Samuel Fitoussi: « CNews et Europe 1, pour Pap Ndiaye, le pluralisme nuit à la démocratie »

Pap Ndiaye à l’Assemblée nationale, le 20 juin 2023.  © Ludovic Marin / AFP

Le 9 juillet, le ministre de l’Éducation nationale a affirmé que CNews et Europe 1 constituaient une « menace pour la démocratie« . Alors qu’il a réitéré ses propos devant les députés, Samuel Fitoussi s’inquiète des contestations de plus en plus fréquentes des principes de la démocratie libérale.


Selon le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, CNews et Europe 1 font du mal à la démocratie. En février dernier, c’était la ministre de la Culture Rima Abdul Malak qui avait semblé considérer que l’expression d’opinions pourtant partagées par de nombreux Français posait problème, puisqu’elle avait sous-entendu que l’autorisation de diffusion de CNews et C8 ne devait peut-être pas être renouvelée par l’Arcom.

Le 14 mai dernier, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie les Verts, avait affirmé que les défilés «néo-nazis» dans les rues (principal problème de notre pays) seraient «la conséquence du fait que sur CNews et dans Valeurs Actuelles, on laisse cette idéologie prospérer.»Admettons qu’il existe un lien entre les discours dans les médias et la violence dans notre pays: ne devrait-on pas interdire de parole les membres de la Nupes? La semaine dernière, la France a connu plus de 12.000 incendies sur la voie publique, 5.000 voitures brûlées, 1.000 bâtiments détruits ou incendiés. Or Jean-Luc Mélenchon a appelé à épargner les «écoles, bibliothèques et gymnases» – donnant implicitement son aval pour le reste, légitimant ainsi les violences sur les forces de l’ordre (808 policiers ont été blessés). Plusieurs députés LFI ont refusé d’appeler au calme, attisé la colère, («la police tue», selon Louis Boyard) ou rendu visite à des émeutiers en garde à vue pour leur apporter un soutien moral. Notons que des bars LGBT ont été pris pour cible par des émeutiers, qui avaient sans doute trop regardé l’heure des Pros sur CNews ou lu d’éditos de Geoffroy Lejeune dans Valeurs Actuelles.

Ajoutons qu’il existe une certaine ironie à voir le débat public focalisé sur quelques médias privés de sensibilité de droite, alors que le directeur des antennes et des programmes de France Télévisions – à la tête d’une équipe de 450 personnes et d’un budget public de 1 milliard d’euros – est un militant d’extrême-gauche. Il s’agit de Stéphane Sitbon-Gomez, «petit-fils et fils de militants de gauche plus rouge que rose» selon Libération, «enfant de l’écologie politique radicale» selon L’Express, qui a passé treize ans au Parti écologiste, a dirigé en 2012, la campagne présidentielle d’Éva Joly, a critiqué le tournant social-démocrate de François Hollande («on m’a appris qu’un socialiste, ça trahit toujours») et manifesté, à l’appel de Jean-Luc Mélenchon, en faveur d’une VIe République en 2013.

Mais les attaques contre CNews – chaîne avec laquelle on peut, rappelons-le, être en désaccord tout en jugeant l’existence légitime et même souhaitable – sont révélatrices d’un problème plus grave: les règles de la démocratie libérale semblent de plus en plus contestées par ceux qui s’en prétendent défenseurs. Une certaine gauche dénonce la libre expression des idées, tout en bafouant allègrement l’État de droit, participant à des manifestations interdites, affirmant que «la seule issue possible à une colère populaire devient la violence» (Sandrine Rousseau), encourageant l’action violente contre des projets d’infrastructures pourtant validées légalement (bassines de Sainte-Soline), appelant les étudiants à bloquer leur université pour protester contre des lois entérinées par nos institutions.

En réalité, il n’y a aucun paradoxe à voir cette gauche combattre avec véhémence l’expression de certaines opinions tout en affichant une incroyable complaisance à l’égard de la violence physique. À l’origine des deux attitudes: le même refus du paradigme du débat, la (prétendue) justesse des causes justifiant le contournement du processus de délibération démocratique. «La gauche, écrivait Jean-François Revel en 1988, reste fidèle au vieux principe du fanatisme, qu’une cause juste – et quelle cause ne l’est pas aux yeux de ses propres partisans? – autorise des procédés injustes. A-t-elle compris, comprendra-t-elle jamais que la démocratie est le régime où il n’y a aucune cause juste, seulement des méthodes justes?»

Profitons-en pour rappeler pourquoi la liberté d’expression est importante: en appliquant une logique conséquentialiste aux discours et aux opinions (les interdisant en fonction de leur dangerosité – évaluée subjectivement, mais par qui?), nous risquerions de légitimer la censure de voix que la majorité (ou une minorité influente) jugerait subjectivement nuisibles, quand bien même l’expression de ces opinions serait objectivement bénéfique. Tolérer – tout en la contredisant – la désinformation permet par exemple d’éviter que le jour où l’on ne distingue plus le mensonge de la vérité, on ne tolère plus la vérité. Dans Capitalisme et Liberté, Friedman rappelle que de 1933 à 1938, Churchill était interdit de parole à la radio britannique car l’on jugeait son discours dangereux et belliqueux. Il tentait pourtant d’alerter sur la menace nazie.

Ce qui nous amène à une dernière remarque. La leçon la plus importante de l’histoire humaine est peut-être la suivante: nous pouvons collectivement nous tromper; l’opinion dominante au sein de l’élite intellectuelle et culturelle d’une société sera parfois jugée sévèrement par les générations suivantes; les causes pour lesquelles il est de bon ton de militer sont parfois dramatiquement fausses; détenir la certitude d’avoir raison ne signifie pas avoir raison. Alors que l’histoire devrait être une leçon d’humilité nous rappelant le danger de la pensée unique, certains en tirent au contraire une certitude: la politique consiste en un combat contre le mal («l’extrême-droite»). Ce qui mène à des situations où c’est la géographie du spectre politique, plutôt que la situation du pays ou la cohérence d’une opinion, qui dicte les prises de position. Voilà pourquoi Pap Ndiaye peut énoncer cette idée étrange: le pluralisme nuit à la démocratie. Terminons avec Jean-François Revel, qui résumait, d’une formule, la tragédie du débat public contemporain: «Au lieu que l’examen du problème serve à élaborer une politique, ce sont les clivages politiques qui servent de critères à l’analyse du problème.»

© Samuel Fitoussi

Samuel Fitoussi est auteur et essayiste. Il publiera le 14 septembre « Woke fiction: comment l’idéologie change nos films et nos séries », aux éditions du Cherche-Midi.

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/samuel-fitoussi-cnews-et-europe-1-pour-pap-ndiaye-le-pluralisme-nuit-a-la-democratie-20230711

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1 Comment

  1. Un ministre identitaire et raciste
    Un ministre qui veut couler l’économie d’un autre pays et qui détruit celle de son pays (bien fait…)
    Un ministre ayant défendu les pires ordures…
    Un président suintant le mépris autant que l’incompétence et ridiculisant son pays dans le monde entier
    Des médias et un showbiz dignes du ministère de la vérité de 1984, et une barbarie digne d’Orange mécanique.
    Un pays ayant depuis 1940 baignant dans la haine de soi et entièrement soumis a l’Allemagne puis aux États Unis, a l’UE, aux islamistes et plus généralement a tous ceux qui veulent sa ruine.
    Le racisme anti Juifs, anti blancs et la haine de classe érigés en idéologie d’Etat.

    Qu’est-ce que le Macronisme ?…
    C’est tout simplement la haine de soi et le syndrome de Stockholm érigés en système politique.

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