Le Thriller de l’été. « Liquidation à Pôle Emploi » 17. Judith Bat-Or

Laurence s’arrête, hésitante, devant le commissariat. Elle sait qu’elle appartient à la race des suspects. De ceux que les honnêtes gens regardent de travers. Systématiquement. Parce que, même sans l’identifier, ils flairent un truc pas catholique. Alors des policiers, avec leur entraînement ! Ils trouveront forcément quelque chose à lui reprocher. Surtout qu’elle n’a pas ses papiers. Bullshit, Laurence, ça suffit. On y va ! Pour Zaza.

Ce « pour Zaza » a fonctionné sur elle comme un sésame. Quelques secondes plus tard, elle approche du guichet d’accueil. Première constatation : aucun beau gosse à l’horizon. Pas même un seul de ces poulets à l’œil vif, à la moue sensuelle et au sourire éblouissant, qui roulent leur jolie mécanique en traquant les méchants. Bref, pour la drague, on repassera.

Elle se reproche aussitôt ces pensées déplacées. Qui ont surgi malgré elle. Ce n’est pas de sa faute si elle adore mater. Attention, juste pour rêver. Jamais plus que rêver. Même si affinité. Surtout, si affinité !

« Pour une disparition suspecte ! lance-t-elle par-dessus le comptoir, comme si elle commandait un verre.

 – On prend un numéro, répond l’agent machinalement. Et on attend son tour. »

Un putain de numéro ? C’est quoi, ici, un hôpital ? Y a urgence, nom de dieu !

« Excusez-moi, Monsieur l’agent, met Laurence de l’eau dans son vin…

– Pas de passe-droit, Madame. »

***

Bien droite sur son siège en plastique, Laurence change encore de fesse. Une demi-heure qu’elle marine là. Au milieu des allées et venues. Pire que dans un hall de gare. Ça entre. Ça sort. Ça n’arrête pas. Un roulement incroyable ! Le crime est une affaire qui marche.

Comme ses compagnons d’infortune, elle compare toutes les deux secondes le nombre sur l’écran d’appel à celui de son ticket. 17, à dix heures du matin ! Un sacré rendement. En attendant, elle bout sur pied. Pour éviter d’exploser, elle se propose de jouer à l’un de ses jeux favoris : l’observation de ses prochains. Sujet du jour : l’homo sapiens en milieu quasi carcéral.

Premièrement : le poulet de service. Prenant un air innocent, elle laisse traîner son regard, nonchalamment, jusqu’au comptoir. Personne. Comment personne ?! La salle d’attente déborde, et le flic moche, et court sur pattes, se permet de déserter !? On ne le paie pas pour pisser. En plus, non, même pas pour pisser, s’insurge-t-elle scandalisée en le découvrant dans un coin, en plein conciliabule avec une jeune collègue – qui n’est pas, elle non plus, gâtée par la nature. Il roucoule en jetant des coups d’œil pas vraiment discrets en direction de Laurence. Voilà, elle a gagné, ils l’ont dans le collimateur.

« T’as vu un peu, le tableau ? » s’indigne le basset, en pleine parade nuptiale.

Dès qu’il aperçoit Élodie, le brigadier Boulard – Kevin pour les intimes – attrape une bougeotte du diable. Comment rester assis à faire semblant d’être important avec cette nymphe dans les parages ? Chaque fois qu’elle apparaît, il se creuse la tête pour trouver un moyen de l’intéresser. Et, chaque fois, il sèche. Mais on dirait que sa chance a tourné aujourd’hui.

« Non, mais regarde-moi ça, ordonne-t-il à la fliquette. Non, attends, ne regarde pas, contre-ordonne-t-il aussitôt. Je crois qu’elle m’a capté. J’te raconte pas le topo. Une vieille, dans les cinquante ans, et bien tassés, les cinquante ans, en jupe mini, super mini !, et, en haut, le grand déballage. T’en as qui cherchent vraiment la merde. Après, elles viennent se plaindre de harcèlement sexuel. Ou de violences conjugales. Comme si on n’avait pas plus grave à s’occuper d’ailleurs. Et à son âge, en plus. J’ai rien contre les vieux, mais faut savoir tenir sa place. »

Cédant à la curiosité, Élodie se retourne enfin le temps de constater que son collègue n’exagère pas – quelle touche, cette vieille, incroyable ! Même elle, à vingt-cinq ans, n’oserait pas sortir dans un pareil accoutrement –, puis elle revient vers lui. Il n’est pas mal, au fond, Boulard. Surtout comparé aux autres.

« On pourrait lui coller un attentat à la pudeur », glousse-t-elle, enfin, tout excitée. 

17 ! 

Laurence bondit. C’est pas trop tôt ! ne dit-elle pas en fonçant vers le brigadier. Qui, de loin, lui désigne un autre agent sur sa droite. Elle dévie de sa trajectoire, remerciant discrètement sa bonne étoile au firmament, et s’approche du comptoir.

« Bonjour, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? s’enquiert l’agent poliment. 

– Beaucoup, j’espère, mon commandant, improvise-t-elle en mode lèche-bottes. C’est pour une disparition. 

– D’une personne majeure ou mineure ? 

– Majeure. Pourquoi, ça change quoi ?

– Question de procédure. C’est-à-dire que, vous comprenez, explique-t-il pédagogue, il y a des tas d’adultes qui mettent les voiles un beau matin. Mais nous, à la police, on n’y peut pas grand-chose. Parce que, voilà, c’est leur droit. On est en démocratie.

– Oui, mais non, là, bafouille Laurence, c’est pas un truc dans ce goût-là.

– Eh bien, c’est ce qu’on va voir. Depuis quand la disparition ? 

– Depuis hier matin, exagère-t-elle stratégiquement.

– Donc, plus de vingt-quatre heures.

– C’est cela même, mon commandant. »

Finalement, constate-t-elle, les flics ne sont pas tous des cas désespérés. Celui-ci a l’air disposé à l’écouter et à l’aider. Après tout, à la base, le rôle de la police n’est-il pas de servir les honnêtes citoyens ? Comme elle. Surtout comme Zaza.

« Il reviendra peut-être, reprend l’agent compatissant. Ne vous inquiétez pas. 

– Qui ça ? Qui reviendra ?

– Eh ben, votre mari ! Des fois, c’est juste pour faire un break…

– Oh non, pas mon mari ?! J’aurais préféré, s’esclaffe-t-elle. Vous savez ce que c’est…

– Pas vraiment, grogne le commandant – le mariage, pour lui, c’est sacré.

– Évidemment, vous êtes trop jeune. Mais, croyez-moi, trente ans à se marcher sur les pieds, ça finit par peser. Alors, un break comme vous dites, j’aurais apprécié. Sauf qu’avec ce mari, je n’avais aucune chance…

– Ça, c’est pas mes oignons, bloque le gardien de la paix. Alors, revenons-en à notre disparition. »

Soudain, Laurence réalise qu’elle a été mal inspirée avec ses blagues matrimoniales et tente de rectifier le tir.

« Mais tout est bien qui finit bien. Maintenant, on est séparés. Y a prescription, affaire classée, comme on dit dans votre métier. Un beau métier d’ailleurs…

– Et donc qui a disparu ? enchaîne le policier.

– Isabelle Schmidt, rue des Carrettes.

– Lien de parenté ?

– Entre elle et moi ?

– Qui d’autre ? Le pape, peut-être ?

– Bien sûr, vous avez raison ! encaisse Laurence sans relever. Aucun lien de parenté. On est seulement amies. Mais de très vieilles amies. De lycée, vous voyez, ça date, ose-t-elle un sourire complice.

– Et elle n’a pas de famille ? continue l’autre sans ciller.

– Ben si, elle a un fils.

– Et pourquoi c’est pas lui qui s’occupe des démarches ?

– Oh lui ! Ne m’en parlez pas. C’est un mauvais fils. Un ingrat. En plus, j’ai l’impression, qu’il n’est pas clair dans cette affaire.

– Qu’est-ce que vous insinuez ? Qu’il l’a assassinée ?

– Assassinée ? Non, quelle horreur !

– Ben alors quoi ?

– Qu’il la séquestre. »

Le policier se fige – on ne lui a encore jamais fait le coup de la séquestration. Et Laurence en profite pour enfoncer le clou.

« Alors, vous comprenez, je veux en avoir le cœur net. Vous imaginez Isabelle ? Si vous la connaissiez ! Toute menue. Et fragile. Enfermée seule dans sa maison. Et si vous voyiez la maison ! On dirait une prison. Sauf le respect, mon commandant. »

© Judith Bat-Or

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