Le Thriller de l’été. « Liquidation à Pôle Emploi ». Judith Bat-Or

Raiponce

Depuis une dizaine de minutes, postée directement sous la seule fenêtre visible derrière le mur d’enclos – Un rempart, tu veux dire ! –, Laurence appelle Zaza, les mains en porte-voix, l’exhorte à se manifester. 

« Putain, Zaza, beugle-t-elle à deux doigts du découragement. Donne-moi un signe. N’importe quoi. Mais réagis, ma Zaza. Aide-toi, le ciel t’aidera. Et si pas le ciel, je suis là. Allez, Zaza, pour moi. Fous le feu à la baraque ! Monte sur le toit ! Je sais pas, moi. Fais quelque chose, putain ! Montre que tu es là. Allez, vas-y, Zaza ! J’ai presque plus de voix ! 

– À la bonne heure, c’est pas trop tôt ! s’exclame une passante derrière elle.

– Quelle bonne heure ? Pourquoi la bonne heure ? » s’échauffe Laurence aussi sec. 

Elle se retourne, prête à mordre. Et découvre l’emmerdeuse que personne n’a sonnée, en pantoufles, robe de chambre et bigoudis dans les cheveux. Ce n’est pas une passante, en déduit finement Laurence. Tant pis, elle mord quand même.

« Et vous, mêlez-vous de vos fesses ! Sauf le respect, Madame, tempère-t-elle pour la forme.

– Ben justement je m’en mêle. Ça fait trois plombes que vous hurlez dans ma rue. Devant ma maison. Alors, si c’est pas mes oignons… stoppe-t-elle, en panne de mots.

– Ma maison, ma rue, mes oignons, la singe Laurence, en grimaçant. C’est une urgence, Madame. Alors, je fais ce qu’il faut. Et si c’était vous, l’urgence, hein ? Ou votre fille. Ou votre fils. Ou même votre mari. Vous seriez bien contente que je hurle comme vous dites. Et d’abord, je ne hurle pas, je crie, Madame, nuance. »

Certaine d’avoir marqué un point, elle se détourne de l’emmerdeuse, comme elle l’a officiellement baptisée dans sa tête, pour reprendre sa sérénade. 

« C’est vous l’urgence, on dirait, lui assène la voisine. Et si vous continuez…

– Si je continue, quoi ? Vous appelez la police ? 

– Par exemple. Pourquoi pas ? »

La police ? réfléchit Laurence.  Bon sang, mais c’est bien sûr ! Comment n’y a-t-elle pas pensé ? Parce que les flics, c’est pas ta came. Tu en poses des questions ! Mais ça vaut le coup d’essayer. Elle va donner à ces p’tits gars une chance de se rattraper.

« Franchement, pour une emmerdeuse, vous êtes vraiment extra ! Venez ici ! Dans mes bras ! »

Joignant le geste à la parole, Laurence attire contre elle l’emmerdeuse ébahie et l’étouffe dans une accolade, lui tapant dans le dos à lui en décrocher le cœur. Devant les signes extérieurs de cette vigoureuse gratitude, la voisine ne bronche pas. C’est peut-être vraiment une folle. L’ardeur des tapes amicales faiblit progressivement, leur rythme ralentit. Elles cessent. Sous ses rouleaux, la voisine se prend à espérer un dénouement prochain. Enfin, l’étreinte se desserre. Un peu. Puis, d’un coup, complètement. 

« Au fait, vous la connaissez ? enchaîne Laurence sourcils froncés.

– Je la connais, qui ? demande l’autre, un brin déconcertée. Ah oui, se reprend-elle. La Zaza de l’urgence ?

– Ben oui, la Zaza de l’urgence. »

Pas rapide, la coiffeuse, Il va falloir être patiente, établit Laurence, philosophe. 

« Non, je la connais pas. On s’est jamais parlé. Votre Zaza, vous savez, sans vouloir vous offenser, c’est un peu un fantôme. Ou plutôt une revenante. 

Une revenante, tiens, tiens ! apprécie Laurence cette info. L’emmerdeuse pourrait bien se révéler précieuse. Et pour l’encourager à livrer ses secrets, elle hoche la tête en souriant. La langue de la voisine se délie comme par enchantement.

« Jusqu’à y a deux, trois ans… je peux pas dire exactement… Attendez, non, non, je suis sûre, y a pas plus de deux ans : mon petit Jules était né. Jules, c’est mon petit-fils. Ça vous change la vie, vous savez. »

Le regard de Laurence la freine instantanément dans son élan grand-maternel. 

« Et donc, on la voyait jamais. Que son fils et son mari. Enfin, c’est ce que j’en ai déduit. »

Les commères font des déductions ! remarque Laurence au passage. On n’arrête pas le progrès.

« Rude, le papa avec son fils. Et jamais un sourire ! Mais bon je comprenais. Élever seul un enfant, c’est déjà pas de la tarte. Alors pour un homme, vous voyez. »

Laurence ravale difficilement quelques répliques bien senties pour ne pas risquer de froisser l’égo de son informatrice. Mais, franchement, y a des bonnes femmes qui mériteraient des baffes. On n’est plus au putain de Moyen Âge, bon dieu !

« Peut-être qu’elle sortait en voiture, poursuit la voisine innocente. Ça, je peux pas vous dire. En tout cas, je savais même pas qu’elle existait, votre Zaza. Maintenant, je l’aperçois de temps en temps sur le trottoir. Jamais longtemps. Et pas souvent. Elle rôde plutôt, je dirais. Elle est pas très causante. C’est comme… Sans vouloir dénigrer… Elle fout un peu les jetons, votre Zaza, vous voyez. Enfin, d’après ce que je sais, elle parle avec tonton Émile. Pour une histoire de potager. »

À l’idée de Zaza zombie, Laurence a envie de pleurer. C’est pas le moment, se secoue-t-elle. Sa mission de libération en est d’autant plus essentielle. Émue de voir des larmes dans les yeux de la folle, la voisine s’arrête de parler. 

« Tonton Émile ? demande Laurence.

 – C’est son voisin. Notre doyen. Un peu moine sur les bords. Et pas bavard pour deux sous. Mais toujours là pour rendre service. 

 – Voisin de quel côté ?

 – La porte, là, juste à droite.

 – Merci, Madame… Pardon, Madame comment, au fait ? Moi, c’est Laurence Baron. Mais on m’appelle Laulau.

 – Tiens, quelle coïncidence ! s’exclame la voisine, aux anges. Ma bru aussi s’appelle Laurence. Et moi, c’est Bernadette.

 – Merci, Bernadette. Merci. Je vous revaudrai ça. Au fait, tant qu’on y est, vous l’avez vue hier soir ? Ou tôt, ce matin, peut-être ? Monter dans un taxi ? Avec une grosse valise ? Un sac à dos ?

 – Pas hier, non, je l’ai pas vue, lui assure Bernadette après brève réflexion. Ni aujourd’hui non plus. Mais je passe pas ma vie derrière ma fenêtre quand même, ment-elle éhontément.

 – Bien sûr que non, feint Laurence d’avaler son bobard. Vous avez autre chose à faire. Encore merci, Bernadette. À la prochaine. Salut !

 – De rien, Laulau. Bonne chance. Ah oui, et attention. Avec tonton Émile, faut pas hésiter à crier. Il est sourd comme un pot.

 – Crier, ça je sais faire.

 – Clairement ! » confirme Bernadette.

Et les deux femmes ensemble éclatent d’un rire sonore qui scelle leur complicité.

© Judith Bat-Or

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