est que pure formalité. Et tant qu’elle y est pourquoi ne pas conquérir le seul pouvoir qui lui échappe : le judiciaire. De l’autre, une opposition inquiète, à juste titre selon moi, que les trois têtes de l’État – l’exécutif, le législatif et le judiciaire –, soient ensemble sous un même chapeau. Une démocratie sans aucun contre-pouvoir restera-t-elle démocratique ? Le débat aurait pu, aurait dû, se dérouler civilement. Sauf que le Likoud de Begin, Shamir, et autres grands leaders, principale force de la coalition, est devenu l’otage de chaque petit parti auquel il s’est allié pour créer son gouvernement : un seul viendrait à manquer qu’il perdrait sa majorité. Or parmi ces partenaires se trouvent des extrémistes, dont Itamar Ben Gvir. Ce pyromane politique, inculpé 53 fois et condamné pour racisme et propagande terroriste par la justice israélienne, celui que Tsahal a refusé d’enrôler, est aujourd’hui le ministre de la Sécurité publique. Je ne m’étendrai pas sur cette incongruité. Avec sa minorité de sionistes messianiques, il impose sa loi au Likoud et au puissant Bibi, qui s’exécute de crainte que son gouvernement ne tombe. Ce nouveau chef de facto de la majorité ne tolère pas le compromis. Et c’est par lui et les siens que la logique de l’affrontement s’est installée durablement. Par une dynamique implacable, on est arrivé aujourd’hui, de part et d’autre de l’échiquier politique, à ne rien vouloir céder. Et maintenant, les scénarios qui paraissaient hier encore improbables, extravagants, risquent de se réaliser.
Emportés par nos certitudes, divisés, nous oublions nos ennemis, qui rient et se frottent les mains à l’idée de cette victoire que nous pourrions bien leur offrir, celle qu’ils n’ont pu nous voler, même unis dans leur attaque en notre jour le plus sacré, Kippour 1973. Et pourtant, notre histoire ne nous a pas épargnés en durs enseignements. Par deux fois notre temple détruit, nos flancs livrés aux flammes et aux flèches de nos ennemis, grâce à notre division. C’est d’ailleurs pour marquer ce deuil que nous jeûnerons le 9 d’Av, dans six jours seulement – je n’y vois pas un hasard. Cette année, jeûner ne suffira pas. Pour marquer cette date funeste, en souvenir de son sens et de son essence, nous devrions tous procéder à un examen de conscience. Seul l’amour fraternel et l’unité sauveront notre pays d’une fracture irréversible. Or cette nuit, un autre pas a été franchi dans la mauvais direction. Et j’ai peur.
Peur quand j’entends Ben Gvir, comme toujours le regard brillant et l’air content de lui, crier que ce n’est qu’un début. Que rien ne l’arrêtera. Peur quand nos pilotes de chasse, la fleur de notre armée, l’armure de notre pays, décident de ne plus servir dans Tsahal – 160 officiers volontaires de l’armée de l’air de réserve ont donné leur démission. Que des centaines de réservistes des différents corps d’armée se sont joints hier à eux.
Comme une majorité d’Israéliens silencieux, je rêve que ce cauchemar cesse. Mais s’ils en décident autrement, pour de simples jeux de pouvoir, au mépris des souffrances passées et de l’aspiration têtue de notre peuple à sa terre, les cracheurs de feu pourraient bien nous renvoyer à l’exil, pour des siècles et des siècles encore, peut-être même à jamais.
J’ai peur pour Israël, et peur pour l’humanité qui, dominée par des aveugles dont les seuls guides et repères sont leur pouvoir et leur profit, menace aussi de brûler.
Nouvelle (rassurante) de dernière minute
Une manifestation commune des soutiens et opposants à la réforme judiciaire est programmée pour dimanche. Elle commencera par une prière pour la paix au Mur de Jérusalem et se dirigera vers le bâtiment de la Knesset. Leur revendication: arriver à une réforme consensuelle.
© Judith Bat-Or
Merci madame
Je n’était pas habitué à ce genre de prise de position dans TJ où on n’a pas cessé de brandir la majorité démocratiquement élue . Comme vous dites en fait de démocratie on se pli au diktat de groupuscules
Pour tout dire moi aussi j’ai peur
Vous nous lisez mal, TJ a toujours publié les points de vue opposés lorsqu’ils étaient argumentés: Prenez la plume?