Situation intérieure explosive en Israël: Questions posées à Jacquot Grunewald

Manifestation contre la réforme judiciaire en Israël. © Avshalom Sassoni/Flash90

Tribune juive: Soixante-quinze ans après la création de l’État d’Israël, ce modèle unique est-il remis en cause par des forces antidémocratiques aujourd’hui au pouvoir ? Alors que les manifestations en Israël sont entrées dans leur  27è semaine,  illustrant l’une des plus grandes mobilisations populaires de l’histoire du pays, on nous promet « une semaine décisive » : les Juifs de France ont bien du mal à s’informer cette fois tant, d’Israël, nous arrivent des points de vue extrêmes, voire fratricides : Qu’est-ce qui est contesté ? Ce gouvernement,  le plus à droite de l’histoire d’Israël et qui parle de rétablir la peine de mort pour les faits de terrorisme? La colonisation ? Son projet de modifier le système judiciaire du pays, accroissant, via la clause dite « dérogatoire » permettant d’annuler des décisions de la Cour suprême,  le pouvoir des élus sur celui des magistrats , alors que ses partisans affirment, au contraire, qu’il s’agit d’une réforme indispensable pour mettre un frein à l’activisme de la Cour? Est-ce Israël, État juif, qui est discuté ? Les affaires de corruption semblent si secondaires… Les fondements démocratiques de l’État hébreu sont-ils menacés : on peine à le croire…

Jacquot Grunewald: Personne ne conteste le caractère légal du Gouvernement. Et peu de gens imaginent un vote en faveur de la peine de mort que réclame l’extrême droite. Personne n’imagine, non plus, que le système juridique ne puisse être amendé ou réformé. Mais dans un pays qui n’a pas de constitution, seulement des lois fondamentales et une seule Chambre législative, une réforme radicale n’est recevable que par consensus. Certainement pas par les décisions d’une majorité parlementaire, brutale, qui se confond avec le Pouvoir, dans laquelle aussi bien les harédim que l’extrême droite, peu tentés par l’idéal démocratique, ont la capacité d’imposer leurs exigences. D’où la dangerosité d’une clause dérogatoire, comme la suppression de l’argument de raisonnabilité, prononcée par les juges, qui ouvre la porte à tous les abus. Si bien que les « affaires de corruption », cessent d’être « secondaires » en admettant qu’elles l’aient jamais été. Et moins encore alors que ne cesse de se dérouler le procès intenté à M. Netanyahou. Quant à la présence juive en Judée-Samarie, appelée Cisjordanie par la Communauté internationale, elle connaît effectivement un regain de contestation de la part de ses adversaires, depuis que M. Smotrith a été habilité à y exercer ses pouvoirs et que les dirigeants juifs sur place ne s’efforcent pas suffisamment à faire entendre raison aux « pogromistes », tels qu’en eux-mêmes ils se sont comportés, après des attentats meurtriers de Palestiniens.

Le Président Herzog a qualifié dès le 9 mars le processus législatif de « menace sur les fondements de la démocratie » alors que Netanyahou, tout en se défendant d’être « un potentat qui abolissait la démocratie », a annonçait limoger son ministre de la Défense Yoav Galant lorsque ce dernier osa exprimer son désaccord.

Rappelez-vous la « petite phrase » de Jean-Paul Chevènement: « Quand on est ministre , on ferme sa gueule ». Bibi était en droit de limoger son ministre, alors que lors d’une conférence de presse, et en absence du Premier ministre en week end à Londres, il réclamait l’interruption de la réforme. Cela dit, M. Galant n’a jamais quitté les rangs du Likoud et vote avec la majorité gouvernementale.

Des entreprises privées – banques, compagnies d’assurance, chaînes de vêtements et de restauration – ont participé à une grève générale en signe de soutien et des soldats ont annoncé leur dissociation ? Des soldats !

Le Tribunal suprême d’Israël que la majorité veut mettre au pas, à son pas à elle, est une institution unanimement respectée dans le monde. Le projet de « dérogation », qui pourrait annuler ses décisions est un facteur d’instabilité économique: Sans une justice vraiment indépendante qui la garantit à des investisseurs, à des engagements commerciaux? D’où la baisse du chékel, premier symptôme d’une dégradation économique.

En ce qui concerne Tsahal: L’autorité de la Cour Suprême a, jusqu’alors, empêché la Cour Internationale de La Haye de céder aux pressions politiques accusant Israël de crimes de guerre: Dès lors que justice est rendue dans le pays, la Cour Internationale n’intervient pas. Dans le cas contraire, c’est-à-dire au cas où la Cour serait soumise à l’autorité politique, n’importe quel ancien militaire israélien risquerait d’être incarcéré lors d’un voyage à l’étranger. Contrairement à ce que Bibi et d’autres claironnent, il n’y a pas eu refus ou menace de refus d’obéissance à l’armée. Il y a une menace très précise, surtout des officiers de l’armée de l’air à la retraite, qui participent à des exercices volontaires, de cesser de le faire. Ils ne se sentent pas tenus, déclarent-ils, de consacrer leur temps et leur énergie à servir un pays dans lequel la démocratie ne serait pas respectée.

Cette crise intérieure actuelle ne traduit-elle pas le retour du refoulé d’une question qui n’a jamais été résolue par le mouvement sioniste depuis le début du XXe siècle, à savoir la nature de l’État et la place de la religion ? 

Après le génocide des communautés et des yechivoth de l’est de l’Europe, Ben Gourion a dispensé les étudiants de yechivoth qui se consacraient entièrement à l’étude, de distraire de leur temps à l’armée. Il a aussi confié les rênes de la législation religieuse aux Harédim pour obtenir le soutien du judaïsme américain à la Création de l’Etat. Les Harédim forment aujourd’hui plus de 10% de la population. Leurs partis politiques représentent une force de pression considérable. Ils sont en porte à faux avec la Cour Suprême, qui ne peut admettre une discrimination non règlementée en leur faveur. Ce sont eux, les plus acharnés, à réclamer la clause de dérogation qui les mettrait à l’abri des arrêts de la Cour. 

Sans parler des problèmes que provoquent les réalités harédis au point de vue scolaire, universitaire, économique, de logements… et qui, en dépit des incontestables vertus de sa population, rebroussent le poil d’une bonne partie du pays.

Contre un Ben Gvir ou un Smotrich, le gouvernement israélien vient pourtant d’approuver le paquet d’aides à l’Autorité palestinienne…

Quel qu’ils soient, les allègements en faveur de l’Autorité palestinienne ne visent pas à la satisfaire mais à empêcher sa dissolution qui confronterait Israël à une très grave situation, y compris au plan sécuritaire. Le refus constant de l’Autorité palestinienne d’accepter l’un ou l’autre plan de paix, son soutien financier aux familles des terroristes palestiniens abattus ou incarcérés en Israël, la haine anti-juive qu’elle répand dans les écoles et sur les ondes, n’encouragent pas des « aides » israéliennes. Reste que le Likoud au pouvoir n’a jamais vraiment tenté de forcer la porte des Palestiniens. Il a donné l’impression d’être davantage préoccupé par le Hamas, et donc d’alléger la situation à Gaza, plutôt que d’adoucir M. Abbas. 

Alors que le gouvernement s’apprêtait à poursuivre unilatéralement un vote sur l’un de ses projets de loi les plus controversés, le président Herzog, mentionnant la pertinence des « Trois Semaines », a imploré la classe politique de renouer le dialogue autour de la réforme judicaire, mettant en garde, dans le cas contraire, contre « un raté d’une ampleur historique », et contre des fractures irréversibles au sein de la société israélienne. Soulignant le soutien de la population au dialogue, Bougie a rappelé que la force du mouvement sioniste venait de la mise en œuvre d’un consensus et a demandé aux élus de reprendre les pourparlers, de « mettre leur ego de côté » et de s’asseoir à la table des négociations pour préserver l’unité et la cohésion d’une société israélienne déchirée…

S’il y avait une chance de parvenir à un accord, il impliquait la mise en attente de la réforme à la Knesset. La majorité la refuse, alors que depuis les dernières élections, elle ne semble que préoccupée à faire passer la réforme sans se donner la peine, par des votes d’ordre personnel, de se plier aux règlements. Elle ne tient pas compte davantage du refus de l’opinion publique dont témoignent les sondages.

Rien n’empêcherait la Knesset de voter l’institution du référendum. Et de soumettre ses projets de réforme à la décision de la nation. Mais ça, la majorité n’en veut pas.  

Jacquot Grunewald a répondu aux questions de Sarah Cattan

***

Rabbin, écrivain, journaliste, Jacquot Grunewald vit en Israël depuis 1985. Il est le fondateur en 1965 de l’hebdomadaire d’informations Tribune juive, qu’il dirigera 25 ans durant, jusqu’en 1992.

Considérant -à raison- qu’il n’y a pas « continuité idéologique » entre le TJ papier qu’il fonda et le TJ d’aujourd’hui, il souhaite qu' »il n’y ait pas d’ambiguïtés à ce sujet ».

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1 Comment

  1. Bravo à Tribune Juive et à Sarah Cattan. La réforme est nécessaire tous le disent, pourquoi c’est si difficile d’améliorer le système judiciaire en mettant l’idéologie en dehors ?

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